Skip to content

En hommage à Alfred-Élie Houdé

 

Alors que le Covid-19 fait de nombreuses victimes et paralyse l’activité économique de continents entiers, une nième polémique s’enfle, en France, cette fois au sujet d’un certain Pr. Didier Raoult. N’ayant aucune compétence pour porter un jugement sur ses travaux, je me contente après lecture d’articles a priori sérieux de constater que cet homme préconise des choses plutôt simples suivant une méthode empirique – probablement la meilleure des méthodes –, qu’il ne mérite probablement ni l’opprobre ni un panégyrique. Je me contente de m’étonner du ramdam médiatique qu’il suscite, à son insu me semble-t-il.

Je constate au moins virtuellement qu’ils sont nombreux à avoir leur avis sur la question alors qu’ils ne sont ni infectiologues ni microbiologistes. Je suis de ces ignorants mais préfère me taire. Mes jugements se portent éventuellement à d’autres niveaux, disons politiques, pour faire simple, mais en aucun cas scientifiques. Je demande leur avis à des amis médecins, je les écoute en m’efforçant de poser des questions aussi ajustées que possible et ainsi m’enrichir de leurs réponses sans jamais vouloir leur attribuer bonnes ou mauvaises notes. Une fois encore, sur cette question, je n’ai pas les compétences qui m’autoriseraient éventuellement à faire partie d’un jury.

Dans mon ignorance, j’ai même cru que le Pr. Didier Raoult était l’inventeur d’un produit miracle en quelque sorte. J’ai donc étudié les propositions de cet infectiologue-microbiologiste relatives à la lutte contre le Covid-19, des propositions de bon sens me semble-t-il : le dépistage avec une administration de chloroquine couplée à un antibiotique. Le Pr. Didier Raoult a mis au point une recette, il n’a pas élaboré les ingrédients qui entrent dans sa composition, comme je l’ai d’abord cru. Cette affaire me remet en mémoire par des voies indirectes, mais avec acuité, des conversations avec une parente au sujet d’un cousin qu’elle avait bien connu dans sa jeunesse et qui, lui, fut à l’origine de l’élaboration de nombreux produits. Cette parente m’avait offert à l’occasion de sa parution un épais volume consacré à ce cousin. Je l’ai ressorti de ma bibliothèque, je le consulte, je me souviens.

 

Elie Alfred Houdé (1854-1919), pharmacien et conseiller municipal du Xème arrondissement de Paris (Porte-Saint-Martin) de 1899 à 1908. Photographie de Marmand, vers 1900. Bibliothèque administrative de la Ville de Paris.

 

Alfred-Élie Houdé, un homme qui a fait évoluer le comptoir de la pharmacie vers l’établissement industriel. Cette évolution s’est faite en sept ans selon un processus continu, ce qui lui permettra de proposer aux médecins français et étrangers de nombreuses spécialités dont la plupart d’origine végétale. En France et à l’étranger, en 1898, les spécialités Houdé étaient au nombre de cinquante-deux. Certaines d’entre elles étaient toujours exploitées en 1985 (date de parution du livre offert), d’autres ont eu une carrière commerciale durant soixante à soixante-quinze ans. Dans une notice biographique publiée dans le Bulletin de l’Ordre des Pharmaciens (n° 239, décembre 1980), on peut lire en guise de conclusion : « La réussite d’Alfred-Élie Houdé procède de ses recherches actives en chimie végétale, de son idée, originale à l’époque, de partir d’un principe actif et non plus d’une drogue incertaine pour préparer des médicaments stables et titrés sous sa responsabilité, de son esprit d’entreprise et de son attirance pour l’exportation, facilitée par son goût des langues étrangères ». La consultation d’une récapitulation comptable des années 1980 à 1895 « dénote un esprit d’entreprise très développé pour une époque où les moyens d’information et de transports étaient limités, où la technique bancaire et commerciale n’offrait aux échanges internationaux qu’un horizon restreint et où l’exportation revêtait souvent l’aspect d’une aventure pleine de risques financiers ». A la fin du XIXe siècle, cet homme parcourut l’Europe pour assister à des congrès scientifiques tout en étudiant les méthodes commerciales et industrielles. Alfred-Élie Houdé s’est par ailleurs dévoué au bien public durant ses heures de loisir, principalement en tant que conseiller municipal du Xe arrondissement, à Paris. Dans le cadre de ce mandat, il était plus particulièrement chargé des relations entre la Ville de Paris et l’Assistance publique.

