Cinquième séquence :
Octobre 1940, la Grèce est envahie. Mais le combat ne cessera jamais pour les Grecs, tant pour la Résistance que pour les soldats de l’armée régulière, des montagnes d’Albanie aux îles de la mer Égée, des déserts d’Afrique du Nord à l’Italie. De fait, les troupes grecques se battront jusqu’au dernier jour de la guerre, le 8 mai 1945. Parmi ces troupes, les éléments du Bataillon Sacré, (ἱερὸς λόχος), une désignation prestigieuse entre toutes et qui conduit à l’Antiquité, à Thèbes plus précisément ; mais il y eut un autre Bataillon Sacré, bien moins connu et dont l’histoire est non moins passionnante.
Guerre italo-grecque en Albanie, octobre 1940 – abril 1941.
Les Britanniques désignent cette unité combattante de diverses manières, l’une d’elles : The Sacred Squadron. Cette unité se constitue formellement le 6 septembre 1942. Plusieurs raisons expliquent sa formation et l’une d’elles ressort : la nécessité d’une unité militaire grecque strictement militaire et coupée de toutes préoccupations politiques, ces préoccupations qui tant dans la Résistance que dans l’armée régulière compliquent terriblement des affaires terriblement compliquées et portent préjudice à l’efficacité militaire, ce qui irrite les Alliés, sachant que les Grecs sont a priori d’excellents combattants et depuis l’Antiquité.
Au cours de l’été 1942, les autorités helléniques décident de constituer une unité spéciale. Son premier commandant, Antonios Stefanakis, avec cent quarante-trois sous-officiers, quarante soldats et trente hommes pour l’intendance, un noyau auquel viendront s’ajouter des volontaires des différentes armes de l’armée grecque. En septembre 1942, l’unité est transférée en Égypte où deux événements vont orienter sa formation. Tout d’abord la nomination du colonel Christodoulos Tsigantes (Χριστόδουλος Τσιγάντες) à la tête de cette unité. Son implication dans le coup d’État de mars 1935 provoque la réticence de certains membres de cette unité mais il sait les convaincre en mettant en avant sa formation et son expérience strictement militaires.
Christodoulos Tsigantes rebaptise son unité et en collaboration avec David Sterling, le fondateur du Special Air Services (S.A.S.), il la réorganise de fond en comble pour en faire une unité d’élite grâce à l’aide des Britanniques, spécialistes des petites unités offensives, avec notamment le S.A.S. et le L.R.D.G. (Long Range Desert Group). Deux éléments du Sacred Squadron ne tardent pas à être engagés dans les combats, deux opérations de harcèlement conduites sur les arrières de l’Afrika Korps, fin 1942. Mais le rapide redéploiement de l’Afrika Korps empêche ces éléments du Sacred Squadron de les accrocher. Une troisième opération est organisée fin janvier 1943, avec sabotage en coopération avec le S.A.S., contre les forces de l’Axe en Tunisie. Mais elle est annulée. Christodoulos Tsigantes bouillonne et demande personnellement au Field Marshal Montgomery de placer son unité chez les Free French de la Brigade du Général Leclerc, la Force L, qui deviendra la Division Leclerc ou 2ème D.B.
C’est chez les Free French que le Sacred Squadron va connaître son premier vrai engagement et essuyer ses premières pertes, à Ksar Rillan, au sud de la Tunisie, au cours des combats le long de la Ligne Mareth. Ksar Rillan tombe le 19 mars 1943. La Ligne Mareth est débordée par la 8th Army. La ville de Gabes tombe le 3 avril. Le Sacred Squadron est mis à la disposition de la 2nd New Zeland Division. Le 6 avril il prend part à la bataille de Wadi Akarit dont l’intensité est comparable à celle d’El Alamein. Il participe à la libération des villes de Sfax (le 9 avril) puis de Sous (le 12 avril).
Le badge du Sacred Squadron
13-16 avril, le Sacred Squadron opère pour la dernière fois en Afrique du Nord, en effectuant des patrouilles de reconnaissance au cours de la bataille d’Enfidaville (Enfida). Le 17 avril, il est appelé en Égypte. De mai à octobre 1943, il se réorganise en Égypte et en Palestine où ses effectifs passent à trois cent vingt-sept hommes.
