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 En marchant dans Lisbonne

 

Visite du Museu Militar de Lisboa, un musée qui commence à s’organiser en 1842 comme « Arsenal Real do Exército ». Sous le règne de D. Maria II, par décret royal du 10 décembre 1851, ce musée devient « Museu de Artilharia » avant de devenir, en 1926, « Museu Militar de Lisboa ». Fin XIXème et début XXème, son premier directeur, le général José Eduardo Castelbranco, confie la décoration des salles aux meilleurs artistes et artisans portugais. De ce fait, ce musée mérite une visite autant pour la décoration de ses salles (certaines tout au moins) que pour ce qui y est présenté.

Ce musée est le plus ancien de la capitale portugaise. Les salles les plus remarquables, pour leur décoration tout au moins, sont au nombre de trois : une au rez-de-chaussée, avec des peintures de Carlos Reis (1863-1940) ; deux autres à l’étage, avec des peintures d’Adriano de Sousa Lopes (1879-1944). Les peintures de ces deux artistes ont été spécialement conçues pour ces salles ; elles sont monumentales. Dans la Sala Vasco de Gama, Carlos Reis célèbre les explorateurs portugais. Une composition met en scène des tritons et des sirènes qui aplanissent les vagues afin de faciliter le voyage des navires portugais vers l’Inde. On retrouve Adamastor, le géant de la mythologie gréco-romaine qui apparaît dans « Os Lusíadas » de Luís de Camões. En l’occurrence, il représente les forces de la nature liguées contre Vasco de Gama en route vers l’Inde. Adamastor est également présent à Lisbonne sur le Miradouro do Adamastor qui offre l’un des plus beaux panoramas sur le Tejo. Dans cette salle, un buste monumental de Vasco de Gama (du plâtre imitation bronze), 1904, de José Simões de Almeida (1844-1926).

 

Museu Militar de Lisboa, entrée principale.

 

L’escalier qui conduit au premier étage est flanqué de deux noms et dates : Montes Claros 17 de Junho de 1665 et Buçaco 27 de setembro de 1810, deux repères dans l’histoire du Portugal. A l’étage, une maquette interactive montre les Linhas de Torres Vedras (1809-1812) destinées à la défense de Lisbonne contre les attaques françaises. Dans cette même salle, une peinture conçue aux dimensions de la salle s’intitule « Visão de um soldado português » (auteur ?) : une sentinelle postée devant le Monumento Comemorativo da Batalha do Buçaco a une vision de cette bataille, une victoire portugaise.

A l’étage encore, les deux salles consacrées à la Première Guerre mondiale, Salas da Grande Guerra, avec le Corpo Expedicionário Português (C.E.P.) et le Corpo de Artilharia Pesada Independente (C.A.P.I.). Les immenses compostions d’Adriano de Sousa Lopes, un artiste auquel j’ai consacré un article sur ce blog :

http://zakhor-online.com/?p=13656

Une surprise, un soldat en céramique de Rafael Bordalo Pinheiro (1846-1905), un caricaturiste comparable à Honoré Daumier et un céramiste comparable à Bernard Palissy, et je pèse mes mots. J’ai abordé cette œuvre par la figure en céramique de Zé Povinho, il y a peu.

Dans un coin de cette salle, un espace est dédié à O Soldado « Milhões », de son vrai nom Aníbal Augusto Milhais (1895-1970), un surnom qui lui est venu de cette remarque des plus élogieuses : « Tu és Milhais, mas vale Milhões ! » A ce propos, à l’occasion du centenaire de la Bataille de La Lys (où les Portugais ont tant souffert en 1918), un film intitulé « Soldado Milhões » de Gonçalo Galvão Teles et Jorge Paixão da Costa sera projeté dans les salles du pays à partir du 12 avril 2018. Ci-joint, un documentaire sur ce héros portugais :

https://www.youtube.com/watch?v=m8AxDPL3Bx8

Un extraordinaire groupe en bronze montre un attelage d’artillerie de 75. Il est extraordinaire en tant qu’œuvre d’art, avec ces hommes et ces chevaux pris dans un mouvement d’une parfaite cohérence jusque dans les moindres détails (et ils sont nombreux), mais aussi en tant que prouesse technique. Il a été réalisé à la cire perdue, par Augusto Abreu, le meilleur fondeur portugais du XXème siècle. Cette œuvre modelée dans l’argile (dans une sorte de frénésie, avec puissante gestuelle) est de Delfim Maria de Sousa Maya (1886-1978), plus connu sous le nom de Delfim Maya, officier de cavalerie, cavalier émérite (son thème de prédilection, le cheval), et sculpteur d’avant-garde. L’attelage est saisi à l’instant précis où éclate un obus qui fait se cabrer ou se renverser les six chevaux, les trois hommes à cheval et les trois autres assis sur le caisson d’artillerie.

