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Friedrich August von Hayek – 2/2

 

Friedrich Hayek dénonce la justice sociale comme un mirage, comme un problème mal posé, à moins qu’elle ne soit envisagée d’un point de vue moral (on y revient), volontaire et personnel. Il trace les contours de la justice sociale et en montre les effets pervers lorsque cette justice est sujette non pas à des normes générales (ces normes sur lesquelles la pensée juive se penche depuis tant de siècles, des normes générales et fondamentales sans cesse étudiées et approfondies) mais à un gouvernement qui prétend agir au nom de l’intérêt général ou social.

Friedrich Hayek est un adversaire affirmé de l’égalitarisme économique et de ses conséquences (on pourrait dire, de ses avatars) : le relativisme moral et l’utilitarisme. Il juge que les normes générales doivent prévaloir non pas pour égaliser ou socialiser mais pour favoriser la spontanéité – les spontanéités. Cette critique de la justice sociale doit être mise en rapport avec l’insistance de Friedrich Hayek à circonscrire une aire indépendante, entre le commercial et le gouvernemental, et ses propositions relatives au développement d’une interaction humaine basée sur des principes et non sur des connivences, celles des gouvernements et des lobbies qui en permanence font diversement pression sur eux.

 

Friedrich Hayek (1899-1992)

 

Cette esquisse demande à être affinée. Friedrich Hayek, prix Nobel d’Économie 1974, me semble rejoindre les vues et l’énergie du judaïsme par son regard, par l’accent mis sur la morale dans un sens infiniment large et profond. Ce représentant majeur de l’École autrichienne d’économie doit être médité à l’heure de la socialisation des sociétés et du pouvoir grandissant de l’État et ses appareils, du poids effrayant de la majorité – majorité toujours plus supposée dans la mesure où les taux d’abstention en démocratie parlementaire ne cessent de battre leurs propres records.

La vision qu’à Friedrich Hayek de l’économie ouvre à l’interdisciplinarité – et elle repose sur une interdisciplinarité. Rien à voir avec Thomas Piketty qui n’est qu’un économiste fonctionnarisé et qui n’en impose (sic) que par les avalanches de détails techniques qui servent d’abord à masquer un manque de souffle. Thomas Piketty n’est en rien un philosophe, Friedrich Hayek est un économiste et un philosophe.

Autre axe passionnant qu’il me faudra explorer, le rapprochement que fait Friedrich Hayek entre l’École autrichienne d’économie et la Escuela de Salamanca, Friedrich Hayek qui ainsi attire notre attention sur les origines ibériques de l’économie de marché, en particulier sur Luís de Molina qu’il estime de ce point de vue être le Jésuite le plus important de son temps. Cet homme intéresse aussi les Libéraux portugais (dont l’auteur sur lequel je m’appuie pour rédiger cet article, José Manuel Moreira) car il a passé une bonne partie de sa vie académique au Portugal.

Friedrich Hayek a été à l’occasion attaqué comme antidémocrate, il fallait s’y attendre… Rien n’est plus faux. Friedrich Hayek n’a jamais fait que dénoncer le mauvais usage qui est fait de la démocratie, la démocratie qu’il n’envisage pas comme un pouvoir illimité, (soit la démocratie illimitée), une démocratie qui au nom de la majorité – au nom du plus grand nombre – se sent autorisée et encouragée à opprimer la minorité. La majorité ne peut être la détentrice d’un pouvoir illimité. Pour Friedrich Hayek, la grande question à venir est de limiter (baliser) le pouvoir démocratique ; non pas de placer un pouvoir au-dessus de la démocratie mais de déterminer avec précision les pouvoirs qu’aucun pouvoir ne doit exercer, y compris les pouvoirs démocratiques, une question pour le moins actuelle pour ne pas dire brûlante et qui n’épargne aucun pays, aucune démocratie, la France en particulier, cette démocratie où l’État et ses gouvernements successifs tendent à vouloir absorber à leur seul profit l’ensemble des énergies nationales.

La pensée de Friedrich Hayek est volontiers falsifiée, rapportée d’une manière simpliste voire caricaturale, et les accusations à son égard ne manquent pas : « père du monétarisme », « gourou de Madame Thatcher », « adepte de l’ultra-libéralisme économique » et j’en passe. Friedrich Hayek, l’homme qui osa affronter John Maynard Keynes alors que les économistes commençaient à se convertir massivement au keynesianisme. Autre calomnie : Friedrich Hayek aurait appuyé le coup d’État de Pinochet puis soutenu son régime. Notons que John Maynard Keynes a lui aussi été victime de simplifications outrancières, surtout de la part de ceux qui s’étaient mis en tête de socialiser la vie économique. John Maynard Keynes a pourtant mis l’accent sur l’efficacité de la décentralisation des décisions et la responsabilité individuelle. Cet économiste est aujourd’hui encore, et peut-être plus que jamais, allègrement utilisé par ceux, nombreux, qui s’emploient à fustiger le libéralisme en faisant dire à l’occasion au maître ce qu’il n’a pas vraiment dit ou en poussant de côté ce qui chez lui pourrait contrarier leur keynesianisme.

