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L’art encore et encore

 

En Header, une composition de Tom Wesselman.

 

J’ai commencé à m’ouvrir à l’art contemporain au cours de mon adolescence, dans la deuxième moitié des années 1970 donc. Ma mère a été mon premier professeur. Ses goûts et ses jugements, malgré leur discrétion, m’ont marqué d’une manière que j’ose qualifier d’indélébile. 

Les notes qui suivent me sont venues hier (dimanche 19 juin 2016), au cours d’une marche et de haltes, carnet en poche. Je leur ai conservé ce caractère de désordre, de spontanéité, me contentant de les affiner à mon retour et d’y ajouter des liens :

 

Les emballages de Christo. Il me semble que mon premier contact avec cette œuvre fut son projet pour l’avenue des Champs-Élysées, avec perspective d’arbres emballés.

Les compressions (de voitures) de César (exposées pour la première fois au salon de Mai 1960). César (César Baldaccini) dans les couloirs de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, entre la rue Bonaparte et le quai Malaquais. Son atelier dans cet établissement. Les souvenirs qu’en avait ma mère. Des Compressions aux Expansions. Voir les coulées de polyuréthane expansé, stratifié et laqué puis les Expansions rouillées (avec surface en fonte de fer) de 1991.

 

Une Renault compressée par César (1921-1998)

 

Je place côte-à-côte [Georges Perec – Daniel Spoerri – Christian Boltanski] car ces trois œuvres ont un air de famille prononcé. Ces trois artistes sont juifs ; que faut-il en conclure ? Que les Juifs sont le peuple de la mémoire, qu’ils interrogent (et célèbrent) la mémoire plus qu’aucun autre peuple. Les servants de la mémoire.

Galerie Iris Clert (la Grecque Iris Athanassiadis) : Le Vide d’Yves Klein en 1958 auquel répond Le Plein d’Arman l’année suivante. Arman, des Accumulations aux Colères (destruction d’objets). Nombre de ses Colères se portent sur des instruments de musique : violons, contrebasses, guitares, saxophones, etc., sans oublier le piano de « Chopin’s Waterloo ».

Les premiers témoignages des tableaux-pièges de Daniel Spoerri sont présentés au festival d’avant-garde de Paris en 1960. C’est à coup sûr l’œuvre la plus féconde du Nouveau Réalisme, celle qui a le mieux perçu l’héritage de Marcel Duchamp : n’écrire et ne se manifester que pour exprimer quelque chose de nouveau ; autrement dit, se taire plutôt que se répéter.

La montée en puissance des États-Unis sur la scène artistique internationale, suite notamment à l’exil de nombre d’artistes européens au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Où la puissance économique stimule la « puissance » artistique. Au Nouveau Réalisme répondent [Robert Rauschenberg – Jasper Johns – Edward Kienholz]. Les Américains prennent conscience de leur singularité avec Jackson Pollock, Franz Kline et Mark Rothko, pour ne citer qu’eux. A ses débuts, Robert Rauschenberg est un peintre expressionniste plutôt médiocre. Il est le premier artiste américain à éprouver les limites d’un langage déjà usé, l’abstraction picturale. Aussi s’oriente-t-il vers des tableaux faits d’assemblages — les combine-paintings —, ce qui dans un premier temps revient à se séparer de l’expressionnisme (tout en lui conservant de l’estime). Le scandale provoqué à la Stable Gallery (New York) en 1953 et l’effet stimulant qu’il exerce sur l’artiste. Les collages et les intégrations d’objets à ses compositions.

Tom Wesselmann. Pas de critique sociale et un esthétisme très marqué, avec emploi de couleurs suaves, de matériaux en plastique translucide, etc. J’aime beaucoup cet artiste, ce créateur d’ambiance, avec cet érotisme urbain, publicitaire même, et ces clins d’œil en direction de Matisse.

 

Tom Wesselmann (1931-2004), « Still Life » (1963)

 

James Rosenquist unifie des éléments disparates du quotidien et sur de vastes surfaces. Il est l’auteur du plus grand tableau du Pop Art. Diversité des sujets et diversité des moyens. Un air de famille avec l’Islandais Erró.

Une œuvre-manifeste à sa manière, « Landmower » (1961) de Jim Dine. On pense à la démarche de Robert Rauschenberg avec cette alliance organique que propose la Combine-Painting.

Dado le Yougoslave, arrivé en France en 1958. Avec ses compositions qui rendent compte de la décomposition, il aurait pu donner de somptueuses illustrations pour des poèmes de Gottfried Benn : « Morgue und andere Gedichte » (1912) et « Fleisch » (1917).

