30 décembre. Je note que Matthew Parris, homme mince de soixante-dix ans duquel se dégage une énergie inflexible, marche avec une certaine difficulté. J’apprendrai par une recherche Internet que cet homme souriant et d’apparence modeste a été un excellent coureur de marathon, le meilleur coureur de marathon Member of Parliament, et de loin. Matthew Parris a été un influent Tory MP, de 1979 à 1986 après être brièvement passé par le Foreign Office. Il reste l’un des meilleurs chroniqueurs (columnists) politique du pays. Il est par ailleurs un homme de radio et de télévision. Le marathon a bien abîmé ses genoux : « My knees are completely buggered » confiait-il récemment. Sa meilleure performance : deux heures et trente-deux minutes au London Marathon, au début des années 1980, alors qu’il était Conservative MP pour le West Derbyshire. A dix minutes près, il aurait pu être qualifié pour les Jeux Olympiques.
Matthew Parris, un outsider, n’est resté que sept ans au Parliament, à la surprise générale ; il l’a quitté pour le journalisme, une activité dans laquelle il s’est pleinement épanoui – il commençait à se sentir à l’étroit dans la House of Commons. Matthew Parris est également l’auteur de plusieurs livres dont « A Castle in Spain ». Il m’explique son attachement à la Catalogne où son père, ingénieur électricien, avait été en poste. Il me dit être tombé amoureux d’une demeure oubliée qu’il se mit en tête de restaurer. C’est au cours d’une marche dans les Pyrénées, un matin de printemps, qu’il rencontra une magnifique construction érigée au bord d’une ligne d’impressionnantes falaises. En faisant des recherches, il découvrit que sa partie la plus ancienne remontait au XIVe siècle, avec des ajouts successifs jusqu’en 1559, une demeure abandonnée au début des années 1960. Quelques années plus tard, séduit par « one of those foolish challenges that grip us in middle life », il en fait l’acquisition dans le but de lui rendre sa splendeur. Cette demeure : L’Avenc de Tavertet. Sa restauration est l’un des nombreux défis relevés par cet homme de défis qui joue sur de nombreux registres. « A Castle in Spain » est un ensemble de chroniques qui s’ouvre sur la rencontre avec cette imposante construction, l’étude de sa longue histoire, ces années de travaux incessants et le scepticisme de sa famille, de ses amis et du voisinage. Lors de la première édition de ce livre, en 2005, les travaux de restauration étaient toujours en cours. Une nouvelle édition rapportera tout ce qui s’était passé depuis à L’Avenc de Tavertet. Ce livre ainsi que d’autres livres de Matthew Parris s’inscrivent dans la très riche littérature britannique à caractère autobiographique.
L’Avenc de Tavertet
Depuis l’enfance Matthew Parris détaillait des planisphères. Sur une carte du monde, il avait repéré des îles en bleu (les possessions françaises étaient inscrites en bleu, me précise-t-il) : les Îles Kerguelen ou l’Archipel Kerguelen. Il habitait alors en Afrique du Sud, son pays natal (Johannesburg plus précisément), où son père était en poste. Les Kerguelen resteront inscrits dans sa mémoire, dans ses projets. Il s’y rendra en 2000. A l’âge de dix-neuf ans, il avait traversé l’Afrique direction l’Europe à bord d’une Morris Oxford.