J’ai devant moi l’épais volume en question ; il s’intitule : « Alfred Houdé. Pérennité des alcaloïdes », publié à l’occasion du centenaire des Laboratoires Houdé. Ce volume achevé d’imprimer en octobre 1985 fait appel à de nombreuses personnalités du monde de la médecine et de la pharmacie ; il est présenté par le prix Nobel de Chimie 1969, Sir Derek Barton.

 

 

Je vais rendre compte de ce volume en me contentant de reproduire la quasi intégralité du compte-rendu qu’en fait Pierre Julien dans l’article intitulé « Alfred Houdé, les alcaloïdes et leur rôle majeur dans l’histoire du médicament » :

Pour commencer, Jean Cyr-Gaignault, reproduisant la notice qu’il lui a consacrée en décembre 1980 dans le bulletin de l’Ordre des Pharmaciens (cf. R.H.P., n° 248, mars 1981, p. 64-5), montre en Alfred Houdé « un bel exemple de fondateur d’une industrie pharmaceutique française au XIXe siècle ». Puis, en collaboration avec Jean-Pierre Fourneau et Jean Delourme-Houdé, il retrace l’histoire des Laboratoires Houdé, issus de la pharmacie de leur fondateur et dont le développement continu conduisit à décentraliser les fabrications à L’Aigle (Orne) en 1964. Demeurée familiale jusqu’en 1969, l’entreprise fut à cette date reprise par la société S.I.F.A. Diamant et intégrée avec cette dernière, l’année suivante, au groupe Roussel UCLAF. Dans cette évolution considérable, les Laboratoires Houdé ont conservé deux traits hérités de leur fondateur : l’empreinte directe ou indirecte des substances naturelles et un souci galénique marqué.

L’établissement créé par Alfred Houdé en 1887, séparément de son officine, avait pour enseigne « Produits pharmaceutiques A. Houdé, Alcaloïdes, Granules, Cocaïne, Caféine, Spartéine, Colchicine, Revue thérapeutique des Alcaloïdes ». Et cette catégorie de produits est toujours restée une spécialité de ses successeurs. Aussi le chapitre suivant, « Les alcaloïdes et la pharmacie, une vieille histoire toujours d’actualité », est-il le bienvenu. Ses auteurs (Jean-Cyr Gaignault, Colette Gueunier et Pierre Potier) nous fournissent une sorte de petit guide de ces substances : nature et caractéristiques, origine (végétale et animale), classification, biogenèse, rôle chez les plantes, les animaux et l’homme. Puis ils exposent « l’apport des alcaloïdes à la pharmacie » en deux volets : 1) « Période pré-scientifique » de bien des plantes d’emploi séculaire, voire millénaire, peut être attribuée à des alcaloïdes (pavot, coca, thé, mandragore, belladone, etc.) 2) « A partir du milieu du XIXe siècle », particulièrement bien placés pour rechercher et extraire des principes actifs, notamment les alcaloïdes, grâce à leurs connaissances et à ceux de leurs savants confrères, à leur savoir-faire, à leur stock de végétaux et à une relative facilité d’extraction, les pharmaciens français ont poursuivi dans ce domaine de fécondes recherches qui ont fait d’eux des « industriels en puissance », incités à transformer le produit actif chimiquement pur en spécialité stable et titrée avec précision. Les alcaloïdes sont ainsi dans une large mesure à l’origine de l’industrie pharmaceutique française, en même temps que leur étude contribuait, en outre, « à l’établissement des principes majeurs de la recherche moderne sur le médicament ». Le chapitre s’achève par un exposé schématique sur l’obtention des alcaloïdes dans l’industrie moderne (extraction, hémi-synthèse, synthèse totale), avec application aux cas de la colchicine, de la vincamine et de la papavérine.

