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Samedi 9 et Dimanche 10 juin 2018, Campo de Ourique, Lisbonne.

 

En Header, une vue aérienne de Campo de Ourique

 

Campo de Ourique inscrit un graphisme très particulier sur le plan du centre-ville de Lisbonne, un graphisme en damier dans un ensemble au tracé plutôt varié, tracé qu’explique un relief complexe : Lisbonne, la ville aux sept collines. Campo de Ourique s’étend sur une sorte de plateau, un espace grand ouvert au-dessus duquel passent à basse altitude les avions à l’approche, dont ceux de la compagnie TAP Air Portugal frappés des couleurs nationales, le vert et le rouge.

 

A l’entrée de Campo de Ourique, avec le café-pâtisserie « A Tentadora » où j’aime prendre des notes. Il me fait voyager dans le temps, ce qui est bien le plus vrai des voyages.

 

Je suis arrivé sur ce plateau par la montée, assez rude, la Calça da Estrela, qui va de la Assembleia da República à une place qui d’un côté donne sur la Basílica da Estrela et de l’autre sur le Jardim da Estrela. A côté de la Assembleia da República, un espace vert relativement modeste et rigoureusement organisé, à la française, le Jardim de São Bento au centre duquel se dresse un groupe imposant consacré à la famille : « A família » de Leopoldo de Almeida, avec Pai-Mãe-Filho. Le père et la mère sont assis sur leurs jambes et l’enfant placé au centre de la composition a une pose qui ne peut qu’évoquer celle de l’Enfant Jésus, avec ses bras ouverts qui semblent vouloir bénir le monde. Devant ce groupe, un couple de colombes amoureuses, elles aussi en marbre. Deux beaux cratères maintenus par des lions ailés sont placés en symétrie, de chaque côté de l’escalier qui y mène à ce jardin.

Sur Largo da Estrela, la Basílica da Estrela (ou Real Basílica e Convento do Santíssimo Coração de Jesus), XVIIIe siècle. Tours jumelles, nombreuses statues de saints et d’allégories en ronde-bosse, profusion de pots à feu et jusque sur le lanternon. L’intérieur est exclusivement orné de marbre, de la marqueterie (mármores cinzento), ce qui est plutôt rare à Lisbonne où les voûtes sont volontiers peintes en trompe-l’œil dans un style qui à l’occasion tend vers les vertiges d’Andrea Pozzo. La sensation d’être dans un intérieur impérial, romain, sensation que donne ce marbre, partout et jusque sur les voûtes, sensation que ne donne pas la fresque, plus modeste à sa manière et malgré tous ses effets.

En face, le Jardim da Estrela (ou Jardim Guerra Junqueiros), milieu XIXe siècle, près de cinq hectares, de style anglais, à mon goût le plus agréable des jardins du centre de Lisbonne. A côté, le British Cemetery avec la sépulture de Henry Fielding. Il était venu à Lisbonne pour se soigner mais il y décédera, en 1754.

 

Un coin du British Cemetery, l’un des lieux les plus romantiques de Lisbonne. J’ai assisté à l’office de Noël (anglican) avec ces Christmas Carols qui me font revenir dans l’enfance. La célébration a été suivie d’un cocktail sous le portrait de la reine Elizabeth. God Save our gracious Queen !  

 

Arrêt dans un café nostalgique. Temps couvert, vent frais, atlantique et, par moments, pluie fine. Les sachets de sucre appartiennent à la série 100 eventos marcantes da historia de Portugal. Sur le mien il est question du film de Ruben Alves, « A Gaiola Dourada » (La Cage dorée), de 2013, une comédie qui a connu un franc succès au Portugal. Ci-joint, le trailer de cette comédie entre France et Portugal :

https://www.youtube.com/watch?v=uwXp0ZhXAoY

Marche dans Campo de Ourique. Igreja do Santo Condestável, l’une des « Novas Igrejas ». Une certaine froideur mais un incontestable sérieux, avec matériaux de qualité (de la pierre de taille notamment) et proportions harmonieuses de style néogothique. Les plans en ont été élaborés dans la deuxième moitié des années 1940 par l’architecte Vasco Regaleira (1987-1968) dont l’essentiel de la production se rattache à l’Estado Novo (style Português Suave), avec des édifices religieux au Portugal et dans l’Empire portugais – províncias ultramarinas comme on les désignait officiellement.