J’apprends que Matthew Parris est devenu conservateur en lisant « Animal Farm » de George Orwell, un livre qui figure dans la petite bibliothèque de la grotte, une bibliothèque creusée à même l’argile et passée elle aussi à la chaux vive. Curieux, j’ai suivi le même parcours. Et je me suis qualifié d’homme de droite (en France tout au moins) après avoir observé les manigances de la gauche destinées à la présenter comme porteuse du Bien avec un fanatisme religieux. Mais, surtout, c’est le texte de Gabriel Marcel, « Qu’est-ce qu’un homme de droite ? », ce philosophe existentialiste chrétien d’origine juive, qui m’a définitivement confirmé dans ma position, un texte que je soumets une fois encore à votre appréciation :
http://www.gabriel-marcel.com/articles&textes/homme_droite.php
Je n’ose aborder avec lui la question du Brexit ne connaissant pas sa position. Nombre d’amis anglais avec lesquels je me suis entretenu éprouvent une certaine honte à ce sujet. Je m’empresse généralement de les rassurer, je suis un partisan du Brexit et un observateur amusé du désarroi des europhiles confits en dévotion qui s’autoproclament « progressistes » à la manière d’Emmanuel Macron qui a par ailleurs tenu des propos condescendants envers les Brexiters. Les Anglais sont de fins observateurs peu portés sur les idéologies (qu’ils observent comme on observe la mue chez les insectes) et par ailleurs dotés d’un sens très poussé de leurs propres intérêts – doit-on leur en vouloir ? Ce sont aussi et d’abord des insulaires, et j’ai toujours prêté une grande attention à leur jugement qui, me semble-t-il, relève d’un sens de la liberté plus affermi que celui des continentaux, parmi lesquels les Français. Continentaux contre Insulaires, je serai toujours a priori du côté de ces derniers.
Matthew Parris
J’apprends (par Internet) que Matthew Parris s’est opposé au Brexit et qu’il a quitté le Conservative Party. The Guardian du 1er novembre 2019 commence ainsi un article qui a pour titre : « Ex-Conservative MP Matthew Parris to quit party and vote Lib Dem » : « Former Tory MP and prominent columnist Matthew Parris has said he will quit the party after 50 years in a call for Conservatives who oppose Brexit to support the Liberal Democrats in the election. The Times journalist said he will cast his vote for the remain-backing party in the 12 December ballot “to defeat Tory zealotry over Europe” as he joined a growing list of prominent members to quit. His defection followed that of Antoinette Sandbach, who was one of the 21 Tories expelled by Boris Johnson after rebelling over legislation to prevent a no-deal Brexit. On Friday, Parris wrote: “Despair is no longer enough: finally one must act. So with this column I’m leaving the Conservative party.” » Mais écoutons Matthew Parris et buvons en sa compagnie sur BBC Newnights en visionnant ce court moment pétri de pragmatisme et d’humour : « We’ve never liked the European Union » ; tout est dit, en peu de mots, avec intelligence, finesse et humour. Le référendum qui a conduit au Brexit a placé Matthew Parris dans une position ambiguë. Dans son autobiographie, « Chance Witness », il ne se prive pas de critiquer Bruxelles et ses « Soviet-like officials » mais, dans un même temps, il se dit « repelled by the Tory Eurosceptics ». Dans la vidéo qui suit, il exprime avec esprit sa position et s’épargne toute dramatisation :
https://www.youtube.com/watch?v=GtHFXPf_fEg
Matthew Parris passe devant moi, chaussé de babouches jaunes. Il me regarde avec un petit air gêné, avec une expression d’enfant qui ne le quitte jamais vraiment, une expression derrière laquelle se tient un observateur au regard aigu, une expression qui le protège et l’aide à mieux observer. Je le rassure en lui disant que ses babouches me font voyager, ce qui est une manière de compliment.
