Si la tristesse vous prend, ouvrez un livre de Ralph Waldo Emerson. C’est mieux que tous les antidépresseurs.
Hier, chez des amis anglais, une invitée, une Anglaise, la soixantaine approchante, grande, mince, brunie, cheveux magnifiquement argentés coupés à la garçonne, un argenté qui m’apparut d’un coup au moins aussi beau que le plus beau des blonds, plus beau même car plus émouvant.
L’incroyable coup de crayon de Tom Poulton. Il m’arrive de détailler certains de ses dessins avec irritation car je ne parviens à un dessin qui tienne qu’après un long travail alors que son crayon semble aller de lui-même, magistralement. Ses dessins découverts après sa mort et révélés au public au début des années 1990. Les héritiers n’en auraient-ils pas détruit une partie ? Son érotisme joie-de-vivre ; rien à voir avec ces artistes érotiques morbides, nombreux. A ce propos, je me souviens d’une conversation (passionnante) avec l’un de mes professeurs à l’École des Beaux-Arts au sujet de Pierre Molinier (ses photomontages) et de Clovis Trouille, deux somptueux créateurs marginaux.
Tom Poulton (1897-1963), un dessinateur si discret…
Feuilleté le « Journal » de Jean-René Huguenin (mort à vingt-six ans), l’un de ces livres qui marqua mon adolescence. Je le feuillette et je prends aujourd’hui toute la mesure non seulement de ce qui me rapprochait de lui (je ne voyais alors que cette part) mais aussi de tout ce qui me séparait de lui. Je le vis comme un frère ; je constate qu’il aurait pu être mon père…
J’y pense ! J’ai commencé mon éducation artistique avec ma mère (elle me parlait de Rouault, de Soutine, des Impressionnistes, des Tanagra, de l’art roman, de…) mais aussi par ces petits livres publiés chez Flammarion, UNESCO – Le grand art en édition de poche et que ma grand-tante ne manquait pas de m’offrir à chacune de ses visites. C’est par l’un d’eux que j’ai découvert l’art des aborigènes d’Australie, un art dont j’approfondirai la connaissance au Palais de la Porte Dorée, plus précisément au Musée des arts africains et océaniens.
Ma promenade préférée aux environs de Paris : Chantilly, son parc, son château et son musée (le Musée Condé). Dans ce musée, je portais une attention aussi soutenue aux dessins de François Clouet qu’aux peintures d’Alphonse de Neuville, pour des raisons différentes il est vrai. Avec l’un pour le dessin lui-même : comment rendre de telles présences avec des moyens et une technique aussi sommaires ? Avec l’autre (qui a essentiellement décrit la guerre franco-prussienne de 1870) pour le souci du détail (armement et uniformes), l’art de la mise en scène et les qualités narratives.
De la relative bienveillance de Luther à l’égard des Juifs puis sa véhémence à partir de la fin des années 1530 — avec approbation des édits de conversion. La position plutôt modérée des Calvinistes qui craignaient toutefois la conversion de Chrétiens au judaïsme (voir les mouvements Judaïsants). Par crainte de la Réforme, les Catholiques se montrèrent plutôt libéraux envers les Juifs. Charles Quint confirma les privilèges des Juifs d’Allemagne, tant et si bien qu’en 1545-1546 les Juifs récitaient des prières pour la victoire de l’empereur au cours des guerres de la Ligue de Smalkalde (Schmalkaldischer Bund). En 1555, la Papauté s’en prit à ce qu’elle considérait comme du relâchement et de la confusion. Vinrent la bulle de Paul IV puis celle de Pie V, une politique qui conduisit les Juifs séfarades à se placer sous la protection de l’Empire turc — où Don Joseph Nassi et la famille Mendès jouissaient de grands pouvoirs. La Papauté dût faire marche arrière. Et ainsi de suite. Les Juifs étaient généralement malmenés (euphémisme) et ménagés, voire cajolés, dès qu’ils étaient jugés utiles par les pouvoirs.
