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Quelques considérations économiques – 8/12

 

Run for your life from any man who tells you that money is evil. That sentence is the leper’s bell of an approaching looter. Ayn Rand

There is a level of cowardice lower than that of the conformist: the fashionable non-conformist. Ayn Rand

 

L’intérêt particulier que j’ai très vite porté aux Classical economics, une tendance initiée par la publication de « Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations » (1776) d’Adam Smith. Ses plus importants représentants, outre Adam Smith : David Ricardo, Thomas Malthus, James Mill, John Ramsay McCulloch, John Elliott Cairnes dont l’ouvrage « The Character and Logical Method of Political Economy » (1857) ferme ce cycle. Dans cette tendance (je n’ose dire « école »), on peut inclure le Français Jean-Baptiste Say. Si ses principaux représentants sont britanniques, cette « école » traduit l’orientation dominante de la pensée économique dans la première moitié du XIXe siècle et dans tous les pays.

Adam Smith l’Écossais voyage sur le Continent en compagnie du jeune duc de Buccleugh et entre en relation avec les physiocrates, en particulier Turgot. Il est de retour en Écosse en 1767 et s’installe sur sa terre natale, Kirkcaldy, où il va écrire son œuvre fondamentale.

L’œuvre d’Adam Smith a un caractère synthétique marqué, avec présentation équilibrée. Il a su fondre dans un vaste système les idées majeures de ses prédécesseurs grâce à son style et à son sens de l’analyse. Il les reprend mais les dépasse. Il débute avec les physiocrates, Turgot et François Quesnay. Il retient ce qu’il estime juste (le libéralisme, les idées relatives à la distribution, au rendement et au commerce) et rejette ce qu’il juge erroné, comme le rôle prépondérant de l’agriculture. Il repense ce qu’il juge devoir être repensé.

 

 

Parmi les auteurs qui ont le plus influencé Adam Smith, Francis Hutchinson, un Écossais lui aussi, auteur de « A System of Moral Philosophy », ouvrage dans lequel se profilent des idées (parmi lesquelles la division du travail) qu’Adam Smith développera. Autre influence majeure, David Hume, un philosophe qui dans ses « Essays Moral, Political, and Literary » a laissé des considérations relatives à l’économie. Citons également Bernard de Mandeville. Adam Smith se nourrit donc d’influences dont il ne se cache pas, et il en fait son miel. Il en retire ce qu’il estime être le meilleur et délaisse le reste.

Adam Smith juge que la conduite humaine est conditionnée par six facteurs : l’amour propre, la sympathie, la soif de liberté, l’instinct de propriété, la propension au travail et la propension à l’échange. Aussi chaque homme est-il le meilleur juge de ses propres intérêts.

Déterminer l’origine de la richesse a été des siècles durant la préoccupation majeure des économistes. Pour les mercantilistes, elle réside dans le commerce. Pour les physiocrates, dans l’agriculture. Pour Adam Smith, c’est le travail annuel fourni par chaque pays, travail qui lui procure ce qui est nécessaire à son existence. Le travail, vraie source de richesse, ne se limite pas à celui de la terre, c’est le travail de tous les membres d’une même nation, sans exception. Voir ce qu’il écrit à ce sujet et d’une manière très imagée dans le Livre I du Tome I de « Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations ». Cette remarque économique et sociale fondamentale conduit Adam Smith à la théorie de la division du travail (division of labor), une théorie alors très novatrice. En conséquence, l’impôt ne doit pas peser sur une seule catégorie du travail mais sur toutes les catégories.

A partir de cette théorie Adam Smith pose que le travail est le vrai créateur de richesse ; et que c’est la somme du travail (toutes catégories confondues) qui explique le niveau de prospérité d’une nation. On lui doit également la distinction précise entre valeur d’usage (value in use) et valeur d’échange (value in exchange). Et il attire l’attention sur le fait que certains biens qui ont une grande valeur d’usage peuvent avoir une valeur d’échange presque nulle.

Adam Smith appuie son optimisme économique sur sa croyance (partagée par les philosophes d’alors) en un ordre naturel, naturel et donc juste. Cette idée sous-tend tous les chapitres de son livre majeur ; elle diffère néanmoins de l’« ordre naturel » des physiocrates. Le naturalisme optimiste d’Adam Smith (et d’autres) l’incite à préconiser une politique d’entière liberté économique, comme la préconisent les physiocrates. Mais chez Adam Smith, cette idée d’« ordre naturel » a un aspect psychologique marqué. Il juge que l’activité économique maintient le progrès naturel et, ainsi, corrige les extravagances des gouvernements et les erreurs de l’administration. Cette croyance en une spontanéité naturelle de l’économie trouve son corollaire dans cette autre croyance selon laquelle l’offre s’adapte naturellement à la demande.

