Je viens de lire « Voodoo Histories » de David Aaronovitch, un livre au sous-titre éloquent : « How Conspiracy Theory Has Shaped Modern History ». J’ai choisi de faire un compte-rendu du chapitre 3 : « Conspiracies to the Left ». En quatrième de couverture, on peut lire : « Our age is obsessed with the idea of conspiracy. We see cover-ups everywhere — from Pearl Harbor to 9/11, from the assassination of Kennedy to the death of Marilyn Monroe. Voodoo Histories entertainingly demolishes the absurd, elaborate and downright sinister conspiracy theories of the last 100 years. David Aaronovitch reveals not only why people are so ready to believe in these stories but also the dangers of this credulity. »
David Aaronovitch (né en 1954)
Par ces modestes notes de lecture, j’espère donner l’envie de lire l’intégralité de cet ouvrage et d’étudier en profondeur la théorie de la conspiration (Conspiracy Theory), une théorie toujours aussi dynamique, sans cesse réactivée. Cette théorie est une tentation des plus fortes face à l’hyper-complexité du monde. Formidablement simplificatrice, elle est donc reposante. Cette théorie particulièrement redoutable a notamment produit l’un des livres les plus néfastes de l’Histoire, « Les Protocoles des Sages de Sion », un mensonge élaboré en Occident à la fin du XIXe siècle et qui compte toujours plus d’adeptes, notamment dans le monde arabo-musulman.
Le chapitre 3 de l’étude de David Aaronovitch commence par ces mots particulièrement éloquents d’Edward R. Murrow au sénateur Joe McCarthy : « He didn’t create this situation for fear; he merely exploited it, and rather successfully. Cassius was right, ‟The fault, dear Brutus, is not in our stars, but in ourselves.” »
La théorie de la conspiration existe probablement depuis que l’homme existe. Le développement des mass-médias (d’abord la presse : revues et journaux) lui donna un formidable développement. Une partie non négligeable de cette gigantesque production véhicule inlassablement au quotidien cette théorie, tantôt implicitement tantôt explicitement.
Le président Theodore Roosevelt utilise le mot muckraker (soit fouille-merde) en 1906, un terme alors pas nécessairement péjoratif qui désigne ces journalistes occupés à dénoncer les errements du pouvoir par lobbying ou corruption. Il reconnait donc la valeur de ces muckrakers tout en affirmant que le monde n’est pas que muck. Ces journalistes d’investigation — ces muckrakers — sont alors plutôt des femmes et des hommes de gauche. Voir Upton Sinclair, Lincoln Steffens ou Ida Tarbell. L’Amérique est regardée comme une terre promise, une terre de pionniers, un espace où les individus fuyant l’oppression peuvent enfin donner libre cours à leurs énergies, à l’esprit d’entreprise. Ils sont fiers, et à raison, de leur éventuelle réussite ; mais en cas d’échec, ils ont tôt fait de chercher un coupable. Ce comportement peut être qualifié de populiste, « because populism typically imagined a loose and infernal alliance of multiple foes. »
L’inquiétude cherche à nommer la « menace ». On commence par les francs-maçons (Freemasons). En 1835, Samuel F. B. Morse les vitupère. Ci-joint, un extraordinaire document intitulé « Foreign Conspiracy Against the Liberties of the United States » dont l’auteur n’est autre que l’inventeur du télégraphe :
https://archive.org/details/foreignconspiracy00mors
Dans les années 1890, la théorie de la conspiration et le populisme désignent un groupe de banquiers comme responsable de tous leurs maux. Dans le Minnesota, Ignatius L. Donnelly est l’un des représentants de cette tendance. Il écrit : « The fruits of the toil of millions are boldly stolen to build up colossal fortunes for the few, unprecedented in the history of mankind ».
Le populisme est une tendance forte dans le Midwest où les petits fermiers sont nombreux. Ce populisme hostile au Grand Capital (Big Capital) est également hostile au Grand État (Big State). David Aaronovitch écrit : « It was also a fairly natural step from anti-big-business populism to protectionism, and almost as natural to progress from there to isolationism ». L’attitude des prairies farmers envers le big business explique en partie les réticences de l’Amérique à s’engager dans la Deuxième Guerre mondiale.
John T. Flynn, un catholique irlandais qui a soutenu la candidature du démocrate Franklin D. Roosevelt (à l’époque où celui-ci promettait une gestion prudente de la Great Depression) finit effrayé par le New Deal : « This is the complete negation of liberalism. It is in fact, the essence of fascism… »
John T. Flynn (1882-1964)
Les États-Unis sortent renforcés de la Grande Guerre, mais dans le pays des voix s’élèvent pour dénoncer la mauvaise répartition de cet enrichissement. Les populistes qui pour la plupart ont soutenu le New Deal jugent que la Grande guerre a été un désastre humain mais aussi économique et qu’il ne doit en aucun cas se répéter. Parmi eux, le Major General Smedley Butler, le marine le plus décoré de l’histoire des États-Unis. En 1935, il publie un pamphlet réédité en plusieurs versions jusqu’en 1941, « War Is A Racket », dans lequel il déclare à sa grande honte qu’en tant que soldat, il n’a fait que se battre pour le Big Business et Wall Street. Nombre de politiciens ne voient alors pas les choses autrement. Tel est le cas de Gerald P. Nye, sénateur du North Dakota. Ci-joint, l’intégralité de « War Is A Racket » du Major General Smedley Butler :
http://www.ratical.org/ratville/CAH/warisaracket.html
Et, ci-joint, un lien sur le Senate Munitions Committee (ou Nye Committee) :
https://www.senate.gov/artandhistory/history/minute/merchants_of_death.htm
John T. Flynn devient une personnalité centrale parmi les partisans de la neutralité. Il fréquente Gerald P. Nye au Munition Investigating Committee. En 1938, John T. Flynn participe à l’organisation du Keep America Out of War Congress (KAOWC). Nombre d’intellectuels de centre-gauche, de militants socialistes et de dirigeants syndicaux appuient son action. L’année suivante, alors que Hitler lance ses armées, il invite encore son pays à ne pas intervenir. En août 1940 est fondé le America First Committee (AFC), une organisation qui grossit rapidement ses effectifs et attire des noms prestigieux tels John Dos Passos, Frank Lloyd Wright, Charles Lindbergh, de futurs présidents des États-Unis parmi lesquels Gerald R. Ford et John F. Kennedy. L’idée centrale de l’AFC est que les États-Unis doivent être inexpugnables, que les Américains « keep their heads amid the rising hysteria in times of crisis ». En ces années d’angoisse existentielle pour le peuple anglais, Londres considère l’AFC et ses partisans comme une menace non moins redoutable que Hitler. 1940, Battle of Britain. Les Américains sont de plus en plus nombreux à vouloir la défaite du nazisme.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
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