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Griffonné sur des bouts de papiers – 1/4

 

La métaphore qui parcourt la période baroque : la vie est un théâtre.

Non pas révolte ou révolution mais esprit d’analyse.

L’un de mes livres de chevet, les poèmes de Gottfried Benn, l’édition bilingue avec traduction de Pierre Granier. Je ne cesse d’y revenir pour y goûter un poème ou un fragment de poème. Ces poèmes imprégnés de son expérience de médecin (voir « Morgue und andere Gedichte », « Morgue et autres poèmes ») : il fut l’un des dermatologues les plus réputés d’Allemagne. J’ai toujours une pensée pour lui, le 7 juillet, jour de sa mort (en 1956).

6 juin 2016. J’ai toujours une pensée, le 6 juin, pour ces hommes qui serrés comme des sardines dans ce qui ressemblait à des boîtes de conserve furent débarqués sur des plages de Normandie battues par le feu ennemi. J’ai toujours une pensée, le 6 juin, pour ces parachutistes qui furent largués dans la nuit (certains dans des zones inondées) avec sur eux un poids en équipement proche de leur propre poids. J’ai toujours une pensée, le 6 juin…

Gottfried Benn. Il y a d’abord cette vision obsédante : Bis in den Mund gebräunt vom Meer  (« Brunie par la mer jusque dans la bouche »).

Valentin Feldman est né comme moi un 23 juin. Bien que ce ne soit pas le point le plus remarquable de sa biographie, je lui accorde une certaine importance, une importance certaine.

 

Émile Durkheim (1858-1917)

 

Feuilleté un livre méthodiquement lu avant mon départ de France : « Le Socialisme » d’Émile Durkheim, une suite de quatorze leçons. II ouvre ainsi la Première leçon : « On peut concevoir deux manières très différentes d’étudier le socialisme ». La première l’envisage comme « une doctrine scientifique sur la nature et l’évolution des sociétés en général et, plus spécialement, des sociétés contemporaines les plus civilisées ». La deuxième l’envisage « dans l’abstrait, en dehors du temps et de l’espace, en dehors du devenir historique ». C’est dans ce dernier cas un système de propositions qui s’emploient à exprimer des faits. On les analyse alors en s’efforçant de débrouiller le vrai du faux et d’en vérifier la pertinence générale. Au début de la Quatrième leçon, il se dit interloqué en constatant que l’orientation générale du communisme et que celle du socialisme ont pu être comparées voire confondues. Formule du socialisme : « Régler les opérations productives des valeurs de manière à ce qu’elles concourent harmonieusement ». Formule du communisme : « Régler les consommations individuelles de manière à ce qu’elles soient partout égales et partout médiocres. »

Soirée passée à feuilleter (avec gourmandise) « Lost Beauties of the English Language » (publié en 1874) de Charles Mackay. Lorsque la fatigue gagne, lorsque que tous les livres me tombent des mains, que les hommes me lassent avec leurs systèmes, leurs pensées, leurs humeurs, leurs regrets et leurs espoirs, leurs… je pars me reposer dans les dictionnaires, je goûte la saveur pure des mots. Ci-joint, quelques mots grappillés dans le recueil ci-dessus nommé : Long-home : the grave / Maul : a heavy hammer / To moffle : to spoil work, to do anything badly, and without knowledge / To fratch : to quarrel. Fratchy : quarrelsome / To elf : to twist and entangle the hair. Elf-locks : tangled hairs / Bleary : confused ; cloudy ; misty. Blear-eyed : with dull, cloudy eyes / Alder (a prefix formerly used to intensify the meaning of an adjective in the superlative degree) : Alderbest, Alderforemost, Alderwisest, Alderworst, etc. / Crambles : boughs and branches of trees broken off by the wind / Crink : a very small shrunken child / Dub : a puddle, a goose or a duck pond ; a dirty pool / Dud : a rag.