Le sabbataïsme, très présent à Hambourg avec fort soutien des Juifs originaires du Portugal. L’un des adversaires les plus résolus de ce mouvement, Jacob Sasportas (1610-1698). Dans une compilation de documents relatifs à ce pseudo-messie, ce dernier compare le sabbataïsme au christianisme. A noter qu’après le fiasco de ce mouvement, les Juifs se sentirent quelque peu ridicules face aux Chrétiens, un honte qu’ils s’efforcèrent d’atténuer, notamment en entreprenant la construction de synagogues monumentales. Voir en particulier celle de Hambourg, construite en 1670 par Jacob Sasportas.
Étudier la famille Zamoyski. L’un de ses membres fonda la ville de Zamosc, en 1580, et s’employa à convaincre les Séfarades fixés dans l’Empire ottoman que leur intérêt se trouvait en Pologne. En résumé : en Europe centrale et orientale (à la fin du XVIe siècle), on s’est efforcé d’attirer les Séfarades dans le but de développer les liaisons commerciales avec la Hollande, l’Espagne, le Portugal et l’Empire turc, d’approvisionner la Pologne en produits de luxe et l’Allemagne.
En cherchant des compléments d’informations sur Internet concernant le capitaine (capitão) Artur Carlos Barros Basto, j’ai eu le plaisir de retrouver le nom de Misha Uzan, rencontré à Tel Aviv et auteur d’un roman dont je conseille la lecture : « L’An prochain à Tel Aviv » dont la présentation officielle est la suivante : « David, Yoan et Hanna sont de jeunes immigrants français qui s’installent dans la trépidante Tel Aviv. De bars branchés en bases militaires, ils se confrontent aux mirages de la terre promise. Sur fond de quête de l’âme sœur et de fins de mois difficiles, vont-ils perdre leurs repères identitaires dans un pays dont la culture leur est à la fois si proche et si éloignée ? Loin des clichés sur la guerre ou la religion, c’est un autre Israël que le lecteur découvre : société paradoxale entre Orient et Occident, modernité et tradition, judéité et sécularisme. Mêlant humour et réflexions, « L’An prochain à Tel Aviv » aborde, à travers la vie de ses personnages, les problèmes universels liés à l’immigration et au changement de culture — ô combien d’actualité dans un monde globalisé. »
Le capitaine Artur Carlos Barros Basto (1887-1961)
Mais j’en viens au capitaine Artur Carlos Barros Basto, à cet officier qui, après avoir participé au renversement de la monarchie et à l’avènement de la Première République en 1910 (il hisse le drapeau de la République à Porto, le 5 octobre), combat dans les Flandres au cours de la Première Guerre mondiale. Ce n’est que dans les années 1920 qu’il découvre par des confidences de son grand-père (paternel) mourant ses origines juives. Après s’être converti au judaïsme, il œuvre à la renaissance de la communauté juive portugaise. Il bat les campagnes portugaises à la recherche de « crypto-juifs » qu’il veut faire revenir à leur foi et organiser en communautés. Il en trouve plusieurs centaines, en particulier à Bragança, Vilarinho, Covilhã, Guarda. Dans les années 1930, cet officier est accusé d’homosexualité — la propagande étatique et catholique s’employant à confondre sciemment rituel de la circoncision et pratiques homosexuelles. Il est rayé des cadres de l’armée, privé de pension, humilié. Il vivra jusqu’à sa mort dans la précarité et, surtout, il ne se remettra jamais de l’humiliation infligée.
Me procurer la biographie qu’Inácio Steinhardt et Elvira de Azevedo Mea ont consacré à Artur Carlos Barros Basto : « Ben-Rosh – Biografia do capitão Barros Basto, o Apóstolo dos Marranos », uniquement disponible en portugais (Edições Afrontamento, Porto, 1997). Me procurer également les travaux de Samuel Schwarz (1880-1953) sur les Juifs du Portugal :
http://www.desgensinteressants.org/samuel-schwarz/claude-stuczynski-sur-samue.pdf
Ci-joint, le calendrier de la Reabilitação e reintegração no Exército do Capitão de Infantaria Artur Carlos Barros Basto (par la Assembleia da República en juillet-août 2012), de celui qui fut surnommé « o Apóstolo dos Marranos » puis « O Dreyfus português » :
https://www.parlamento.pt/ActividadeParlamentar/Paginas/DetalheIniciativa.aspx?BID=37150
A propos de sa réhabilitation. Des démarches furent entreprises par ses descendants après la Révolution des Œillets (Revolução dos Cravos, 25 avril 1974), mais en vain. Il faudra attendre l’été 2012 pour que justice lui soit rendue (voir lien ci-dessus).