La doctrine d’Adam Smith repose sur une base psychologique : l’intérêt individuel. C’est à partir de cette base qu’il explique comment les besoins humains peuvent être satisfaits par la division du travail, qui augmente considérablement la productivité de chacun, ainsi que par le mécanisme des prix qui adapte automatiquement l’offre à la demande. C’est donc à partir de cette base qu’il élabore une théorie économique, le libéralisme, le laisser-faire. Il estime qu’aussi longtemps que l’homme ne transgresse pas les règles de la justice, celui-ci est absolument libre d’agir selon son propre intérêt avec son travail et son capital, en concurrence avec tout homme ou classe d’hommes. Il défend par ailleurs l’idée que l’État ne doit en aucun cas intervenir dans la vie économique, une intervention qu’il juge inutile, l’État de par sa nature n’étant pas compétent en la matière. Poursuivant son raisonnement, il juge que la liberté économique doit dépasser les frontières d’une nation et, de ce fait, il dénonce le protectionnisme.

 

 

Ils sont trop nombreux à camper dans la distinction droite/gauche, en France surtout où l’on s’affaire à poursuivre le citoyen pour lui coller une étiquette : DROITE ou GAUCHE, avec des nuances certes, mais toujours à l’intérieur de ces deux gros paquets censés contenir tout le pays. Pour ma part, je suis mal à l’aise car je ne me retrouve dans aucune de ces étiquettes. Je peux sur un point précis, limité, me sentir à l’occasion plus ou moins ou franchement en accord avec une idée de droite ou de gauche, parfois même d’extrême-droite ou d’extrême-gauche. Il est certain que, généralement, je me retrouve plutôt dans des courants minoritaires, voire ultra-minoritaires. En tant que sioniste déclaré ne suis-je pas déjà membre d’une minorité ? Mais, rassurez-vous, il ne va pas être question de sionisme dans les pages qui suivent mais d’une tendance (ultra) minoritaire qui a pour nom libertarianisme.

 

La philosophie libertarienne est complexe, très complexe, rien à voir avec ce que nous servent les partis politiques, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Cette philosophie s’est constituée sur près de deux siècles et elle ne cesse de s’enrichir. C’est aussi pourquoi elle n’attire pas les foules car les foules paressent et se laissent bercer par les démagogies. Le libertarien ne fait pas de bruit. Il n’aime pas l’esclandre. Il ne cherche pas à faire des émules. Il écoute plus qu’il ne parle. Mais si on l’interroge sur son engagement, il l’exposera, calmement, sans provocation, et pourra même devenir assez bavard.

Mais qu’est-ce que le libertarianisme ? Le curieux trouvera de nombreuses définitions en ligne, à commencer par celle de Wikipédia qui n’est pas mauvaise mais demande à être complétée – il est vrai que le sujet fort vaste est constamment enrichi par de nouvelles générations de libertariens, des personnalités volontiers plus pensantes et aiguës que l’homme simplement de droite ou simplement de gauche – ce dernier ne faisant plus que réciter des mantras lorsqu’il ne vomit pas son repas.

Brièvement. Le libertarianisme met la liberté individuelle au centre de ses préoccupations, une liberté accompagnée de la notion de « droit naturel », soit les droits que chaque individu possède du fait de son appartenance à l’humanité et non de son appartenance à la société dans laquelle il vit. La liberté, le droit de propriété et l’égalité sont des composantes du droit naturel qui est considéré comme inné, inaltérable et universellement valable. De ce fait, l’État est envisagé comme un danger qui rôde autour et plane au-dessus de ces libertés. Le libertarianisme n’est pas un mouvement politique ni même une doctrine ; il est trop complexe et, dirais-je, subtil pour être désigné de la sorte. Il s’agit plutôt d’une philosophie, d’une éthique même, d’un mode de vie aussi.

Le libertarianisme n’est pas exclusivement anglo-saxon même s’il est très présent dans les pays du Commonwealth. L’utilitarisme et le pragmatisme, chers aux Anglo-Saxons, se retrouvent dans le libertarianisme. Le livre qui expose le libertarianisme de la manière la plus rigoureuse et complète est probablement « The Ethics of Liberty » de Murray N. Rothbard. J’en conseille donc la lecture à ceux qui veulent comprendre par le détail ce qu’est le libertarianisme et qui ne veulent pas se contenter des définitions réductrices que les idéologues – ces paresseux – s’évertuent à plaquer sur tout ce qui n’entre pas dans leur (étroit) cadre mental.