Me procurer la meilleure étude sur la révolte des esclaves noirs (Zandj) entre 869 et 883, révolte dirigée par un Iranien, ‘Ali ibn Muhammad. Noter que ce mouvement n’était pas anti-esclavagiste, l’idée d’abolir l’esclavage étant alors presque inconcevable. Ce fut la révolte d’une catégorie d’esclaves qui cherchèrent à fuir une situation intolérable — voir les conditions de vie de ceux qui étaient employés dans les marais salants, à l’est de Bassora. Parmi les promesses de cet Iranien, une promesse tenue, faire des esclaves qui le suivraient « des maîtres possédant esclaves, et richesse, et maisons. »

A compter de l’Hégire, l’islam signifie soumission non seulement à la foi musulmane mais aussi à la communauté, ce qui revient à reconnaître la suzeraineté de Médine et du Prophète, puis de l’empire et du khalife, avec pour code la Shari’a, code de lois normatif mais aussi règle de conduite, idéal vers lequel doit s’efforcer l’ensemble de l’Oumma et chacun de ses membres. Aucun autre pouvoir législatif n’est admis puisque la loi émane de Dieu par la Révélation. La Shari’a (don de Dieu) règle tous les aspects de la vie : croyance et culte mais aussi droit public (constitutionnel et international) ainsi que droit privé, criminel ou civil. Son caractère « idéal » est manifeste dans son aspect constitutionnel, le chef de la communauté étant le khalife, reconnu par Dieu, doté du pouvoir suprême, militaire, civil et religieux, et ayant pour mission de maintenir l’héritage du Prophète. Le khalife n’a pas de pouvoirs spirituels : il ne peut modifier la doctrine ou en élaborer une autre. Il n’est soutenu par aucun clergé constitué mais seulement par la classe quasi-cléricale des ulémas, les docteurs de la loi divine. A dater du IXe siècle, les khalifes deviendront les jouets des chefs militaires et des aventuriers politiques, les véritables maîtres de l’islam.

Relu (en compagnie de l’enfant David) des poèmes de « A Child’s Garden of Verses » de Robert Louis Stevenson, un classique de la littérature anglaise, cette littérature qui a produit tant de livres pour enfants, les Anglais considérant les enfants comme des adultes — et les meilleurs d’entre ces derniers se considérant comme des enfants, dotés d’une même liberté de l’imagination. L’édition que j’ai entre les mains (Blackie & Son, Ldt.) est illustrée de vignettes de Joan Hassall, des gravures sur bois qui ont une finesse de gravures au burin.

 

« My shadow », l’une des gravures sur bois de Joan Hassall pour « A Child’s Garden of Verses » de Robert Louis Stevenson.

 

Feuilleté un livre lu avec passion il y a une vingtaine d’années, « Essai sur l’esprit d’orthodoxie » de Jean Grenier, un livre qui n’a pas pris une ride en dépit de l’affaiblissement du fascisme et du communisme. Parmi les « précurseurs » du matérialisme marxiste, Jean Grenier cite Héraclite et Épicure. Ainsi qu’il le signale, le marxisme a rendu le plus grand des services aux révolutionnaires puisqu’il leur a fourni un système complet, clé en main pour réponse-à-tout. De ce point de vue, le marxisme est comparable à la théologie scolastique. Héraclite a été le premier (d’après Hegel) à évoquer une logique de la contradiction. Hegel confesse même qu’il a adopté toutes les propositions d’Héraclite pour les intégrer à sa propre logique. Concernant Épicure n’oublions pas que Karl Marx a choisi pour sujet de sa thèse de doctorat : « Différence de la Philosophie de la Nature chez Démocrite et chez Épicure », deux hommes qui se présentaient comme des matérialistes et des ennemis de la religion établie. Jean Grenier : « L’hégélianisme fut un des antécédents immédiats du marxisme. Il existe aussi un néo-hégélianisme fasciste (théorie de l’État, mysticisme et messianisme national, etc) ». Étudier l’influence (considérable) de Hegel sur la pensée universitaire française. Voir Victor Cousin. Jean Grenier : « La logique dialectique est le type même que la sophistique parce que, non contente de reconnaître les véritables contrariétés qui existent dans les choses, elle transforme cette contrariété en contradiction et l’érige en absolu dans la pensée. Celle-ci se trouve donc abandonnée aux fluctuations des choses, sans jamais oser juger, jusqu’au jour où un « penseur » peu scrupuleux décide que le mouvement dialectique se dirige à force de synthèses vers l’apothéose de l’État prussien ou d’une dictature de nation, de race ou de classe ». A bon entendeur, salut !