Je ne puis voir le nom d’Agam sans penser au salon-bibliothèque de Tante G., à une ambiance particulière, à cette fenêtre qui donnait sur un jardin proustien, bordé de hauts murs en pierre apparente, protégé du monde. C’est dans cette pièce, dans des placards intégrés, à peine visibles derrière le papier-peint aux motifs à entrelacs, que s’empilaient des numéros de la revue « Le Spectacle du Monde ». L’un d’eux proposait un reportage sur Agam, alors sollicité pour aménager l’antichambre des appartements privés du Palais de l’Élysée,  sous la présidence de Georges Pompidou (1974) :

https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cGEzjMK/rGbez8j

J’aime Takis, cet artiste grec né à Athènes en 1925. J’aime son élégance, une élégance qui m’évoque celle de Calder et ses mobiles. Certaines de ses sculptures (par ailleurs vibratoires) m’évoquent les papyrus du Delta du Nil. Le Palais de Tokyo a consacré il y a peu une vaste rétrospective, « Champs magnétiques » (du 18 février au 17 mai 2015), à cet artiste toujours vivant :

http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/evenements/takis-un-artiste-magnetique-au-palais-de-tokyo-211977

J’ai appris il y a quelques semaines la mort de François Morellet (le 10 mai 2016), co-fondateur du Groupe de Recherche d’Art Visuel (G.R.A.V.). Je l’ai étudié (il était au programme) avec un relatif ennui — et je ne connais que rarement, très rarement l’ennui. Je découvre à présent que la rigueur — on pourrait dire la sécheresse — de son œuvre n’est pas sans beauté.

Martial Raysse. L’enthousiasme d’un professeur de l’E.N.S.B.A. devant certaines de ses œuvres qu’il nous commentait avec force gestes. Il me le transmit momentanément. L’esthétisme de Martial Raysse n’aurait-il pas un timide air de famille avec celui de Tom Wesselmann ?

Hains & Villeglé, un truc génial à sa manière — il fallait y penser ! Mais un truc et rien qu’un truc, ce qui ne peut donc que conduire à la répétition. La puissante séduction qu’exerce ce procédé, tout un esthétisme. Je suis souvent amené à penser à eux, surtout en période préélectorale…

 

Hains et Villeglé, affiches lacérées.

 

Monory et ses camaïeux de bleus, comme un rêve en limite de cauchemar. Sa série intitulée « Meurtres » (peinte à la fin des années 1960), avec miroirs criblés de balles intégrés à la composition. Un certain classicisme aussi, avec cette volonté de « bien peindre ». L’aspect résolument illustratif de cette série. On imagine fort bien un texte accompagnant l’image — l’image qui toutefois se suffit à elle-même. Monory est un narratif (Figuration narrative). Ses compositions sont plutôt prisées par les éditeurs pour leurs couvertures de livres, le genre « polar » plus particulièrement. Monory, comme les images immobilisées d’un film.

Malaval. Cet écœurement qui me prend face à l’ « Aliment blanc », avec ce fauteuil devenu organique, envahi par des pustules, des goitres, des tumeurs, des bubons et j’en passe — beurk ! Les cauchemars de Malaval n’auraient-ils pas un peu à voir avec les rêves — les cauchemars — de Dorothea Tanning, plus précisément avec « Chambre 202. Hôtel du Pavot » ?

Montrer la société industrielle par cette simplification radicale opérée en détachant la roue de la machine qui l’entraîne : Stämpfli. Si l’homme social se définit par ses mythes, parler  un langage d’objets revient nécessairement à traduire une vérité humaine. L’indéniable aspect esthétique des sculptures de pneumatiques, leur extraordinaire variété, leurs divers degrés de complexité qui tous répondent à une fonction précise.

Sarkis, de son vrai nom Zabunyan, un Turc d’origine arménienne (né à Istanbul en 1938) et non un Grec comme je l’ai longtemps cru. Ses interrogations sur l’énergie de la matière, loin de tout art technologique. Ce sont des échanges lents, très lents, difficiles à percevoir donc. Pauvreté des matériaux et des moyens mis en œuvre, comme ces rouleaux aluminisés plongés dans l’eau. Sarkis rend compte du pouvoir obsessionnel de certains matériaux et de certains bruits (comme son métronome électronique réglé sur un rythme cardiaque) pour les faire ressembler à quelque « condensateur de violence » (l’expression est de Jean Clair). Les éléments qui constituent ses installations évoquent des rapports non pas de type technique (rapports d’efficacité) mais biologiques. Et de ce point de vue, il existe une authentique parenté entre Sarkis et Joseph Beuys, avec ce traitement des matériaux comme véhicules d’énergie. Il est vrai que ces deux artistes diffèrent sur bien des points : pas de mysticisme actif ou de provocation chez Sarkis.

Olivier Ypsilantis

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