Selon une opinion assez partagée, et principalement dans les pays arabes, Israël se livrerait à un Shoah-business, notamment en gonflant le nombre des victimes et en inventant des histoires sur les nazis, au sujet des chambres à gaz par exemple. Autre opinion assez partagée dans cette partie du monde : le mouvement sioniste a coopéré avec le IIIe Reich afin d’inciter les Juifs à émigrer en Palestine dans le but d’y fonder leur État.
Fort de son succès, Norman Finkelstein s’est fait un spécialiste des « crimes de guerre » à Gaza – voir son livre « Gaza: An Inquest into Its Martyrdom » publié non par un petit éditeur, comme l’avait été « The Holocaust Industry: Reflections on the Exploitation of Jewish Suffering », mais par University of California Press. Norman Finkelstein se présente comme victime d’un complot destiné à l’empêcher d’enseigner aux États-Unis. Rappelons que les parents de Norman Finkelstein sont des rescapés du ghetto de Varsovie, rescapés de la déportation aussi, le père d’Auschwitz et la mère de Maïdanek. Il déclare et sans la moindre gêne que Gaza est aujourd’hui le plus grand camp de concentration du monde, mais il n’accepte pas que certains de ses étudiants le qualifient d’antisémite alors que son discours entre précisément dans la définition de l’antisémitisme donnée par le United States State Department, ainsi que le fait remarquer Esther Levy dans « A Response to Anti-Semitism (on Norman Finkelstein) », consultable sur Internet, une définition qui rejoint celle de l’I.H.R.A. (International Holocaust Remembrance Alliance). Norman Finkelstein se défend en évoquant sa mère pour laquelle toute horreur (les bombardements américains au Vietnam ou la faim au Biafra, par exemple) était comparable à la Shoah. A « Ne jamais comparer » (voir Elie Wiesel), elle opposait « Toujours comparer » nous dit son fils. Objection. Déclarer qu’il y a une unicité de la Shoah « n’est pas une interdiction ou un refus de comparer, mais un effort pour dégager ce qui distingue l’extermination des Juifs d’autres génocides » ainsi que le fait remarquer Elhanan Yakira, une remarque qui peut être appliquée à tous les génocides : il s’agit avant tout de dégager des spécificités dans l’horreur et d’abord afin de mieux empêcher son retour.
Des spécimens de Juifs antisionistes
Quelques remarques au sujet des Juifs antisionistes. En adoptant le narratif de l’ennemi, le Juif antisioniste cesse en quelque sorte de faire partie du peuple juif, il se « désionise », il fuit un destin collectif envisagé comme une malédiction. En jugeant Israël et les Juifs comme des trouble-fêtes au Moyen-Orient, ces Juifs aspirent à être acceptés où qu’ils aillent en se soumettant au discours politique dominant. Un tel processus a une double signification : 1. Démoniser Israël et se « désioniser », c’est se voir délivrer un ticket d’entrée dans la société, comme ce fut le cas avec la conversion, soit la « déjudaïsation ». 2. Dénoncer Israël, c’est espérer échapper à l’antisémitisme (un bon Juif est un Juif antisioniste) en assumant la cause des « victimes des victimes », soit les Palestiniens. Ainsi les militants juifs antisionistes espèrent fuir le particularisme d’Israël et se fondre dans l’universel – selon le schéma émancipation/assimilation.
Évoquons cette « nouvelle théologie de la substitution » qu’évoque Shmuel Trigano et selon laquelle les Palestiniens sont les « victimes des victimes », tandis que les Israéliens – et les Juifs par voie de conséquence –, à l’exception de ceux qui se « désionisent », sont toujours coupables, radicalement évincés du statut de victimes.