 

Le marché de Campo de Ourique

 

Campo de Ourique est l’une des freguesias de Lisbonne centre. Son ambiance est unique. Elle est en partie déterminée par son urbanisme, un quadrillage en damier sur une extension plane, inhabituel dans cette capitale, je le redis. C’est un quartier de familles dont l’ambiance diffère grandement de celle des autres freguesias de la capitale portugaise. C’est un quartier à l’urbanisme ouvert et qui donne pourtant la sensation de vivre sur lui-même, heureux, jouissant d’un rythme particulier, hors de la ville, comme posé dans un espace qui pourrait être la pampa d’Argentine. J’aime décidément de plus en plus ce quartier où je me promène à pas lents sous un ciel gris parcouru de souffles frais. Les dernières interventions urbanistiques à Campo de Ourique datent des années 1950, ce qui explique, au moins en partie, que ce quartier soit comme décollé du reste de Lisbonne, qu’il soit comme une île dans Lisbonne et les vagues de ses collines.

Une musique de fête foraine se déplace dans le quartier : un marchand de glaces ? La réponse à ma question ne tarde pas : apparaît un papy à la coupe d’Iroquois avec mèches violettes sur une vielle bicyclette qui avance précautionneusement. Il a installé un haut-parleur sur son porte-bagage arrière, haut-parleur surmonté d’un drapeau du Portugal. Sur son guidon, il a ficelé un aigle en plastique, ailes déployées. Papy tourne et tourne encore dans Campo de Ourique, précautionneusement.

Arrêt chez une bouquiniste (alfarrabista). Je dégote une étude en espagnol : « Perfil humanístico de Gregório Marañón » de Cruz Malpique. La femme qui tient la librairie me parle spontanément. Je lui explique que mon portugais est encore un peu hésitant, encore un peu trop mâtiné de castillan, mais que la chose devrait s’améliorer dans l’année qui vient. Elle s’appelle Crisálida Filipe. Elle me parle de ses débuts à Toronto, de sa première collection, des cuillères à thé uma coleção de colheres de chá antigas ! A son retour au Portugal, elle en avait plus de deux mille qui disparurent, entre autres choses, dans un déménagement. Encouragée par le bouquiniste Pedro Castro e Silva, Crisálida Filipe devient bouquiniste. Nous sommes en 1990. Le Portugal compte alors trente-trois bouquinistes, sans une femme dans la profession. On avait parié qu’elle ne tiendrait pas plus de six mois. Elle célébrera bientôt ses trente ans d’alfarrabista. Crisálida Filipe me parle de la beauté de la langue portugaise qu’elle dit plus riche, plus ancienne que l’espagnol ; et elle s’en prend gentiment mais fermement à l’Espagne et aux Espagnols qu’elle juge arrogants. Je n’ose la contredire et prends note une fois encore de cette subtile rivalité entre ces deux pays, rivalité qui s’exacerbe délicatement avec la coupe du monde de football. Crisálida Filipe est une passionnée de littérature et de poésie ; mais la place étant bien occupée dans ces domaines, elle se spécialisa dans les publications juridiques. Elle est aujourd’hui une référence en la matière et nombre de grands juristes du pays sont passés et passent encore dans son magasin. Et elle me cite les noms de quelques-uns d’entre eux ; ils ne m’évoquent rien hormis Marcelo Rebelo de Sousa, président de la République portugaise depuis 2016, un homme bien moins visible sur le petit écran et dans la presse que le Premier ministre, António Costa. Marcelo Rebelo de Sousa a un visage fort sympathique ; il ressemble à Yves Montant. Et tandis que Crisálida Filipe me parle du Canada et de Toronto, je pense d’un coup à Montréal, au point que je suis pris d’un léger vertige ne sachant plus vraiment où je me trouve. De fait, il y a une subtile similitude d’ambiance entre Campo de Ourique et le Plateau, à Montréal.

