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Quelques mots sur le Brexit

 

Le Brexit ? J’observe depuis le début les manœuvres de Boris Johnson, surnommé BoJo, pour mener le Brexit à son terme. L’homme a ma sympathie et je suis depuis toujours animé par un grand respect pour les Anglais que bien des Français jugent à la légère et, me semble-t-il, avec une pointe de jalousie. Je connais l’entêtement anglais mais aussi la souplesse anglaise, un cocktail qui a permis et permet encore à ce peuple de parvenir à ses fins, un égoïsme bien compris et assumé qui les autorise à pousser leurs pions et à défendre leurs intérêts, des intérêts qu’ils savent circonscrire avec précision. « Charité bien ordonnée commence par soi-même », Charity begins at home ; et c’est mieux que de chevaucher des grands mots et d’emmerder tout le monde avec son verbiage.

 

 

J’ai su depuis le début que le Brexit ne mettrait pas le Royaume-Uni à genoux, que ces insulaires de l’Europe avaient un flair très aigu, que les Brexiters n’étaient pas nécessairement des seniors craintifs occupés à boire leur thé en regardant tomber la pluie derrière leurs vitres. Boris Johnson était moqué pour son physique pataud et sa tignasse blondasse. J’ai immédiatement pressenti le tuff guy, comme l’était Winston Churchill, et j’ai reconnu le gagnant qui masquait sa volonté sous un air débonnaire, en faisant le milkman, par exemple. Regardez-le :

https://www.youtube.com/watch?v=by2pf_1KSog

Le Brexit n’est pas la catastrophe annoncée, ni pour les uns ni pour les autres, et surtout pas pour le Royaume-Uni. Je trouve amusant d’observer Boris Johnson avancer avec détermination contre les fédéralistes européens. A présent, avec cette pandémie, l’Union européenne oublie ses intransigeances, le Royaume-Uni manœuvre et par la voix de Boris Johnson déclare qu’il n’y aura pas de report, que le Brexit doit se faire avant la fin de l’année 2020. C’est l’Europe et son représentant Michel Barnier qui après avoir fanfaronné ou s’être montrés condescendants aimeraient retenir messieurs les Anglais dont on pensait qu’ils allaient regretter une décision prise à la légère. L’Europe, France en tête, a fait montre de beaucoup de suffisance. Quant à moi, l’actuel scénario est bien celui que j’envisageais (et espérais) depuis le début face à cette morgue européenne à commencer par celle d’Emmanuel Macron et son appareil d’État. Les Anglais mènent le jeu, avec Boris Johnson qui impose ses conditions et s’affaire auprès des États-Unis pour un accord de libre-échange, en attendant plus. L’Europe s’inquiète, elle voit un concurrent jugé déloyal à ses portes. Et tout laisse supposer que des accords seront passés sans tarder avec le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, puis avec l’Inde, la Chine et j’en passe. Bref, l’Union européenne qui pensait ramener le Royaume-Uni dans ses filets (et sans mauvais jeu de mots, quand on sait que l’un des principaux problèmes entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est celui des zones de pêche) comprend que le poisson anglais ne se laissera pas prendre de la sorte et qu’il nage à présent vers les eaux du grand large, celles de l’Organisation économique mondiale (O.M.C.). Boris Johnson semble même s’amuser. Cette pandémie pourrait le servir dans une Europe inquiète qui s’efforce de cacher son inquiétude derrière des propos intransigeants. Mais qu’a-t-elle à proposer ? Pas grand-chose.