Edward Saïd n’est en rien un négationniste, il reconnaît sans discuter la Shoah, cette folie, mais s’il le fait c’est pour mieux établir un lien direct entre elle et le sionisme. Ainsi, et selon le « postulat dominateur », le peuple juif qui a subi la Shoah est responsable du « malheur » palestinien. Israël et derrière lui le peuple juif sont des bourreaux mais pas n’importe lesquels, ils sont des bourreaux de type nazi, ce qui permet à l’Europe de s’alléger de sa mauvaise conscience, de son sentiment de culpabilité, et de structurer l’acte d’accusation.
Parmi les « penseurs » du négationnisme, Mahmoud Abbas, auteur d’une thèse de doctorat rédigée à Moscou (publiée en 1982) et intitulée : « La connexion entre les nazis et les dirigeants sioniste, 1933-1945 », une thèse particulièrement odieuse selon laquelle, suite à des accords secrets, les responsables sionistes et nazis se seraient entendus sur l’extermination d’un grand nombre de Juifs afin que les sionistes puissent obtenir un maximum de compensations après la guerre… Le « postulat dominateur » selon lequel Israël ne doit son existence qu’à la Shoah permet de porter facilement atteinte à la légitimité d’Israël par de multiples moyens rhétoriques et par des arguments pseudo-historiques.
Chapitre 5. Le mythe du « peuple palestinien souffrant » et la négation du peuple juif (page 139 à page 165).
La négation du sionisme et d’Israël ne vise pas seulement l’existence d’Israël en tant qu’État, en tant que réalité politique ; elle nie tout lien entre le peuple juif et sa terre, ainsi que l’historicité du peuple juif, voire son existence. L’antisionisme occidental contemporain repose sur le paradigme trompeur dans lequel l’Émancipation a enfermé les Juifs – sous prétexte de les libérer. La très célèbre formule de Stanislas de Clermont-Tonnerre (« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ») s’enferme en quelque sorte sur elle-même car les Juifs ne sont ni une nation, ni une religion mais les deux à la fois, d’où le dialogue de sourds, trop souvent, à leur sujet. Cette particularité a permis au peuple juif de survivre. L’Émancipation a amoindri l’anti-judaïsme (l’antisémitisme religieux) pour conduire à l’antisémitisme sécularisé, raciste, biologique.
Stanislas de Clermont-Tonnerre (1757-1792)
Alors que les Juifs ont retrouvé leur existence collective sous la forme nationale, l’hostilité qui les vise se fait haine de l’État juif – ce qui n’empêche pas les autres formes de judéophobie de perdurer. Cette haine vise en particulier l’existence même du peuple juif. A ce propos, lisez le livre à succès, « Comment le peuple juif fut inventé » de Shlomo Sand. En résumé : le peuple juif est une invention de l’historiographie sioniste (et proto-sioniste) ; la diaspora juive est une invention fondée sur un mythe chrétien ; le judaïsme s’est propagé par la conversion. Cette thèse de l’invention du peuple juif rejoint celle énoncée par l’O.L.P. à l’article 20 de sa charte qui affirme que le judaïsme n’est qu’une religion et qu’en conséquence les prétentions juives sur la terre d’Israël sont irrecevables. Shlomo Sand procède en idéologue : il pose sa thèse, soit l’invention du peuple juif, et retient les arguments qui l’étayent ; il ne s’agit donc pas d’une conclusion à des recherches. Shlomo Sand est bien un idéologue et en aucun cas un historien digne de ce nom. Tout en niant l’existence nationale du peuple juif et sa réalité historique, Shlomo Sand place les Palestiniens sur un piédestal à partir d’une supposée filiation génétique entre les actuels Palestiniens et les Hébreux de la Bible. Selon lui, les principaux théoriciens du sionisme ont inventé la notion de « peuple juif » en tant que « nation ethno-biologique » à partir du mythe biblique de l’exil, une argumentation qui prend appui sur une base raciale et… raciste. Shlomo Sand ne nie pas pour autant la notion de race : il transfère aux Palestiniens ce qu’il refuse aux Juifs : les Palestiniens sont les authentiques descendants des Hébreux bibliques. Il n’y a pas de peuple juif mais il y a un peuple palestinien… Conclusion : les Juifs – de fait les non-Juifs – ne sont en Palestine que des occupants et n’ont aucune légitimité sur cette terre. Le Palestinien est substitué au Juif.
