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Notes de lecture (économie) – 13/14

 

Tableau XXXI – Un extrait de l’ouvrage de Ludwig von Mises, « Le Gouvernement omnipotent » (1944) : « A la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d’un esprit plus élevé que leurs sujets, qu’ils savent donc mieux ce qui est profitable à leurs sujets que leurs sujets eux-mêmes. Werner Sombart, jadis champion fanatique du marxisme puis champion non moins fanatique du nazisme, eut l’audace d’affirmer que le Führer recevait ses ordres de Dieu et que l’institution du Führer était une révélation permanente. Quiconque l’admet doit naturellement arrêter de poser des questions sur l’opportunité de la toute-puissance étatique.

Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette justification théorique de la dictature réclament pour eux-mêmes le droit de discuter librement les problèmes en cause. Ils n’écrivent pas état avec un É majuscule. Ils ne reculent pas devant l’analyse des notions métaphysiques de l’hégélianisme et du marxisme. Ils réduisent toute cette phraséologie sonore à une simple question : ces moyens proposés sont-ils convenables pour atteindre les fins poursuivies ? En répondant à cette question, ils espèrent rendre service à la grande majorité de leurs compatriotes. »

 

 

Tableau XXXII – L’École autrichienne d’économie a été poussée de côté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (pour des raisons qu’il me faudrait étudier). Puis elle a commencé à être reconsidérée à la fin des années 1960. Aujourd’hui encore, elle inspire diversement nombre d’économistes et suscite la curiosité d’un public de moins en moins restreint, me semble-t-il. On peut toutefois regretter qu’elle ne soit pas (plus) étudiée dans l’enseignement supérieur. C’est une pensée particulièrement riche et complexe qui désigne de multiples perspectives. On éprouve même une sorte d’enivrement à l’étudier, que ce soit en spécialiste mais aussi en amateur dont je suis. Les penseurs qui se rattachent à cette école – ou tendance – s’accordent au moins sur un point fondamental : l’ignorance des acteurs.

En quoi consiste cette ignorance ? Il s’agit d’une « ignorance de l’inconnu » qui se traduit par un décalage entre les opportunités d’échange disponibles dans une société et les opportunités perçues par ses acteurs en tant qu’individus, un décalage qui trouve son origine dans le fait suivant : il n’est pas possible pour un acteur de connaître a priori les préférences, dotations, savoirs et stratégie d’un autre acteur défini comme subjectif. De ce fait, et ainsi que l’explique Ludwig von Mises, nous sommes tous ignorants de la manière dont les autres évaluent biens et services. Donc, l’analyse économique ne peut prendre appui sur une connaissance achevée des acteurs, ou tout au moins sur une connaissance suffisamment avancée, pour coordonner leurs activités.

La fonction du système des prix permet de réduire cette méconnaissance du marché mais l’existence et la flexibilité des prix monétaires ne l’exclut pas, loin s’en faut. Toutefois, dans tous les cas, elle est beaucoup moins massive que dans une économie socialiste. En effet, l’échange libre permet aux uns et aux autres de débusquer et d’exploiter des opportunités ; mais pour ses participants, ce système laisse à l’écart d’autres opportunités exploitables au même moment ; autrement dit, l’information est toujours supérieure à la connaissance. Pour Peter J. Boettke, ce décalage entre information et connaissance définit le caractère très spécifique de l’École autrichienne d’économie.

La vision autrichienne implique une méconnaissance par les acteurs de l’étendue et des spécificités de leur méconnaissance puisque la nature des échanges possibles n’est à aucun moment prédéfinie dans leur esprit, simplement parce qu’aucun individu ne peut appréhender dans le temps de l’action tout ce qui lui serait utile de connaître. De fait, à tout instant, chacun d’entre nous prend des décisions sans pouvoir avoir connaissance des décisions et des actions que les autres prennent au même moment, hormis ceux qui évoluent dans notre cercle très restreint. Tout échange est donc le fait d’une réalité très limitée dans le temps et dans l’espace, inscrit dans un contexte spécifique et qui de ce fait engage des connaissances spécifiques. Connaître ce qui se passe ici, c’est ignorer ce qui se passe ailleurs. Le marché ne supprime pas l’ignorance, il exprime simplement un processus de découverte.