Sous le titre « Colchique, colchicine et colchicoïdes », Paul Bellet, insistant sur les acquisitions scientifiques modernes concernant ces produits, montre bien comment une aussi antique médication peut connaître « une nouvelle jeunesse ».

Autre illustre végétal à alcaloïde : le quinquina. Le docteur Claude Gorget retrace avec précision « l’histoire légendaire et véridique » de l’arbre des fièvres depuis sa prétendue utilisation par la comtesse de Chinchon jusqu’à l’enrichissement de la pharmacopée cardiologique par la quinidine et l’hydroquinidine ; et d’expliquer, nombreux schémas à l’appui, les mécanismes d’action et les effets de la quinidine.

Le Pr. Pierre Delaveau présente « Aspects insolites des alcaloïdes » ; leur emploi comme poisons de flèches, notamment celui de l’aconit en Inde et en Extrême-Orient ; leur rôle dans les curares dont les maîtres amérindiens semblent appliquer déjà les principes de la pharmacognosie, voire de fabrication industrielle, qui sont les nôtres ; la production d’alcaloïdes de forte toxicité, par les Amérindiens également, à partir de batraciens ; quelques psychotropes et hallucinogènes ; la coca ; daturas et jusquiames ; le poison d’épreuve des ordalies en Afrique ; les différences de sensibilité des espèces animales aux alcaloïdes ; des alcaloïdes indispensables à l’accouplement de certains papillons ; des alcaloïdes d’alarme et de dissuasion chez les insectes ; des alcaloïdes à effet tératogène.

Dans un dernier chapitre, Pierre Potier et Jean-Cyr Gaignault examinent l’« Actualité des alcaloïdes ».

C’est un superbe volume, tant pour la qualité des textes que la présentation, un bel hommage aux alcaloïdes et à leur pérennité pour lesquels Alfred Houdé a tant œuvré.

 

 

Une notice biographique sur Alfred-Élie Houdé signée Guy Devaux :

Né à Vincelles (Yonne), le 24 mai 1854, Alfred-Élie Houdé obtient le diplôme de pharmacien de 1ère classe en 1880 et acquiert la Pharmacie Vée, au 42 de la rue du Faubourg-Saint-Denis, à Paris. Parallèlement à la marche de son officine, il se livre à des recherches de chimie végétale qui le mènent à l’isolement – non réussi avant lui – de la colchicine à l’état cristallisé et lui valent la même année le prix Orfila décerné par l’Académie de Médecine. Il prépare alors des granules de colchicine titrés à 1 mg de produit cristallisé, d’activité constante par opposition à l’activité irrégulière des préparations galéniques de Colchique antérieurement utilisées. Le succès de ces granules auprès du corps médical l’incite à renouveler une telle démarche pour divers alcaloïdes en préparant des spécialités à titre garanti en principe actif. Ceci l’amène à abandonner son officine en 1887 afin de créer au 29 de la rue d’Albouy, à Paris, un établissement de fabrication de spécialités à base d’alcaloïdes et d’hétérosides auquel est adjoint un laboratoire d’extraction et de purification de ces mêmes principes actifs. Cet établissement deviendra les Laboratoires Houdé qui, en 1898, commercialisaient cinquante-deux spécialités différentes dont trois (Boldine, Colchicine et Strophantine Houdé) continuent à être exploitées de nos jours. A côté de ces réalisations industrielles, Alfred-Élie Houdé se signale par une œuvre scientifique notable : rédaction de multiples articles de thérapeutique pour le Répertoire de Pharmacie et Journal de Chimie médicale réunis, approfondissement de ses recherches sur la Colchique et sur divers alcaloïdes, fondation de la Revue thérapeutique des Alcaloïdes, au rayonnement international, qu’il animera de longues années et qui lui survivra jusqu’en 1944, se prolongeant même sous un nom voisin jusqu’en 1957. Alfred-Élie Houdé fournit ainsi un des meilleurs exemples de ces pharmaciens d’officine du siècle dernier qui, par leur compétence scientifique, leur clairvoyance commerciale et leur esprit d’entreprise ont contribué à créer dans notre pays une industrie pharmaceutique puissante et dynamique.

 

Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*