Le Royaume-Uni a des raisons de s’inquiéter du chemin qu’emprunte l’Europe car il ne s’agit pas uniquement d’économie. Depuis que Napoléon a traité (ou aurait traité) les Anglais de boutiquiers, les Français considèrent ces derniers avec un léger dédain. Ils ont tort. Lisez le début de cet excellent article (daté du 3 mars 1951) intitulé « Une nation de boutiquiers » d’un certain Jean Lequiller qui met les points sur les i : « Dans un mouvement dédaigneux Napoléon traita un jour les Anglais de “boutiquiers”. Ils en rient encore. De fait le contresens était gros. Ce général – la chose, assure-t-on, est fréquente – connaissait mal son économie politique et nourrissait sur le monde des affaires les préjugés d’un jeune provincial. S’il avait pris la peine de lire les œuvres d’Adam Smith, ou s’il s’était entretenu plus souvent avec les Richard et les Lenoir, il aurait su que le boutiquier est au commerçant ce que le peloton des élèves caporaux est à l’École de guerre. C’est une remarque fort juste que présente Bertrand de Jouvenel dans ses « Problèmes de l’Angleterre socialiste » : le boutiquier attend le chaland derrière son comptoir et fait modestement de modestes affaires ; le commerçant parcourt le monde entier, est à l’affût des inventions, prend des risques et sait lire les cours boursiers de Chicago, de Johannesburg et de Zurich. La distinction est importante, comme le Petit Caporal l’apprit à ses dépens. Ce ne sont pas des boutiquiers qui auraient fondé le plus vaste empire de l’histoire. En fait, au moment même où Napoléon les moquait de cette façon, les Anglais inventaient le système fiscal qui leur permit de financer leur effort de guerre, et les premiers en Europe qui appliquaient les techniques nouvelles de la révolution industrielle. ». Il me semble que par « les Richard » et « les Lenoir », Jean Lequiller fait allusion à François Richard dit Richard-Lenoir (1765-1839), cet industriel et manufacturier qui devint l’un des principaux négociants en coton au début du XIXe siècle.

Les Anglais sont donc des commerçants (et non pas des boutiquiers) qui ont par ailleurs fait presque toujours mordre la poussière à leurs ennemis. Ce sont d’excellents soldats plus soucieux d’efficacité que de gloire. Il est vrai que lorsque je dis « Anglais » je commets une grave erreur, car la force des Anglais tient aussi et en grande partie aux Écossais et aux Irlandais sans oublier les plus discrets Gallois ; alors disons : les Britanniques.

Mais j’en reviens à mon sujet, le Brexit. On sait qu’il a été en partie provoqué par la décision d’Angela Merkel d’accueillir d’un coup environ un million de migrants à partir du 5 septembre 2015. J’ai pour cette femme le plus grand respect ; je me permettrai simplement de dire qu’elle a pris en la circonstance une décision sans en mesurer les conséquences, des conséquences en partie prévisibles. Cette décision a activé la volonté du Royaume-Uni de quitter l’Europe ; puis ce pays a pris note des discordances au sujet de l’immigration dans l’Union européenne, du manque de coopération entre ses pays membres sur cette grave question. Je ne vais pas rappeler ici des faits dont tout le monde se souvient. Pour l’heure on contient à grand peine et imparfaitement le très néfaste Erdogan à coups de millions d’euros ; mais ce néfaste sait qu’il peut à tout moment activer l’arme du chantage contre les frontières de la zone de Schengen.

La question de l’immigration telle qu’elle est trop souvent gérée (à la va-vite, sans concertation, sans coopération sérieuse et dans des poussées démagogiques) est une question majeure pour l’Europe, ces insulaires que sont les Anglais l’ont compris et bénéficient du fait de leur insularité d’un recul qui leur donne une vision plus large. Erdogan a qui on a refusé l’Europe (une Europe qui n’aurait plus ressemblé à rien avec ce néfaste) sait que le contrôle qu’il a sur les vannes de l’immigration reste son principal atout. Il a perdu par ailleurs sur toute la ligne et ses déconvenues ont commencé lorsqu’il a donné son appui à Mohamed Morsi, issu comme lui de la mouvance islamiste. L’Union européenne godaille, elle se perd dans des rêveries de type fédéraliste avec quotas d’accueil pays par pays. Les pays du groupe de Visegrád, pour ne citer qu’eux, sont en embuscade. Les Turcs n’ont pas leurs faveurs et on les comprend, surtout avec un dirigeant turc qui n’a cessé de réislamiser l’appareil d’État à commencer par l’armée.