 

Crisálida Filipe. Elle fut la première bouquiniste du Portugal.

 

Campo de Ourique est un quartier à l’urbanisme et aux limites bien définis, contrairement à d’autres quartiers lisboètes. Le plan en a été arrêté en novembre 1878 ; c’est l’un des premiers à être réalisés par la Câmara Municipal de Lisboa, sous la responsabilité de Frederico Ressano Garcia qui fut à Lisbonne ce que le baron Haussmann fut à Paris, pourrait-on dire en forçant à peine la note. Lorsque le plan du quartier fut défini, il existait sur son futur emplacement deux ensembles emblématiques : le Quartel de Campo de Ourique et le Cemitério dos Prazeres qui pourraient faire l’objet d’autres articles. Sur l’emplacement de cette caserne s’élève le premier pâté d’immeubles (huit immeubles) et un ensemble de  maisons (casas abarracadas, visibles sur rua Infantaria 16, n°42-50), le tout délimité par les rues Ferreira Borges, Infantaria 16 et Correia Teles. Ces casas abarracadas, connues sous le nom de « Pátio das Barracas », sont aujourd’hui en fort mauvais état. Ces modestes maisons furent édifiées par les entreprises en charge du chantier de Campo de Ourique pour y loger leurs employés. Ce sont des vilas operárias comme on peut en voir dans le quartier de Graça, à Lisbonne.

Au centre de Campo de Ourique, un bel espace vert aménagé dans les années 1890, le Jardim Teófilo Braga. On peut y voir la statue de Maria da Fonte de António Augusto de Costa Motta. Maria da Fonte, nom emblématique de l’histoire du Portugal, nom d’une révolution initiée dans la région du Minho, en mai 1846, et qui gagnera tout le pays. A l’initiative de ce mouvement populaire il y aurait eu une femme, Maria, originaire de Fontarcada. Ce monument fut érigé en 1920 pour commémorer le centenaire de la Révolution libérale portugaise. Il montre une femme grandeur nature, en marbre clair et d’un beau réalisme. D’une main, elle brandit un pistolet ; de l’autre, elle maintient sur son épaule gauche un chuço, une sorte de pique. Des arbres imposants ombragent ce jardin, dont des ficus benjamina, moins imposants toutefois que ceux du Jardín de Floridablanca, à Murcia, ou que d’autres au centre d’Alicante.

 

« Maria da Fonte » dans le Jardim Teófilo Braga.

 

A l’angle de rua Ferreira Borges et rua Saraiva de Carvalho, l’un des plus beaux immeubles Arte Nova du quartier qui abrite par ailleurs l’un des symboles du quartier, la pâtisserie A Tentadora. C’est la première réalisation d’Ernesto Korrodi, Suisse naturalisé portugais, l’un des principaux représentants de l’Arte Nova dans le pays et responsable de près de quatre cents projets dans tout le Portugal. En face, rua Saraiva de Carvalho, un immeuble occupé par une librairie-papeterie, A Concorrente, lui aussi décoré de frises Arte Nova, des céramiques de José António Jorge Pinto.

Et comment évoquer ce quartier si attachant sans évoquer l’Europa Cinema ! Il se situait à l’angle de rua Francisco Metrass et de rua Almeida e Sousa. Le lien ci-dessous, très richement documenté, montre ce cinéma de son inauguration en 1931 à aujourd’hui. La dernière projection y eut lieu en 1981. Entre-temps, le bel édifice années 1930 avait été démoli, en 1957, et un nouveau cinéma inauguré en 1966, l’Europa. Fermeture définitive en 2004 puis, à partir de 2010, démolition et construction d’un immeuble de vingt-cinq appartements, avec, au rez-de-chaussée, une bibliothèque et un espace culturel. A l’angle, le haut-relief d’Euclides Vaz a été remis en place. Il montre l’enlèvement d’Europe par Zeus métamorphosé en taureau. Europa est décliné en grec, soit Εὐρώπη :

http://restosdecoleccao.blogspot.com/2016/06/cinema-europa.html

Olivier Ypsilantis

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