The Sunday Times le présente ainsi : « Matthew Parris joined The Times in 1988. He worked previously at the Foreign Office, as Margaret Thatcher’s correspondence clerk and as Conservative MP for West Derbyshire. He was the paper’s parliamentary sketch writer for 13 years and he now writes a diary column on Wednesdays and an opinion column on Saturdays. In 2015 he won the British Press Award for Columnist of the Year. Matthew is also a regular columnist for The Spectator and presents the biographical program “Great Lives” on Radio 4. He has authored a number of books, including “Chance Witness”, his autobiography which won the Orwell Prize in 2002. »
Speakers Corner le présente ainsi : « Matthew Parris is one of the UK’s most highly respected journalists and a charismatic and knowledgeable after dinner speaker and keynote speaker. From academia to politics, to print, TV and radio journalism, his interests are far-reaching and his analytical thinking is motivational, entertaining and educational. Born in Johannesburg, Matthew Parris was educated in Britain and Africa, graduating from Clare College, Cambridge before going on to study International Relations at Yale. Two years at the Foreign Office were followed by a spell at the Conservative Research Department. After a period in Margaret Thatcher’s office, Matthew was elected MP for West Derbyshire in the 1979 General Election. He gave up his seat in 1986 to pursue a media career when he was offered the role of presenter of LWT’s political interview programme, “Weekend World”. Following this, he was the parliamentary sketch writer for The Times from 1988 to 2001. Matthew is a frequent contributor to many other publications including The Spectator and The Times and has been named “Columnist of the Year” at the British Press Awards on numerous occasions. He presents the Radio 4 biographical programme “Great Lives” and often appears on other radio and television programmes. He has published several books on his travels and political insights, which have all been highly acclaimed. An adept and charismatic after dinner speaker and keynote speaker, and is in high demand on the corporate circuit for both keynotes and after-dinners. Matthew can comfortably cover topics of politics, journalism, international affairs, Brexit and travel. »
Sierra Nevada, Guadix
Matthew Parris plante un pin dans un recoin rocheux de son jardin. Un voisin espagnol me signale, amusé, que c’est au moins la troisième fois qu’il en plante un à cet endroit, que les arbres meurent mais qu’il s’entête. Connaissant le personnage, je suis certain que son entêtement payera. Je lui propose de l’aide. Il refuse puis se ravise et me demande de lui apporter des seaux d’eau.
1er janvier. Marche dans la Sierra Espuña, à El Berro (Murcia), un village d’où partent de beaux parcours de randonnée, un village aux maisons plutôt soignées, ce qui change de la plupart des villages de la région. Un ciel bleu et froid, un bleu Luca della Robbia. A peu de distance, le Sanatorio de Tuberculosos de Sierre Espuña où tant de personnes sont mortes dans de grandes souffrances et qui, dit-on, serait hanté. On peut hausser les épaules, il n’empêche, je n’aurais pas le courage de passer seul une nuit dans cet édifice abandonné. Je l’ai visité en plein jour avec des amis et j’ai vu sur les murs des impacts de balles tirées par un militaire de garde qui affirme avoir vu se mouvoir une forme féminine translucide. De très nombreuses vidéos mises en ligne rendent compte d’activités paranormales. J’ai visité de nuit, seul, par un clair de lune d’hiver, le village laissé en ruines de Belchite. J’ai appris que les activités paranormales étaient nombreuses dans ce lieu de mort, de la psychophonie essentiellement. Je ne le savais pas alors ; et si j’avais su, m’y serais-je rendu de nuit ? Je n’ai éprouvé une certaine appréhension qu’après deux bonnes heures passées à déambuler dans ces ruines, lorsque des nuages ont commencé à masquer la lune.
Marche dans les Barrancos de Gebas, à l’ouest de Sierra Espuña, en allant vers Alhama de Murcia, une zone aride et magnifiquement ravinée (entre cañones et barrancos), un paysage de Badlands comme dans les environs de Guadix. Mais ici la terre a une tonalité générale moins ocre, plus grisâtre. Badlands, soit un paysage ruiniforme d’étendues marneuses ou argileuses ravinées par l’érosion et arides.
Barrancos de Gebas (Murcia)
11 janvier. Lisbonne. Soirée en compagnie de Portugais à l’Associação José Afonso (rua de São Bento 170). Présentation par l’auteur, Albérico Afonso Costa, de son petit livre, « Lugares de José Afonso na geografía de Setúbal ». L’auteur insiste sur l’intimité entre Setúbal et José Afonso, plus affectueusement, « Zeca ». José Afonso est connu par ceux qui pensent ne pas le connaître : sa chanson « Grândola, Vila Morena » a servi de code pour le déclenchement des opérations militaires qui, le 25 avril 1974, devaient aboutir à la chute du régime présidé par António de Oliveira Salazar puis Marcelo Caetano. J’ai beaucoup aimé Setúbal, une ville encore bien portugaise, un peu triste, un peu endormie, pas encore gagnée par le tourisme de masse, ses Airbnb et ses valises à roulettes. Et à présent, j’aime plus encore cette ville pour sa relation avec cet homme. Ci-joint, la chanson en question :
https://www.youtube.com/watch?v=gaLWqy4e7ls
Une anecdote qui m’est rapportée par un exilé politique portugais en France, au cours de cette rencontre : la chanson « Grândola, Vila Morena » a été enregistrée en France et cet homme a participé au bruit de pas sur le gravier, avec deux ou trois autres camarades. L’enregistrement devait se faire très tôt le matin afin d’éviter tout bruit de circulation. C’était à Hérouville, dans le Val d’Oise, fin 1971. Mais il y avait toujours un bruit de moteur qui venait perturber l’enregistrement et ils ont dû longuement piétiner sur ce carré de gravier (spécialement aménagé) avant d’obtenir un enregistrement satisfaisant.