Ce soir, une inquiétude venue de je-ne-sais-où. Afin de lui interdire de prendre ses aises, j’ai relu le long poème de Dylan Thomas, « Holiday Memory ». Je l’avais annoté au crayon et l’avais oublié, j’avais oublié que je l’avais lu en janvier 1984, au kibboutz Ein Ziwan, dans le Golan (Golan Heights). Les sonorités en rafales, en vagues, un dynamisme sonore que peu de langues savent offrir. Puis avec l’enfant David, j’ai relu « Fox in Socks » du Dr. Seuss (Theodor Seuss Geisel). Rythmes trépidants, délirants. Richesse sonore et lexicale qu’accompagnent des illustrations au trait nerveux qui aident l’enfant. Ci-joint, un aperçu de ce style énergétique et frénétique (extrait de « Fox in Socks », l’un de mes livres préférés du Dr. Seuss) : When tweetle beetles fight, it’s called a tweetle beetle battle. And when they battle in a puddle, it’s a tweetle beetle puddle battle. AND when tweetle beetles battle with paddles in a puddle, they call it a tweetle beetle puddle paddle battle. AND… Et ainsi de suite jusqu’à ce que Knox pris de vertige par le baratin sonore de Fox lui coupe le sifflet et…

 

L’un des nombreux chef-d’œuvres du Dr. Seuss

 

Retour en compagnie de l’enfant David à un style plus sage avec « The Three Railway Engines » (The Railway Series N°. 1) du Rev. W. Awdry où chaque haut de page s’enrichit d’une belle illustration de C. Reginald Dalby, avec locomotives dotées de visages aux expressions changeantes. Ces illustrations des années 1940 rendent compte avec précision du matériel roulant ferroviaire d’alors  ainsi que des installations (gares, hangars, signalisations, ponts, etc.), une précision qui se retrouve avec les « Martine » et les illustrations de Marcel Marlier. Et je pense en particulier à « Martine en avion » (1965)  où est détaillée la mythique Caravelle avec sa passerelle sous la queue.

Ce soir, 8 juin 2016, feuilleté le petit livre de José Pérez Escalera, « Vocablos castellanos procedente del Árabe » à la recherche de mots délicieux. Quelques-uns d’entre eux : Colmena : ruche (se souvenir de « El Espíritu de la colmena »).

Júcar : rojo, colorado. Le nom d’un cours d’eau que je longe lorsque je descends vers Murcie et l’Andalousie. Un nom qu’explique la couleur rouge de l’eau au moment des crues. Les terres qui surplombent le Río Júcar sont d’un ocre rouge ardent, au sud de Teruel surtout.

Añicos : morceaux d’une chose cassée (du verre par exemple).

Azafata : hôtesse de l’air mais aussi, il y a quelque temps : criada de la reina a quien servía los vestidos y alhajas, y recogía cuando se los quitaba.

Azahar (flor de) : fleur d’oranger.

Almohadilla : coussin (et almohada : oreiller). En portugais, almohada : travesseiro (ce qui évoque traversin). A ce propos, un certain nombre de mots portugais (et brésiliens)  s’inspirent directement du français, parmi lesquels : berço (berceau), chapéu (chapeau), greve (grève), buquê (bouquet), boate (boîte), abajur (abat-jour), etc. Et drap se dit lençol, ce qui est désagréable puisqu’on en vient malgré soi à linceul.

Albahaca : basilic.

Almibar : jarabe de membrillo (sirop de coing).

Almagra : terre (ocre) rouge.

Alcahuete : entremetteur, proxénète. Voir chulo.

Ajuar : le mobilier (et les vêtements) que contiennent  une demeure, une tombe, etc.

 

 (à suivre) 

Olivier Ypsilantis 

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