Quelques autres faits marquants de sa vie. Après sa conversion, il se marie à une Juive de Lisbonne (Lea Israel Montero Azancot, née en 1893) et prend le nom de Abraão Israel Ben-Rosh. Son œuvre majeure, la re-fondation de la communauté juive de Porto : création d’une yeshiva et d’un journal (juif) qui paraîtra jusqu’en 1958. Avec l’aide de communautés juives de l’étranger, dont la puissante famille Kadoorie, il édifie une magnifique synagogue de style Art décor (inaugurée en 1938). Ci-joint, un reportage sur la Kadoorie Mekor Haim Synagogue (Porto) :
https://www.youtube.com/watch?v=HtVbpGv_UZE
Pour le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, une exposition a été organisée à Porto par le Centro Português de Fotografia (C.P.F.) sous le titre de « Barros Basto: O Capitão nas Trincheras ». Il s’agit de photographies de la Grande Guerre, oubliées et retrouvées dans les archives de cet officier après sa mort, des photographies prises par lui alors qu’il était membre du Corpo Expedicionário Português (C.E.P.). Cet ensemble émouvant et de qualité n’est toutefois pas comparable au fonds réuni par Arnaldo Garcez (1885-1964) du Serviço Fotográfico do C.E.P. :
https://www.publico.pt/portugal/noticia/o-capitao-barros-basto-escondia-um-segredo-1676260
Une synagogue des confins, la synagogue de Ponta Delgada, capitale des Açores, sur l’île de San Miguel. Pour les lusophones et anglophones, de très émouvants témoignages, dont celui d’un Catholique, José Mello, engagé dans la restauration de cette synagogue, et celui du dernier Juif des lieux, Jorge Delmar :
https://www.youtube.com/watch?v=3e-EppnFu1A
Cette synagogue a été réouverte le 23 avril 2015 ; elle avait été ouverte au culte en 1836. Le cimetière de cette localité a également été restauré. Environ cent soixante corps y reposent. Il y eut jusqu’à cinq synagogues à Ponta Delgada.
L’un des plus grands sionistes chrétiens, le Lt. Col. John Henry Patterson (1867-1947)
Par un courrier de N., j’apprends que le mémorial du Lt. Col. John Henry Patterson, sioniste chrétien, a été vandalisé à Belfast. En 2015, sa dépouille avait été transférée en Israël selon son vœu. A l’occasion de la cérémonie d’inhumation, Benjamin Netanyahu déclara que John Henry Patterson était le « Godfather of Israeli Army ». Les liens entre cet officier sioniste britannique et la famille du Premier ministre israélien étaient très solides, avec son père notamment, l’historien Benzion Netanyahu. Sur le mémorial de Belfast, une grande étoile de David et ces mots de Benjamin Netanyahu : « In all of Jewish history we have never had a Christian friend as understanding and devoted ». Ce mémorial est également dédié à la mémoire des soldats juifs tombés sous l’uniforme britannique au cours des deux guerres mondiales.
Lecture de « Marching Spain » (écrit en 1927), le premier livre de V. S. Pritchett. Son modèle alors, « Chemin qui mène à Rome » de Hilaire Belloc. Ses expériences antérieures de marcheur : traversée de l’ouest de l’Irlande (au cours de la guerre civile irlandaise) et route de Paris à Orléans. Il parcourt l’Espagne en 1926. « El sentido tragico de la vida » de Miguel de Unamuno devient son livre de chevet. Il fait une marche de quelque trois cent cinquante kilomètres le long de la frontière portugaise, de Badajoz à Léon en passant par l’Extremadura. Les voyageurs anglais sont captivants entre tous.
Olivier Ypsilantis
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