A la fin de cette sympathique présentation, trois personnes dans l’assistance (une quarantaine de personnes) se sont levées pour prendre l’une après l’autre la parole, toutes pour insister sur les extraordinaires qualités humaines de cet homme, en particulier sa générosité, outre ses qualités artistiques. Ces trois intervenants (une femme et deux hommes) rapportent des anecdotes qu’ils ont directement vécues, révélatrices de ces qualités humaines. José Afonso né en 1929 est décédé en 1987 ; ils sont nombreux dans cette assistance à l’avoir connu.
José Afonso (Zeca)
Une fois encore, je prends note de mes rapports complexes avec la langue portugaise. Je comprends certains locuteurs sans difficulté tandis que d’autres me fatiguent et font que mon oreille ne tarde pas à lâcher. Le portugais est une langue à la phonétique particulièrement complexe et délicate. Ainsi les Açoriens qui arrivent au Portugal continental se demandent quel est ce jargon, alors qu’Açoriens et Portugais continentaux parlent exactement la même langue, que les Açoriens ne parlent en rien une sorte de créole. Lorsqu’on m’a rapporté ce fait, j’ai cru à de l’exagération mais j’ai pu le vérifier aux Açores auprès d’Açoriens qui me l’ont confirmé à partir de leur propre expérience. Pour ma part, j’ai grand plaisir à parler avec ces insulaires, ils me reposent des Lisboètes. J’apprécie leurs voyelles ouvertes. Je dois dire que, généralement, les sonorités du portugais ne me sont pas vraiment agréables, que cette langue doit être très bien parlée pour être agréable et qu’au moindre relâchement elle semble mâchouillée et dégoulinante. Elle peut être magnifique et émouvante lorsqu’elle est déclamée et, plus encore, chantée comme ce soir, par cette belle femme, la soixantaine. Il me semble que les voix de femmes s’accordent généralement mieux à cette langue que celles des hommes. Dans « L’itinéraire portugais », l’écrivain belge Albert t’Serstevens note à la fin du premier chapitre, « L’Atlantique, synthèse du Portugal », que la langue portugaise est « une parfaite langue poétique, car le vers n’est rien d’autre qu’un divertissement musical » et juste après : « C’est une langue purement atlantique. (…) C’est un langage de marins, d’hommes habitués à parler entre leurs dents et à résumer ce qu’ils ont à dire, parce qu’ils parlent contre le vent. » Cette dernière remarque est curieuse car les marins ont plutôt tendance à parler fort voire à gueuler pour qu’on les entende, contre les vents et les vagues.