On retrouve la théorie du « Nouvel Israël » et celle de la « Nouvelle Alliance » élaborées chez les Chrétiens, théologie de la substitution aussi avec les Musulmans qui traitent les Juifs « d’assassins des Prophètes ». L’idéologie sioniste suit ce schéma religieux. L’antisionisme ainsi que nous l’avons dit est une « religion politique » (voir en particulier les militants juifs antisionistes). L’antisionisme théologico-politique… On a élaboré un Jésus palestinien avec ces Palestiniens christifiés et crucifiés… par Israël, par les sionistes, par les Juifs… comme l’ont été Jésus et tant d’enfants chrétiens victimes de meurtres rituels… Cette propagande politico-religieuse titille la sensibilité de publics de culture chrétienne et post-chrétienne et sur plusieurs continents.
Bat Ye’or note que des Chrétiens et des Églises d’Orient s’en sont pris au sionisme dans leur désir de séduire l’Oumma et d’atténuer leur sentiment d’insécurité. Des Chrétiens arabophones se sont engagés dans des mouvements antisionistes terroristes d’obédience nazie puis maoïste et marxiste. La liste est éloquente de ces Chrétiens appartenant à diverses Églises chrétiennes d’Orient qui ont eu un rôle de tout premier plan dans la lutte contre Israël et le sionisme.
Bat Ye’or (née en 1933)
Le prêtre maronite Youakim Moubarac s’est employé, notamment dans son œuvre majeure, « Pentalogie islamo-chrétienne », à faire fusionner islam et christianisme et, à cet effet, il a entrepris une lecture coranique de la Bible. Il promeut l’abrahamisme islamique envisagé comme étant à l’origine du judaïsme et du christianisme. L’abrahamisme islamique fait table rase de l’histoire, il sape les fondements des deux religions qui l’ont précédé et il assied la domination radicale du Coran. La généalogie de Jésus est interprétée coraniquement. Jésus le Juif devient arabe, palestinien même, ce qui confère aux Chrétiens un rôle politique majeur au service de l’islam et de l’antisionisme militant. Lisez « Juifs et chrétiens sous l’islam » de Bat Ye’or.
L’antisionisme théologico-politique ne s’en tient pas au monde arabo-musulman ; il est bien présent dans l’Occident post-chrétien y compris chez les athées et les laïcs. Les relations entre l’Europe, Israël et les Juifs relèvent d’une « nouvelle théologie politique européenne » ainsi que le signale Shmuel Trigano dans son analyse des rapports entre l’Europe et la mémoire de la Shoah, l’Europe toujours très prompte à accuser les Israéliens (et les Juifs) et à exiger d’eux des comptes en tout genre et notamment sur leur droit à l’existence. Aucun autre pays au monde n’est soumis à de telles exigences. L’Europe aime décidément les Juifs morts et déteste les Juifs vivants. Pourquoi ?
On en revient à la théologie. Le schéma élaboré par saint Paul (le corps réel de Jésus / le corps mystique du Christ) a été appliqué au peuple juif par l’Église, avec le corps mystique (le « Nouvel Israël », l’Église, le christianisme, etc.) et le corps physique (les Juifs). D’un côté l’universalisme chrétien, de l’autre le particularisme juif (tribal, ethnique, etc.). Ce modèle paulinien est appliqué à la mémoire de la Shoah : les victimes juives sont exaltées tandis qu’Israël (le peuple juif bien vivant) est rabaissé, moqué, dénigré, nié, etc.