L’appartenance d’Erdogan à l’O.T.A.N. complique l’affaire et j’espère ce jour où la Turquie en sera congédiée. Je porte même ce rêve fou d’une Turquie dépecée avec une partie de son territoire donnée à un Grand Kurdistan. Le traité de Schengen prévoit des procédures de crise, des procédures à renforcer si la situation l’exige. Face à Erdogan la fermeté doit être sans faille ; mais cette fermeté n’est possible que si on sait quoi défendre plutôt que se draper dans des abstractions à caractère universaliste qui ne suffisent plus à cacher une affreuse nudité, une indigence mentale, une volonté qui s’effondre, sans repère. Bref, le Royaume-Uni a compris que la situation peut à tout moment échapper aux dirigeants européens.

Le Brexit pourrait être suivi d’autres exits et pour diverses raisons dont l’immigration. L’actuelle pandémie accentue les tensions entre pays, entre les pays du Nord de l’Europe et ceux du Sud de l’Europe, un groupe dont la France tend à se rapprocher considérant l’état de ses finances publiques et l’habitude prise par ses gouvernements successifs de vivre de l’endettement. La tension grandit aussi avec le groupe de Visegrád (un groupe informel qui regroupe la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie) qui, il y a peu, a proposé à la Grèce submergée par un afflux d’immigrés lâchés par Erdogan d’envoyer des troupes afin de l’appuyer.

L’actuelle pandémie pousse Boris Johnson à vouloir quitter l’Europe au plus vite, ce qui effraye l’Europe et son représentant Michel Barnier. Il sent que la zone Euro (à laquelle son pays n’a jamais appartenu) est terriblement fragilisée, que les lézardes dans le système Euro se sont élargies, que l’endettement et le dialogue de sourd au sujet de la mutualisation de la dette (mantra d’Emmanuel Macron) va creuser les divergences et que la question de l’immigration risque de créer des fractures irréparables entre les membres du Conseil européen.

Ce divorce qui met fin à une union formalisée en 1973 pourrait être une occasion pour l’Union européenne de se réformer, soit freiner cette tendance qui par une dynamique interne la pousse à se saisir toujours plus de questions de politique générale et à imposer sa régulation au détriment des mécanismes de compétition économique et institutionnelle. Il me faudrait lire l’essai de Pierre Manent (publié en 2006) dans lequel est analysée la gouvernance européenne et ses problèmes, une gouvernance qui semble s’organiser sur l’oubli de l’histoire des peuples et des nations qui s’est construite sur tant de siècles. La gouvernance européenne flotte en elle-même ; elle manque de corps tout simplement. Nous sommes las des experts et des spécialistes qui, hormis leurs compétences particulières (respectables mais limitées), n’ont aucune vision d’ensemble – n’ont aucune vision tout simplement – et ne font que ressasser de « grandes idées », des abstractions comme celles qu’affectionnait la Révolution française, la deuxième, celle qui à partir de 1790 se détache de la révolution anglaise (voir Guglielmo Ferrero). Au fond, l’Angleterre ne rappellerait-elle pas à l’Europe, France en tête, qu’il faut cesser de se saouler de grands mots ? Ne doit-on pas enfin considérer que le fameux « égoïsme » anglais est sage et modeste, qu’il a entre autres qualités celle de nous prémunir des idéologies et leurs grands mots ? On a trop asservi et massacré les peuples au nom de ces grands mots. On a trop asservi et massacré les peuples…. au nom du Peuple…

Le Brexit n’aura-t-il pas entre autres effets positifs de rappeler les peuples et les nations à leurs réalités ? N’a-t-on pas observé que ce phénomène de la montée des populismes, qu’ils soient de gauche ou de droite, peu importe, tient en grande partie à un effondrement de la confiance constitutionnelle ? D’où la demande toujours plus pressante de plébiscites – soit l’intervention directe du peuple en politique. Je fais usage du mot « populisme » tout en remarquant que ce mot est en passe de devenir lui aussi un mot fourre-tout, en remplacement du mot « fascisme » usé jusqu’à la trame – mais qui est encore utilisé à l’occasion – en dernier recours – par les sluggish brains ; sluggish de slug, la limace.

