Huitième séquence :
J’ai choisi pour cette huitième séquence quatre artistes grecs que j’apprécie particulièrement. Je pourrais en ajouter d’autres. Il s’agit donc d’un choix quelque peu arbitraire, c’est pourquoi je m’emploierai à l’amplifier dans des articles à venir. Ces quatre artistes : Démétrios Galanis, Alec Issigonis, Takis, Janis Kounellis.
Démétrios Galanis (1879-1966). Je ne vais pas retracer ici l’itinéraire de cet artiste ; on trouvera en ligne des informations précises à son sujet. Un article mis en ligne se termine sur ces mots qui ne sont pas outrés : « Il fut l’un des graveurs les plus importants en Europe au cours de la première moitié du XXe siècle et un pionnier pour la gravure grecque. Son œuvre et ses enseignements ont exercé une influence considérable sur ses collègues ».
J’ai commencé à étudier la gravure aux Beaux-Arts de Paris avec un professeur qui avait été en partie formé par Galanis, dans cette même école. Ainsi, d’une certaine manière, ce Grec fut aussi l’un de mes maîtres. Ce Grec fut par ailleurs (je l’ai appris tardivement) un ami d’un ancêtre grec lui aussi installé à Paris.
Galanis ne figure en rien parmi mes graveurs préférés. Je me souviens qu’un ami grec achetait ses gravures chez des marchands d’estampes parisiens (des gravures à l’occasion signées, ce qui ajoutait à leur valeur) pour les revendre dans des galeries athéniennes avec un bon bénéfice. Lorsque je vivais à Athènes, Galanis était très côté car « Grec de Paris », comme l’était Foujita au Japon car « Japonais de Paris ».
Lorsque je pense à Galanis l’une de ses gravures me revient aussitôt, ma préférée : une eau-forte de 1914 aux accents cubistes qui montre son fils Jean-Sébastien petit garçon sur un cheval mécanique. J’apprendrai bien plus tard que ce fils unique, enseigne de vaisseau de 1ère classe né en 1910 et engagé dans les Forces navales françaises libres (F.N.F.L.) périt dans une tempête en 1940 au large de Terre-Neuve à bord d’un cargo.
J’ai découvert ladite gravure chez un marchand d’estampes parisien. Puis je l’ai retrouvée à Athènes, reproduite en affiche dans une taverne. Je n’ai presque pas détaché mon regard d’elle pendant tout le repas.
Démétrios Galanis et ladite gravure
Alec Issigonis (1906-1988). Presque personne ne connaît ce nom mais tout le monde connaît cette voiture charmante entre toutes, une voiture emblématique : la Morris Mini Minor. Il en est le concepteur ainsi que de la Morris Minor, des œuvres d’art en quelque sorte.
Ci-joint, un article très détaillé intitulé « Sir Alec Issigoni (1906-1988), le père de la Mini » :
http://datch.fr/blog-mini/blog/tag/alec-issigonis/
Takis (1925-2019). Takis (de son vrai nom Panagiotis Vassilakis) est mort il y a peu, à l’âge de quatre-vingt-treize ans au cours de l’été 2019. J’ai aimé les sculptures de Takis dès le premier coup d’œil, leur finesse, leur élégance, en particulier ses « Signaux » qui ornent des espaces urbains comme les ornent des sculptures de Claes Oldenburg, Alexander Calder ou George Segal pour ne citer qu’eux. A Paris, j’ai aimé Le Bassin, situé au bas de l’esplanade de la Défense (inauguré en 1988), soit un vaste bassin rectangulaire où sont disposées quarante-neuf sculptures, des sortes de tiges d’une hauteur qui varie entre un peu plus de trois mètres et neuf mètres, sortes de signaux fantasques, élégants et drolatiques comme les sculptures de Jean Tinguely / Niki de Saint de Saint-Phalle dans ce bassin situé à côté du Centre Pompidou, un bassin avec seize sculptures, La Fontaine Stravinsky inaugurée en 1983. En 1990, un autre ensemble de Takis a été inauguré sur l’esplanade de la Défense, Signaux lumineux, qui reprend le principe des tiges métalliques.
Takis l’Athénien dit avoir été impressionné par les radars, antennes et constructions technologiques de la gare de Calais qu’il eut tout loisir d’observer alors qu’il attendait le train. Takis partageait alors son temps entre Paris et Londres. Il se mit à élaborer ses premiers Signaux qui peu à peu s’animeront et s’allumeront. En 1986, il est de retour en Grèce où il fonde non loin d’Athènes le Centre de Recherche pour l’Art et les Sciences, inauguré en 1993.
Plutôt que de vous détailler sa vie et son œuvre, je préfère proposer quelques liens.
Le document suivant rend compte l’exposition-rétrospective Takis, au Musée du Jeu de Paume à Paris, en 1993 :
https://www.youtube.com/watch?v=z9Iqo6JpuSQ
Le document suivant, « Moving sculptures by a pioneer of kinetic art », rend compte de l’exposition à la Tate Modern, à Londres, en 2019 :
https://www.youtube.com/watch?v=y-pc3sPXbfc
Une très belle vidéo (en anglais) à caractère biographique :
https://www.youtube.com/watch?v=Q5ktkR-xSoM
« Le Bassin » sur l’esplanade de la Défense à Paris
Jannis Kounellis (1936-2017). Kounellis quitte la Grèce vers ses vingt ans pour Rome, en 1956. C’est à partir de 1967 que Kounellis devient Kounellis notamment par l’utilisation de matériaux organiques divers – on ne peut que penser à Joseph Beuys. L’usage qu’il fait du feu évoque celui d’Yves Klein avec ses « Peintures de feu », en 1961, au centre d’essai de Gaz de France de la Plaine Saint-Denis. Kounellis appartient à une famille d’artistes dont les préoccupations m’émeuvent ; d’abord parce qu’ils ne s’en tiennent pas au concept – à l’idée, voir l’Art conceptuel – mais le dépasse par l’émotion, la sensibilité. Parmi ces artistes, outre Yves Klein, Joseph Beuys et Takis, je vois Gina Pane et ses performances qui la rattachent au Body Art mais aussi des artistes de l’Arte Povera (auquel se rattache Kounellis) et de l’Actionnisme viennois (Wiener Aktionismus) avec en particulier Rudolf Schwarzkogler, une liste que je pourrais augmenter, avec Michel Journiac et le couple Porier (Anne et Patrick) et ses ruines, sans oublier Christian Boltanski (que je vois comme un frère spirituel de Georges Perec). Mais il y en a d’autres. Par cette sensibilité aux éléments essentiels et à l’organique, au temps qui passe et transforme l’organique, à la fumée (l’un des symboles de la mélancolie), aux vestiges, je décèle une communauté d’ambiance – de sensibilité – entre le Grec Kounellis et le Russe Tarkovski dont certains films me hantent, le mot n’est pas trop fort, comme « Le Miroir » (Зеркало, 1975) et « Stalker » (Сталкер, 1979).
Jannis Kounellis
Olivier Ypsilantis
Merci pour ces séquences grecques. La béotienne que je suis a beaucoup appris en les lisant.
Amicalement
Hanna,
Je suis un béotien quand je vous lis. Petite consolation : le Béotien n’était pas si béotien, la Béotie ayant été le berceau d’Hésiode, de Plutarque, de Corinne, rivale de Pindare, lui aussi un Béotien. 😉