« ¡Viejos olivos sedientos / bajo el claro sol del día, / olivares polvorientos / del campo de Andalucia! / ¡El campo andaluz, peinado / por el sol canicular, / de loma en loma rayado / de olivar y de olivar! » Antonio Machado
« Bueno es saber que los vasos / nos sirven para beber; / lo malo es que no sabemos / para qué sirve la sed. » Antonio Machado
Feuilleté « Diario íntimo » de Miguel de Unamuno, un livre que j’ai lu il y a une trentaine d’années, dans des gares ferroviaires et routières d’Espagne et du Portugal. Magnificence du style qui ne pouvait que séduire un amoureux du castillan. Il est vrai qu’une certaine fureur chrétienne me fatiguait, mais la mièvrerie était résolument absente de ces pages et le style flamboyait. Je resterai donc à jamais reconnaissant à Miguel de Unamuno de m’avoir immergé dans cette langue somptueuse, langue de tant de poètes et de mystiques. J’avais seize ans lorsque je voyageai en Espagne pour la première fois, à bord de trains qui ferraillaient, tirés par des locomotives diesels qui soufflaient — et souffraient me semble-t-il — sous le soleil de la Meseta Central. Le souffle brûlant de leurs moteurs arrivait parfois jusque dans les wagons où les femmes agitaient leurs éventails. Les voyageurs m’invitaient volontiers à partager leur repas. Ainsi, je me souviens de tortillas cuites à point et qui aujourd’hui encore suffisent à me dire toute l’Espagne. Il me fallait boire le vin de la bota, un rituel auquel l’invité devait alors se soumettre. Pas facile, d’autant plus qu’à mon manque d’expérience s’ajoutaient les secousses du train. Beber de la bota ? :
https://www.youtube.com/watch?v=8intBgtafX4
L’un de mes premiers émerveillements espagnols, le Corral de Comedias de Almagro (XVIIe siècle), Castilla-La Mancha, un proche parent des théâtres élisabéthains.
Ces souvenirs espagnols amènent des souvenirs roumains, ferroviaires eux aussi, des souvenirs des années 1980. Je me souviens de cette belle paysanne, la quarantaine, peau brunie et grands yeux bleus, avec foulard à fleurs noué autour de la tête. Elle me prit sous sa protection, avec une autorité maternelle, et me fit avaler plusieurs œufs durs. C’était un peu bourratif mais la nourriture était rare dans la Roumanie de ces années ; et j’étais las du chou bouilli. Je pense encore à elle avec émotion. Et je revois cette Roumanie aux terres si riches mais où la faim travaillait discrètement les estomacs, au moins ceux qui n’appartenaient pas à la nomenklatura.
L’Espagne ! J’y reviens ! J’ai dans ma poche le petit livre de Luis Carandell, « Madrid ». En première page, on peut lire : « Pero (Madrid) nunca ha dejado de ser, si puede existir este título, la capital del ambiente ». C’est vrai, mais toute ville ne se définit-elle pas d’abord par son ambiance, une ambiance à nulle autre pareille ? Die Stimmung, un mot qui ne cesse de revenir dans « Hebdomeros » de Giorgio de Chirico, l’un des maîtres de l’ambiance. L’ambiance, cette chose à laquelle l’art sous toutes ses formes s’efforce de donner voix. L’ambiance particulière de chaque ville, de chaque village, de chaque maison, de chaque pièce, l’ambiance qui comme une vague nous roule en elle.
Luis Carandell nous signale que l’ambiance de Madrid tient d’abord au fait que cette ville « es un ‟invento”, un artificio ». Il est vrai que peu de capitales sont nées de la sorte, au milieu de rien de presque rien : « En un páramo y a orillas de un arroyo ». La plupart des grandes villes (et pas nécessairement des capitales) sont nées au bord de la mer, au fond d’un estuaire (Londres, Saint-Pétersbourg, Lisbonne, etc.) ou d’un fleuve, d’une rivière (Paris, Cordoue, Bagdad, etc.). Madrid la continentale, placée au centre d’une meseta d’une inquiétante austérité : comment une telle population parvient-elle à survivre — à boire — au milieu d’un tel désert ?