Autre effet positif du Brexit, établir en Europe une sorte de Singapour européen capable d’activer une concurrence et, ainsi, contrarier ce rêve français d’une fiscalité européenne – et pourquoi pas mondiale sur le modèle français ?! Bref, le Brexit pourrait être une victoire du libéralisme et de la liberté (des peuples et des nations) contre un socialisme européen voire mondial. Espérons donc que le Brexit favorise la concurrence économique et fiscale, une alliance entre le fractionnement politique et le libre-échange économique. L’économique et le politique pourraient ainsi marcher main dans la main et s’entraîner mutuellement et non se chamailler sans cesse. J’espère que les eurosceptiques et des Exiters défenseurs de la prospérité (liberté) économique et des libertés publiques auront le dessus sur les eurosceptiques et les Exiters partisans du repli sur soi, du protectionnisme version dure et d’un étatisme renforcé voire forcené. La crise des migrants ne doit pas protéger des frilosités, avec obsession de l’identité, mais inviter à plus de libéralisme, plus de concurrence, ce qui ne doit pas empêcher par ailleurs le contrôle des migrants. Les grands mots, ces armes de la démagogie, ne doivent plus servir à ceux qui les manient si généreusement pour se gonfler d’importance et sauter d’un bond sur la plus haute marche du podium de l’excellence morale.

Je n’espère en rien un Brexit grognon, replié, mais un Brexit qui renoue avec le Commonwealth et qui secoue cette Europe qu’espère le jacobinisme, une tendance que je vomis et qui se retrouve aussi bien chez La France insoumise qu’au Rassemblement national (Front national) – ces alter egos, tout au moins dans le domaine économique ; car à quoi aboutirait-on alors ? A l’affaiblissement d’une sorte de super-État (européen) et au renforcement des États nationaux. Belle affaire ! C’est aller d’un étatisme à un autre, autrement dit de Charybde en Scylla.

Le Brexit a été voté par des citoyens conscients. Pas besoin de revenir sur cette question comme voulait le faire le très néfaste Jeremy Corbyn dont les dessous dégagent par ailleurs des remugles antisémites. J’espère simplement que l’Union européenne saura intégrer les critiques que véhicule le Brexit, ce qui devrait la conduire à démocratiser son fonctionnement et, surtout, à donner plus de souffle à l’économie, à des économies trop souvent navrées par les étatismes et leurs administrations.

Vive le Brexit and God Save the Queen

Olivier Ypsilantis

4 thoughts on “Quelques mots sur le Brexit”

    1. Pierre,
      Pour ne rien te cacher, j’ai redécouvert ton article que j’ai relu attentivement après avoir rédigé le présent article (au cours du confinement). Je me suis rendu compte que nous avions une vue convergente sur la question. J’ai même pensé mettre ton article en lien et me suis repris car je craignais de trop « charger la barque ». J’ai donc préféré m’en tenir à des considérations plutôt d’ordre interne.
      Mais ton article met l’accent sur un point auquel je suis très sensible : le Brexit à sa manière pourrait faire baisser l’arrogance européenne (France en tête) envers Israël. L’arrogance française (et plus particulièrement à ce sujet) me donne de l’urticaire, je n’exagère pas.

    1. Merci Hanna (je suis curieusement toujours tenté d’ajouter un “h” à votre prénom). J’ai trouvé cette expression “sluggish” pour la première fois dans je ne sais plus quel livre. Il y était question d’une rivière au cours lent et décrivant de nombreux méandres. J’aurai une question à vous poser concernant votre dernier article. Shabbat shalom (avec un peu de retard). Olivier

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