Parmi les grands noms qui chacun dans leur style se rattachent au libertarianisme, outre Murray N. Rothbard, Charles A. Murray, Robert Nozick et Ayn Rand. Dans la sphère économique, le libertarianisme porte une attention toute particulière sur l’École autrichienne d’économie (ou École de Vienne), autre très vaste sujet. Je vous propose cette présentation simple et neutre éditée par l’Institut Coppet :

https://www.institutcoppet.org/ecole-autrichienne/

Le libertarianisme est méconnu en France ; lorsqu’il est connu c’est le plus souvent superficiellement et avec des idées préconçues, et il suscite des réactions de méfiance voire de rejet. Il est rare que le libertarianisme séduise dans un pays où l’État est historiquement particulièrement imposant et centralisateur. Il est considéré comme une bizarrerie, une excentricité anglo-saxonne, voire une subversion. La factualité et le pragmatisme s’exportent mal dans un pays où l’on goûte la polémique avec opinions marquées, avec dichotomie gauche/droite, dans un pays où la passion vient trop souvent perturber la réflexion, où le désir de briller l’emporte malheureusement trop souvent. C’est toute la différence entre l’historien anglo-saxon, britannique surtout, qui observe aussi scrupuleusement que possible pour rendre compte, et l’historien français qui se hâte volontiers vers un jugement. « Atlas Shrugged » d’Ayn Rand, publié en 1957, n’a été officiellement traduit en France qu’en 2011. Il est vrai que le chef-d’œuvre de Henry Miller, « Tropic of Cancer », a été publié en France en 1934 et ne sera publié aux États-Unis qu’en 1961 et aussitôt poursuivi pour obscénité. Car si la France est plutôt tolérante envers tout ce qui touche aux histoires d’alcôves, elle semble l’être moins envers tout ce qui touche à l’État, la protection sociale institutionnalisée, le libéralisme économique et j’en passe. « Atlas Shrugged » a été un best-seller aux États-Unis et durant de nombreuses années. Ce livre ne pouvait qu’effrayer le public français.

Pourtant, le libertarianisme moderne doit beaucoup à des penseurs français. Tout d’abord, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 cimente les bases de ce que l’on nomme aujourd’hui « le droit naturel », et Frédéric Bastiat (1801-1850) reste une figure majeure. Le libertarianisme lui doit beaucoup et les États-Unis le savent. Il reste boudé dans son pays où le mot libéralisme est jugé très négativement, comme une arme donnée au fort pour écraser le faible. Bref, ses thèses sont mal comprises et d’autant plus que le préjugé tient trop souvent lieu en la circonstance de connaissance.

Pour le libertarien, la société n’a pas à imposer quoi que ce soit à un individu quel qu’il soit aussi longtemps qu’il ne contrevient personnellement au droit naturel de l’autre. Lui seul décide de son comportement et la société n’a pas à l’ostraciser. Le principe de non-agression concerne tout le monde sans exception. La seule violence admise est la légitime défense, soit la défense des libertés ou des biens d’un individu menacés par un autre individu ou un groupe d’individus ; car le libertarien considère que la propriété n’est pas moins importante que la liberté ; la propriété soit, outre son propre corps, des biens obtenus de manière juste, notamment par l’achat, le troc ou la donation. La propriété est une partie de l’être. Comme on ne peut réduire un autre homme en esclavage, on ne peut le spolier de ses biens. Notons que sur ce point, le libertarien s’oppose au libertaire (un cousin éloigné) et au liberal socialism.

Il est difficile de cerner le libertarien car son individualité passe toujours avant le groupe. Le libertarien est un anti-communautariste dans la mesure où il considère que les particularités d’un individu (couleur de peau, sexe et inclinaisons sexuelles, convictions politiques, religieuses, etc.) ne peuvent en aucun cas, ni sous aucun prétexte, le priver de ses droits naturels ou lui accorder des privilèges, autrement dit d’en faire un assisté. Stéphane Geyres le libertarien note : « Le plus grand bonheur de toute minorité : être considérée comme tout le monde, par l’absence d’attention particulière et le plein respect de sa normalité ». On imagine la répulsion qu’une telle remarque peut provoquer en France.

Ci-joint, un tableau très explicite et qui évitera de longs discours. En le consultant, on comprendra que les opérations d’étiquetage auxquelles se livrent trop souvent les Français, avec cette distinction toujours très prisée : gauche/droite, vont être découragées. La branche californienne du Libertarian Party (L.P.) a donc élaboré le schéma ci-dessous. Y figurent les valeurs sociétales prônées au quotidien par ses membres :

 

 

Le libertarianisme défend donc des Left Ideals et des Right Ideals, il intègre des idéaux économiques (abusivement) classés à droite et des idéaux sociétaux (abusivement) classés à gauche. Les libertariens, ces farouches individualistes, n’ignorent pas que l’union fait la force, c’est aussi pourquoi ils savent se regrouper afin de défendre le respect des droits naturels. Ainsi des Partis libertariens se sont d’abord constitués aux États-Unis et dès les années 1970. Le phénomène sera plus tardif en Europe puisqu’il prendra forme dans les années 2000-2010. En avril 2017 est fondé le Parti Libertarien Français.

« Reason » est un magazine mensuel édité par la Reason Foundation, un think tank américain dont je mets l’excellent site en lien :

https://reason.com/

Tous les partis libertariens luttent à leur manière (sans la moindre violence et uniquement par la réflexion) contre l’État dont ils réclament sinon la disparition, tout au moins une sérieuse cure d’amaigrissement.

Olivier Ypsilantis

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