Chaque prix défini par l’économie de marché n’a donc incorporé qu’une part de l’information disponible et, ainsi, il n’a enregistré qu’une (infime) fraction des opportunités existantes, une analyse qui permet aux membres de l’École autrichienne d’économie de défendre la thèse d’un caractère toujours ouvert de l’environnement social, soit d’un espace toujours à explorer pour chaque individu. Une fois encore, leur conception de l’économique est structurée autour de l’idée que la connaissance est toujours en-deçà de l’information du fait du subjectivisme individuel et de l’évolution spontanée des structures des valeurs. La contrainte d’ignorance ne peut être ignorée, nulle part et à aucun moment. Cette contrainte envisagée dans l’optique des économistes qui se rattachent diversement à cette école est stimulante, elle suppose espace à explorer, liberté donc. La connaissance est invariablement pour ces derniers de l’ordre du privé, non reproductible, et reste contrôlable. Ils estiment que ni la connaissance, ni l’information ne posent de problèmes de droits de propriété ; en conséquence, nul besoin de coopérer ou de faire intervenir l’autorité publique pour réguler le marché. Le message autrichien de l’ignorance (l’ignorance qui, redisons-le, se définit comme la différence entre information et connaissance) est très spécifique et son étude reste riche en propositions.

 

 

Tableau XXXIII – Un extrait de l’ouvrage de Ludwig von Mises, « Nation, État et Économie » (1919) : « Le libéralisme ne s’oppose pas à la guerre agressive pour des raisons philanthropiques mais pour des questions d’utilité. Il s’y oppose parce qu’il considère la victoire comme nocive et ne souhaite aucune conquête parce qu’il la considère comme un moyen non adapté à la réalisation des buts ultimes qu’il poursuit. Ce n’est pas par la guerre et la victoire, mais uniquement par le travail qu’une nation peut créer les conditions nécessaires au bien-être de ses membres. Les nations conquérantes finissent par échouer, soit parce qu’elles sont vaincues par des nations plus fortes, soit parce que la classe dirigeante est culturellement ensevelie par ses sujets. Les peuples germaniques ont déjà autrefois conquis le monde, et pourtant ils ont fini par perdre. Les Ostrogoths et les Vandales disparurent lors des combats, les Wisigoths, les Francs et les Lombards, les Normands et les Vikings furent victorieux dans la bataille mais furent culturellement vaincus par leurs sujets : eux, les vainqueurs, adoptèrent la langue des vaincus et furent absorbés en leur sein. Tel est l’une des deux destinées de tous les peuples dominateurs. Les seigneurs disparaissent, les paysans restent ; comme le dit le chœur de l’Épouse de Messine : “Les conquérants étrangers vont et viennent ; nous obéissons mais restons en place.” À long terme le glaive se révèle ne pas être le moyen le plus adapté pour obtenir la large dissémination d’un peuple. Telle est “l’impuissance de la victoire” dont parle Hegel. Le pacifisme philanthropique veut abolir la guerre sans se soucier des causes de celle-ci. »

 

Tableau XXXIV – Les classiques considèrent l’économie comme une science humaine ; les néoclassiques (ou utilitaristes) comme une science mathématique. William Stanley Jevons (en 1871) et Léon Walras (en 1874), indépendamment l’un de l’autre, ont commencé à travailler à la mathématisation de l’économie. Le précurseur de l’approche mathématique de l’économie est Augustin Cournot (à étudier).

Les néoclassiques ont établi que la valeur venait de l’échange ; mais ils ne sont pas les seuls (voir à ce propos Carl Menger et l’École autrichienne d’économie). Ce qui les caractérise c’est bien leur certitude que l’économie est mathématisable. Les membres de l’École autrichienne d’économie quant à eux ne cesseront de considérer que l’économie est à intégrer à l’étude de l’action humaine, du comportement donc. Mais classiques et néoclassiques partent toujours de l’individu, du concept d’homo œconomicus ; c’est l’individualisme méthodologique : on part de la plus petite entité qui compose la société. L’École autrichienne d’économie applique elle aussi l’individualisme méthodologique mais à des degrés divers. Ainsi considère-t-on parfois que Friedrich Hayek ne l’applique pas. Rappelons que l’individualisme méthodologique est une méthode d’étude de la société, non pas une recommandation de comportement – l’égoïsme – comme les adversaires de cette tendance le laissent sous-entendre.

On a reproché à l’école néoclassique d’être trop abstraite. La mathématisation est certes abstraite, mais les membres de cette école savaient que l’individu ne se réduit pas à l’homo œconomicus. Ils ne voulaient qu’isoler et théoriser les aspects économiques de son comportement et non pas réduire son comportement à ses aspects économiques.

(à suivre) 

Olivier Ypsilantis 

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