13 janvier. J’apprends la mort de Roger Scruton, né en 1944, philosophe britannique, figure de proue de la pensée conservatrice, un autre outsider que Matthew Parris devait bien connaître. Je n’ai lu aucun de ses livres et ne le connais que par des articles lus dans la presse écrite et la presse en ligne. Le Figaro annonce sa mort et le présente ainsi :
https://www.lefigaro.fr/vox/politique/mort-du-philosophe-conservateur-roger-scruton-20200112
Je me hâte de préciser que le conservatisme britannique est généralement mal compris par les Français dont la tête est trop souvent farcie d’idéologies. Le conservatisme britannique relève plus d’un style (de vie), d’une attitude face à la vie, à la société et à soi-même que d’une idéologie. Le conservatisme britannique procède de la société civile, d’une volonté aussi ferme que discrète qui tourne le dos à l’État et le défie si nécessaire. C’est un mouvement qui à la manière du mouvement anarchiste s’enracine et agit localement, par exemple en créant de petites associations destinées à protéger la beauté humaine et naturelle de leur village. Cette démarche peut être plus ample, plus ouvertement politique, comme le fut celle de George Orwell – on y revient. Je ne sais si le Conservatisme britannique est « de droite » ou « de gauche, et à dire vrai je m’en fous. Je sais qu’il serait d’accord sur certaines dénonciations et propositions du groupe politique Offensive libertaire et sociale (O.L.S.), par exemple. Roger Scruton défend d’autres liens que ceux que proposent les grandes centrales syndicales à la française, très politisées avec structure verticale. Il insiste sur la forte présence (avec structure horizontale) des associations privées qui maintiennent des liens multiples où la religion n’est pas absente. Le conservatisme britannique n’est pas une idéologie stricto sensu mais plutôt l’affirmation d’un mode de vie et sa défense, principalement à l’aide d’associations qui peuvent être de taille fort modeste, qui ont les pieds sur terre et qui ne prétendent pas embringuer l’humanité sous leur drapeau. Ainsi que le signale Roger Scruton, les Français ont élaboré un conservatisme métaphysique en réaction à la Révolution française de 1789 et sa métaphysique avide de grands concepts. Les ouvrages qui ont inspiré la Révolution française et ceux qui l’ont dénoncée sont à l’occasion éblouissants, avec tension vers le Romantisme, mais leur portée pratique est peu fiable voire inexistante. Ainsi qu’il le déclarait dans une entrevue, la Glorious Revolution (1688-1689) doit plutôt être comprise comme une restauration des acquis démocratiques saccagés par les guerres civiles. Rien à voir avec la Révolution française. Pour ce penseur conservateur, le Brexit a été activé par deux facteurs : une immigration considérable et un sentiment de perte d’identité consécutif, probablement ressenti d’une manière plus aiguë par les Européens insulaires que par les Européens continentaux. Par ailleurs, les Britanniques sont profondément démocrates – ils sont les « inventeurs » de la démocratie moderne et autrement plus que les Français, n’en déplaise à certains – et souverainistes – je pourrais en revenir à l’insularité et plus généralement aux peuples marins. Il faut étudier le droit britannique au moins dans ses grandes lignes pour comprendre combien la Cour européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.) a piétiné une tradition nationale, ce qui était inacceptable pour nombre de Britanniques.
Sir Roger Vernon Scruton (1944-2020)
La victoire de Boris Johnson a des raisons profondes, historiques, séculaires. Elle tient aussi au style du personnage, à son comportement, à son allure. On pourrait croire à un comique (et je le dis non pour me moquer, j’aurais voté pour lui si je l’avais pu), le comique étant le plus lucide des hommes – méfiez-vous du comique ! Et je suis heureux que son jeu ait si bien réussi face à un Jeremy Corbyn qui laissa entendre qu’il fallait organiser un nouveau référendum (sous-entendu, parce que le résultat avait été contraire à son désir et qu’il ne fallait pas écouter ceux qui le contrariaient) tout en proposant un programme digne d’un centre pénitentiaire ou d’une unité disciplinaire. Boris Johnson, lui, s’inscrit dans la culture politique du jolly party dont le plus grand représentant n’est autre que Winston Churchill qu’admire Boris Johnson. Rien à voir avec Jeremy Corbyn, ce pisse-froid à la sauce antisémite.