Les Juifs d’Israël, les Juifs vivants, bousculent le stéréotype du Juif victime, celui qui reçoit des coups et ne peut – ou ne veut – se défendre. Il faut aux Européens une autre victime, un nouveau peuple-victime à placer sur un piédestal et à adorer : ce sera le peuple palestinien, « la victime de la victime », « le peuple en danger ». Le Palestinien se substitue au Juif comme le christianisme et l’islam prétendent remplacer le judaïsme. Nous sommes en plein dans le mythe théologico-politique, dans une entreprise de substitution initiée par saint Paul. Les tentatives chrétiennes et musulmanes (tant symboliques que physiques) d’effacer la réalité du peuple d’Israël auront été multiséculaires et mondiales.
Le Juif est insupportable, en particulier aux Palestiniens (mais aussi aux Arabes et aux Musulmans), parce qu’Israël (le peuple juif) est dépositaire de l’Origine ; et l’usurpation d’identité est au cœur d’un conflit métaphysique – le mot n’est pas trop fort – entre Israël et l’islam mais aussi entre Israël et l’Europe. Israël dépositaire de l’Origine, insupportable rival, Israël – le peuple et l’État – source de la Révélation et de la Loi est insupportable à beaucoup. La partie ultime du noyau de l’antisémitisme est bien là.
Israël peuple de l’Origine, peuple dont on attend qu’il se trahisse afin qu’il cesse d’être ce peuple, le peuple de l’Origine qui détient donc la perpétuation du monde par le principe de la filiation. Israël point d’ancrage contre le nihilisme et contre lequel enragent et s’acharnent les nihilistes. Les nazis s’en sont pris à ce principe de la filiation avec leur antisémitisme biologique. L’antisionisme chrétien et l’antisémitisme musulman s’en sont pris eux aussi à ce principe, à un niveau différent certes. L’antisionisme permet à ces religions de s’affirmer en tant que telles.
Haine de ses propres origines, tentation de scier la branche sur laquelle on est installé… L’islam ne peut supporter l’antériorité du judaïsme et il capte Abraham ainsi que tous les Prophètes, de Moïse à Jésus. La Bible est coranisée comme le sont tous les Prophètes que les Juifs sont accusés d’avoir trahis voire assassinés. Nous pouvons à ce propos en venir à la négation du Temple de Salomon, à Jérusalem, et à la réappropriation par l’islam des symboles religieux de la période pré-islamique, de Jérusalem en particulier.
Le Coran porte la marque des relations ambiguës de Mahomet avec les Juifs : relations de confiance puis d’hostilité qui conduiront Mahomet à accuser les Juifs de falsifier les Écritures, ce qui lui permettra de confisquer l’héritage, de traiter les Juifs de menteurs, d’affirmer que l’islam est la première religion de l’humanité et qu’Adam est le premier musulman ; et ainsi placera-t-il dans son escarcelle tous les grands personnages de la Bible. La troisième religion monothéiste se veut la première religion de l’humanité. Le retour des Juifs sur leur terre et la renaissance d’un État qui a pour nom Israël sont traumatisants pour la théologie musulmane et la théologie chrétienne – un peu moins depuis Vatican II il est vrai. Le fantôme est de retour !
Le mythe du « peuple palestinien souffrant » permet par ailleurs d’occulter l’exode massif des communautés juives des pays arabes. Le mythe de la Nakba et le refus des Arabes de reconnaître leurs responsabilités dans la guerre de 1948 (qui est à l’origine de « la question palestinienne ») permettent de pousser de côté la disparition de la très ancienne présence juive dans le monde arabe.
Pierre Lurçat termine son étude sur une note d’espoir. Il évoque notamment les très récents Accords d’Abraham qui « permettront peut-être de détruire le fondement théologique de l’antisionisme musulman ». Je respecte cet espoir que j’aimerais partager. Mon espoir est ailleurs. Mais nous sommes d’accord sur l’essentiel, à savoir « qu’Israël est en réalité une chance et une bénédiction, non seulement pour les peuples de la région, mais pour toutes les nations de la terre ».
Olivier Ypsilantis
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