 

Une sculpture de Delfim Maria de Sousa Maya

 

Delfim Maya fut aussi un artiste d’avant-garde dans un Portugal quelque peu assoupi. Il a notamment réalisé des sculptures en découpant et en pliant des feuilles de métal. Certaines de ses œuvres évoquent immanquablement Pablo Gargallo. J’ai donc découvert aujourd’hui un grand artiste et je suis heureux de rapporter dans le présent article un nom bien oublié et probablement inconnu hors du Portugal. Monarchiste convaincu et jusqu’à sa mort ; ses nombreux démêlés avec le régime républicain instauré en 1910 : exils, prisons, amnisties.

La synagogue inaugurée en 1904 (et construite par Miguel Ventura Terra dans un style néo-byzantin) est à présent bien visible. En effet, les travaux de démolition d’une construction à l’angle de Rua Alexandre Herculano et Rua do Salitre permettent d’en apprécier pleinement le volume. J’en ai pris quelques photographies car il me semble que des travaux de construction ne vont pas tarder à la cacher à nouveau.

Le café où j’écris donne sur le Largo do Rato, l’une des places les plus actives du centre de Lisbonne. A l’angle que fait cette place avec Rua da Escola Politécnica, une pâtisserie fondée en 1800 et fière de son ancienneté. Ciel gris. Pleuvra-t-il ? J’aime les pluies sur Lisbonne, les pluies océanes, les pluies atlantiques. Je me souviens d’une fin d’année avec pluie battante contre les vitres et vue sur l’estuaire du Tejo, vue que j’aurais aimé transcrire à la craie lithographique sur une pierre finement grainée. Les pluies sur Lisbonne sont souvent si douces que l’on hésite à ouvrir son parapluie. As chuvas em Lisboa !

 

Un coin de Largo do Rato, Lisboa.

 

Et je griffonne dans ce même café quelques « Je me souviens » portugais, une suite que je poursuivrai à l’occasion :

Je me souviens du pavé de Lisbonne, comme un immense filet de pêche jeté sur toute la ville…

Je me souviens du Ponte 25 de Abril. Il me faisait immanquablement penser à San Francisco.

Je me souviens qu’il m’arrivait de penser à Prague en marchant dans Lisbonne, surtout lorsque je longeais un vieux mur craquelé, écaillé, boursouflé, un mur qui gardait le souvenir d’averses.

Je me souviens de la luisance des rails du tramway et du réseau des caténaires. Ils me replaçaient à Prague.

Je me souviens des trois F de l’Estado Novo : Futebol – Fado – Fátima. Je me souviens des trois D du Movimento das Forças Armadas (M.F.A.) : Descolonização – Democratização – Desenvolvimento.

Je me souviens de l’incendie des Armazéns do Chiado, en 1988, et de l’Expo ‘98.

Je me souviens du courage du capitaine Salgueiro Maia.

Arrêt dans l’antre d’un bouquiniste. Les livres s’y entassent toujours plus et une allée est à présent condamnée. Ici, l’achat se mérite. Il faut remuer je ne sais combien de livres avant d’en trouver un à emporter – et avec quel plaisir ! Je suis las de ces librairies où les livres sont soigneusement rangés par genre et ordre alphabétique. Certes, je comprends l’intérêt de cet ordre et je sais en bénéficier ; mais quel bonheur de pouvoir par moments se perdre dans un grand désordre et d’y faire des découvertes ! Ainsi ai-je trouvé, pour une somme plus que modique et en très bon état, les six volumes des manuels d’histoire d’Albert Malet et Jules Isaac. C’est toute une mémoire portugaise qui arrive ici, une mémoire francophile et francophone ; une mémoire politique aussi, avec cette abondante édition qui fit suite au 25 avril 1974, des publications interdites par un régime qui avait tenu le pays sous la censure pendant près d’un demi-siècle.

Olivier Ypsilantis

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