Les ennemis de Boris Johnson et de Donald Trump ont trop tendance à les considérer comme des crétins. Or, l’un et l’autre ont compris qu’il leur fallait cultiver ce genre, cette dégaine de clown, afin de mieux contourner ceux qui les dénoncent et agir. Il y a une certaine concomitance d’allure entre Donald Trump et Boris Johnson, leur chevelure par exemple. Est-ce un hasard ? A l’heure de l’hypermédiatisation, ils ont peut-être compris qu’il pouvait être politiquement rentable de paraître ridicule. Et pendant que l’on se moque d’eux en boucle, reprenant des invectives qu’on se refile comme une grippe ou une chaude-pisse, eux passent à autre chose, ce que leurs contempteurs ne comprennent toujours pas. Il est entendu qu’ils sont ridicules, qu’ils ne sont que ridicules ; et remettre en question cette sacro-sainte appréciation vous fait passer dans leur camp, celui des ridicules. Mais rira bien qui rira le dernier… But he laughs best who laughs last…
Dans un article d’Atlantico du 6 janvier 2020, intitulé « Brexit : l’écrasante victoire de Boris Johnson, quel avenir possible pour le pays ? », Christophe de Voogd souligne l’excellente éducation de Boris Johnson (Eton et Oxford), sa connaissance des humanités grecques et latines. Il écrit (et j’approuve chaleureusement cette analyse) : « Toujours aveuglés par leurs préjugés, nos esprits chagrins, pour qui Boris Johnson ne saurait être qu’un “clown populiste à l’agenda ultra-libéral”, n’ont pas perçu la pertinence et le pragmatisme de ce programme autorisé par la très bonne situation financière du Royaume-Uni. Comme ils n’ont pas vu que Boris Johnson, en maître des codes, a su s’adresser à tous les électorats par des mots simples et directs, voire familiers (folks !), appliquant à la lettre la recommandation d’Aristote de savoir s’adresser au peuple et d’éviter “les raisonnements trop compliqués”. De même, la pensée politiquement correcte n’a pas su voir qu’en adoptant un tel programme de relance des services publics, Boris Johnson poussait Jeremy Corbyn encore plus vers la “gauche de la gauche” (où il avait déjà tendance à aller de lui-même) et à tomber dans une surenchère (nationalisations coûteuses, délire dépensier et matraquage fiscal), irrecevable même par l’électorat du Labour. Le tout en s’empêtrant dans un message incompréhensible sur le Brexit, avec un nouveau référendum pour lequel il refusait de donner une consigne de vote. Les enjeux sociétaux ont fait le reste : prônant une politique d’immigration restrictive et une priorité à la sécurité publique, conformes aux vœux d’un large électorat, notamment dans les circonscriptions “blanches” populaires, Boris Johnson a mis en porte à faux un Labour s’identifiant de plus en plus avec les minorités ethniques, et clairement islamo-gauchiste dans ses choix intérieurs et extérieurs. L’attentat du London Bridge, en pleine campagne électorale, commis par un islamiste un peu trop tôt sorti de prison, a fini d’enfoncer le clou dans le cercueil travailliste. »
Vive le Brexit and God save our gracious Queen…
Dans Figaro Vox du 21 janvier 2020, on peut lire dans un article signé Paul Sugy et intitulé « Brexit : pour le FMI, l’apocalypse promise n’aura pas lieu ». Il apporte de l’eau à mon moulin, si je puis dire, et me laisse présager que le désengagement du Royaume-Uni donnera des idées à d’autres pays d’Europe ou que, tout au moins, la bonne vieille Europe que j’aime malgré tout sera amenée à cesser un certain radotage qui, je l’espère, n’est pas le fait de la sénilité… :
« Les prévisions apocalyptiques concernant le Brexit relevaient plus de l’argumentaire politique que des réalités économiques. Il était tout de même difficile d’ignorer le fait que le Royaume Uni a bien mieux géré l’après crise de 2008 que ne l’ont fait d’autres gouvernements de la zone euro, sans parler de l’action de la Banque d’Angleterre, bien plus efficace que ne l’a été la BCE au cours de ces 10 dernières années. Le Royaume Uni dispose d’un historique solide en termes de pragmatisme économique. En 1931, les Britanniques sont les premiers à sortir de l’étalon Or, et sont logiquement les premiers à sortir du marasme de la Grande Dépression. À partir de 1945, le gouvernement travailliste de Clement Atlee participe largement au consensus d’après-guerre à l’origine des Trente Glorieuses, entre recherche du plein-emploi et État providence. En 1979, le Royaume Uni est le premier à tenter l’expérience libérale. Si ces épisodes ont été plus ou moins réussis, il est important de reconnaître que le Royaume Uni agit régulièrement en précurseur du monde occidental. »
Olivier Ypsilantis