Suite à la capitulation de l’Italie, le 8 septembre 1943, Britanniques et Allemands entrent en compétition afin d’occuper la place laissée par les troupes italiennes dans les îles de la mer Égée et de la mer Ionienne. Sur des îles de la mer Ionienne, les garnisons italiennes se rangent aux côtés des Britanniques qui évitent d’engager des forces grecques afin de ne pas mécontenter les Turcs qu’ils espèrent attirer dans leur camp en leur cédant des îles Ioniennes. Lorsque les Britanniques comprennent que les Turcs resteront neutres, ils autorisent des éléments du Sacred Squadron à stationner sur les îles passées de leur côté dès la fin octobre 1943. Les 30 et 31 octobre, deux cents parachutistes du Sacred Squadron sont largués sur Samos tandis que le reste arrive par mer et débarque les 1er et 5 novembre. Les troupes grecques prennent position. La capture de la proche île de Leros par les Allemands, le 16 novembre, menace l’île de Samos. Le jour suivant les Allemands bombardent des cibles non militaires sur l’île de Samos que le commandement britannique décide d’évacuer, une opération d’envergure qui se déroule entre les 19 et 22 novembre.
Le Sacred Squadron poursuit son entraînement jusqu’en janvier 1944. Il est décidé qu’il deviendra un commando qui agira en collaboration avec le 1st Special Service Brigade. La mer Égée est divisée en deux secteurs, un secteur Nord (attribué au Sacred Squadron) et un secteur Sud (attribué au 1st Special Service Brigade, avec les îles du Dodécanèse et des Cyclades ainsi que la Crète). Ces unités sont entraînées à multiplier les actions commandos tant sur mer que sur terre. Le Sacred Squadron est réorganisé en trois unités, chacune placée sous le commandement d’officiers supérieurs grecs chapeautés par le général Christodoulos Tsigantes.
Je n’entrerai pas dans la chronologie exhaustive et dans le détail des opérations menées par le Sacred Squadron dans le secteur de la mer Égée qui leur revient. Ces opérations sont nombreuses et diverses, certaines spectaculaires. Pour les lecteurs francophones, je conseille le livre de Costa de Loverdo : « Le Bataillon Sacré (1942-1945) » préfacé par le Général König. C’est un livre qui prend appui sur une solide documentation, un livre par ailleurs rédigé sur le mode épique qui décrit les actions des commandos de cette unité d’élite qui, entre autres actions, détruisent les chantiers navals de Samos, massacrent la Gestapo à Mitylène, coulent une flottille à Chio, s’emparent du château des Hospitaliers à Symi et du fort de Naxos, neutralisent les canons de Leros (voir les célèbres canons de Navarone, le roman d’Alister MacLean et le film de John Lee Thompson), percent les défenses de Rhodes, et j’en passe.
Des éléments du Sacred Squadron, Tunisie 1943.
Tandis que le Sacred Squadron est toujours actif dans des îles de la mer Égée, le Gouvernement grec en exil l’élève au rang de Commando Regiment sous le nom de “Greek Sacred Regiment”. De juin à septembre 1944, le recrutement et la réorganisation s’intensifient. Les effectifs du “Greek Sacred Regiment” s’élèvent à 1 084 hommes. Il est divisé en deux unités, Force B et Force C, avec un Rear Guard Detachment. La Force C est intégrée aux “Fox Forces” britanniques qui s’apprêtent à débarquer en Grèce continentale suite au retrait allemand, tandis que la Force B est chargée de nettoyer les îles de la mer Égée où se maintiennent des unités italiennes et allemandes.
La défaite de l’Axe entraîne la dissolution du Sacred Squadron qui apparaît pour la dernière fois officiellement en Égypte, le 5 juillet 1945. Il défile en compagnie du Special Service Brigade devant le General Sir Bernard Paget qui adresse les mots suivants aux combattants grecs : « You have proved yourselves worthy of your motto “Victory or Death”. 2,000 years ago the first Sacred Regiment established that motto, and died to save Thebes from the Spartans. 120 years ago the second Sacred Regiment did likewise, and preferred death to surrender. You of the third Sacred Regiment will return to your homes as victors… I wish you all good fortune and God Speed. »
Le 12 juillet 1945, le Sacred Squadron commence à remettre son armement aux autorités militaires britanniques à Alexandrie. Il ne conserve que cinq cents fusils destinés à ses hommes qui doivent débarquer en Grèce. Le 20 juillet, ces derniers accostent au Pirée. Le 7 août 1945, l’étendard du Sacred Squadron et le Brigadier Turnbull sont décorés par l’archevêque-primat Damaskinos d’Athènes et de toute la Grèce, par ailleurs régent du royaume de Grèce. Au cours de cette cérémonie est inauguré à Athènes un monument en hommage à cette unité d’élite, sur le Champs-de-Mars (Πεδίον Άρεως).
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
Merci cher Olivier pour cette belle évocation d’une page de l’histoire grecque que j’ignorais largement, même si j’ai vu et revu les Canons de Navarone!
J’attends la suite avec impatience,
Amitiés
Pierre
Cher Pierre,
J’ai découvert l’existence de cette unité il y a longtemps, et au hasard d’une conversation avec un ancien officier de la 2ème D.B. Elle est de fait très très peu connue et son nom est à lui seul tout un programme, si je puis dire. A bientôt. Olivier