Lorsque les économies de marché furent prises par le chômage et/ou l’inflation, le doute s’installa, notamment chez Paul Samuelson (voir « The World Economy at Century’s End) qui se mit à défendre, et à l’occasion violemment, la belle construction à laquelle il avait dédié tant d’efforts. Et ainsi contribua-t-il à répandre, notamment chez les étudiants qui le lisaient, des mensonges – ou tout au moins des erreurs – sur Friedrich Hayek, Friedrich Hayek qui n’était ni un libertaire, ni un conservateur, ni un adepte du laissez-faire. Paul Samuelson ne fut pas le seul à distordre et à fausser la pensée de Friedrich Hayek.

Certains s’interrogent sur le fait que des dictatures, disons « de droite » pour faire simple (voir le cas chilien dans lequel certains ont cherché à entortiller Friedrich Hayek), soient soutenues par ceux qui se déclarent favorables à l’économie de marché. Friedrich Hayek a volontiers critiqué la démocratie, la démocratie illimitée ; néanmoins, il a posé des limites. Je résume sa position : la démocratie est fragile et ses capacités sont limitées. Certains perdent patience et espoir, mais ils doivent se garder de la tentation de mettre leurs idées en pratique et s’en remettre à un génie (genre génie de la lampe). Ils doivent accepter les défauts de la démocratie car certains buts ne peuvent être atteints par un contrôle délibéré sur les êtres humains.

Friedrich Hayek interroge discrètement la démocratie. Il rectifie à sa manière sobre et déterminée cette appréciation, à savoir que le contraire d’un régime totalitaire n’est pas un régime démocratique mais le libéralisme. Une société démocratique n’est pas nécessairement libérale, elle peut être totalitaire. A ce propos, on peut rappeler que Nazi est une abréviation de Nationalsozialist et que la démocratie peut être à l’occasion populaire, Démocratie populaire, ce qui ne présage rien de bon…

Redisons-le : la philosophie économique de Friedrich Hayek, notamment telle qu’il l’exposa au cours des vingt années passées à la London School of Economics, ne peut être limitée à un neoconservatism. Elle est encore moins l’inspiratrice du Tatcherism et du Reaganomics. Désigner Friedrich Hayek comme le « godfather of monetarism » revient à vouloir enfermer un penseur original et franc-tireur dans un espace mesquin et technocratique. L’économiste technocratique par excellence pouvant être représenté, entre autres, par Thomas Piketty, soit un économiste qui aligne les détails mais n’est porté par aucune philosophie – j’insiste. La pensée de Thomas Piketty ne dépasse pas celle d’un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie et des Finances ; c’est Bercy philosophe…

Max Weber et de nombreux penseurs avant lui ont affirmé que l’essence du capitalisme est l’individualisme. Rien n’est moins sûr. Le capitalisme ne prend forme – ne peut prendre forme – qu’à partir du fait social. La sphère individuelle est certes présente mais ce n’est que lorsque se constituent le marché, ses entreprises et ses sociétés que l’on peut évoquer un système capitaliste. L’essence du capitalisme est la communauté, une libre association et coopération entre individus agissant dans un but commun. Le capitalisme doit savoir agréger et mobiliser. Le phénomène social n’est pas le produit de l’individualisme, pas plus qu’il n’est synonyme de collectivisme.

Libéral, libéralisme… Oublierait-on que le libéral dans son sens premier, strict, désigne l’homme généreux, partisan de la liberté politique, économique, religieuse, etc., un homme libre et indépendant ? Oublierait-on que le libéralisme est l’attitude du libéral mais aussi cette doctrine selon laquelle il faut donner au citoyen les meilleures garanties – les meilleures armes – contre l’arbitraire des États et leurs gouvernements ? Malheureusement, des esprits mal intentionnés ou tout bonnement ignorants réduisent le libéralisme au libéralisme économique, soit la non-intervention de l’État dans la sphère économique.

L’authentique libéral recherche la collaboration volontaire avec les autres et le renforcement de la société civile. Rien à voir avec cet individualisme – ce mauvais individualisme, ce faux individualisme – que favorise l’État-providence et qui s’accommode fort bien du socialisme lorsqu’il ne le favorise pas. Car l’individu socialiste délègue la « générosité » à l’État, ce qui lui épargne (dans bien des cas) d’avoir à la pratiquer individuellement, spontanément. On ne réfléchit pas assez à ce fait, notamment en France.

La conception qu’a Friedrich Hayek du libéralisme ne s’appuie pas sur la tradition classique. Il s’agit d’une tentative de restauration des principes libéraux de justice et d’économie politique ainsi que le laisse entendre le sous-titre de son œuvre en trois volumes : « Law, Legislation and Liberty: A new statement of a liberal principles of justice and political economy ». Ainsi que le souligne José Manuel Moreira, il est étrange que même parmi les spécialistes les différences entre les Néo-classiques et l’École autrichienne d’économie continuent à être à ce point ignorées alors que les uns et les autres s’opposent radicalement quant à la méthodologie, ce qui ne les empêche pas à l’occasion d’avoir des positions politiques proches voire identiques.

L’économie néo-classique porte préjudice à la dynamique du système économique en édifiant un monde connu ou tout au moins connaissable. L’École autrichienne d’économie quant à elle a beaucoup à voir avec la théorie du chaos dont les conclusions sont compatibles avec sa méthodologie et ses prescriptions politiques : auto-organisation spontanée, capacité d’entreprendre, destruction créatrice. L’École autrichienne d’économie juge que l’évolution sociale et économique se fait dans un monde désordonné et imprévisible où les agents économiques n’atteignent que rarement et avec précision les objectifs qu’ils se sont fixés. Elle met l’accent sur les processus économiques et non sur les structures existantes.

Olivier Ypsilantis

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