Lorsque je pense à l’histoire de Madrid me vient d’abord le « Madrid ateniense » pour reprendre l’expression de Ramón María del Valle-Inclán, en particulier la Residencia de Estudiantes (la « Resi ») fondée par Alberto Jiménez Fraud, disciple de Francisco Giner de los Ríos, lui-même fondateur de la Institución Libre de Enseñanza (ILE). La Residencia de Estudiantes fut le point de rencontre de toute une génération d’intellectuels. Particulièrement impressionnante est la liste de ceux, tant espagnols qu’étrangers, qui entre 1915 et 1936 y donnèrent des conférences. Parmi eux, Ortega y Gasset, Unamuno, Menéndez Pidal, Einstein, Bergson, Chesterton, Ravel, Stravinsky, etc.
Ci-joint et respectivement, un très riche lien intitulé « Francisco Giner de los Ríos y los pedagogos de la Institución Libre de Enseñanza » et un reportage de la RTVE pour le centième anniversaire de la Residencia de Estudiantes :
http://www.uhu.es/cine.educacion/figuraspedagogia/0_ginerdelosrios.htm
On estime qu’entre 10% et 15% des mots espagnols sont d’origine arabe. Ci-joint, quelques mots qui me sont venus au cours d’une marche et que j’ai pris soin de noter : alcachofa, almibar, zaguán, alicate, barranco, almena, azafata, zahorí, corcho, zagal, azahar, azotea, jarra, jinete, colmena, marfil, zanja, aceite, zumo, arrabal, zarza, jaque, huche, almuerzo, aljibe, almohadilla, almohada, almazara, zanahoría, etc. Et la toponymie ! Les noms de villes et de villages d’origine arabe sont répandus dans (presque) toute la péninsule. Ils sont particulièrement nombreux dans la province d’Alicante et de Valencia : Beniparrell, Benimuslem, Benillup, Benijófar, Almuñécar (province de Granada), Almussafes, etc.
Feuilleté des revues dans un café de Granada. On parle beaucoup de Theodor Morell, le médecin plus ou moins charlatan de Hitler. Le public apprendra que le Führer souffrait notamment de flatulences, de coliques et de constipations. Theodor Morell a tenu des listes très précises de tout ce qu’il administrait à son patient. Cette manie IIIe Reich de tout annoter, tout ! Une manie qui se retrouve jusqu’au cœur du système concentrationnaire. Les recherches de Norman Ohler dans l’historique médical de Hitler et de son armée. Titre de son livre : « Der totale Rausch: Drogen im Dritten Reich ». La valeur scientifique de ses conclusions ? Il est vrai que les hommes qui souffrent de problèmes de l’appareil digestif sont volontiers de mauvaise humeur voire agressifs. Martin Doerry est l’auteur d’un article très critique (dans « Der Siegel ») envers ce livre où Norman Ohler affirme, entre autres choses, que le Führer avait perdu toute capacité d’analyse — sous-entendu : n’était plus vraiment responsable de ses actes… Selon Martin Doerry, ce livre où fourmillent les détails de première main serait à classer dans le nouveau journalisme (New Journalism), un genre qui mêle allègrement réalité et fiction. Pour Norman Ohler, l’usage du Pervitin expliquerait les succès allemands à l’Ouest, en 1940.
Rüdiger Safranski (né en 1945 à Rottweil, Bade-Wurtemberg)
Autre article, une entrevue avec Rüdiger Safranski. De Heidegger, originaire de la région où il demeure, la Souabe, Rüdiger Safranski affirme que connaître la mentalité souabe aide à mieux pénétrer la pensée de l’auteur de « Identität und Differenz ». Rüdiger Safranski évoque sa biographie « Goethe – Kunstwerk des Lebens », une biographie qu’il a principalement écrite en prenant appui sur les nombreuses conversations avec Goethe (dont les plus célèbres, avec Johann Peter Eckermann) et, surtout, sur une partie de sa gigantesque correspondance, soit cinquante-quatre volumes d’environ quatre cent cinquante pages chacun. Il évoque ce magnifique équilibre chez Goethe entre la vie et l’œuvre, un équilibre qui émerveillait Nietzsche chez qui la vie et l’œuvre ne cessèrent de se caramboler. Ses très intéressantes remarques sur la décentralisation culturelle en Allemagne (liée à l’histoire du pays, un pays qui a réalisé son unité bien après la France), sur l’euro, Angela Merkel, la pilule qui a séparé sexualité et reproduction (il juge que c’est le plus important changement de ces soixante-dix dernières années), la révolution digitale, etc.
Olivier Ypsilantis