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En lisant «Rachi de Troyes» de Simon Schwarzfuchs – 1/2

«Rachi de Troyes» dont il va être question a été écrit par Simon Schwarzfuchs, rabbin et historien, auteur de plusieurs ouvrages qui font autorité sur les communautés juives d’Occident aux époques médiévales. Rachi de Troyes est une figure majeure du judaïsme. Sans forcer la note on peut affirmer que sa stature est comparable à celle de Maïmonide.

 

Rachi de Troyes naquit à Troyes, en Champagne, vers 1040 ; il y décéda en 1105. Sa famille était originaire de Troyes où elle vécut jusqu’à l’expulsion des Juifs de France, par Philippe le Bel, en 1306. Rachi de Troyes sut guider ses contemporains mais aussi les générations suivantes dans l’étude de la Bible hébraïque et du Talmud. Il fut un maître non seulement pour les Juifs mais aussi pour nombre de chrétiens, notamment par ses commentaires bibliques.

 

La culture juive en Europe occidentale avant Rachi

Considérant le manque de documents, il est difficile d’étudier la vie des communautés juives en Europe avant la fin du Xe siècle. Vers la fin du VIIIe siècle et au début du IXe siècle on sait pourtant que des Juifs se réinstallèrent en Europe, principalement à Narbonne et dans le pays mosan, zone névralgique de l’Empire carolingien, entre Rhin et Meuse, véritable centre d’affaires qui attira de nombreux Juifs parmi lesquels des Juifs d’Italie qui introduisirent la culture talmudique en Europe du Nord, une culture qui ne s’y développa vraiment qu’au milieu du Xe siècle, cent cinquante ans après l’arrivée des marchands juifs, un décalage observé ailleurs : «On pourrait presque avancer comme loi de l’histoire juive qu’un laps de temps d’environ deux siècles a toujours été indispensable pour que les études talmudiques s’enracinent et se développent». Dans la seconde moitié du IXe siècle, principalement le long du Rhin, se constituèrent les communautés de Spire, Worms, Mayence, Bonn et Cologne. L’afflux vers la région rhénane de savants de la Torah venus d’Italie stimula l’étude religieuse ; et l’arrivée de Samuel ben Kalonymos, à Mayence, provoqua une révolution de l’enseignement. Les commentaires s’accumulant, Mayence devint le principal dépositaire de manuscrits hébraïques en Occident. Autres communautés prospères, celles de Worms et de Spire, Worms où Henri IV (empereur du Saint-Empire romain germanique de 1056 à 1105) accorda une charte accordant notamment une totale liberté de mouvement aux Juifs dans tout l’Empire. Suite à un incendie qui détruisit leur rue, les Juifs de Mayence se réfugièrent à Spire où l’évêque leur accorda une charte fort avantageuse afin de retenir cette entreprenante communauté. L’Empereur Henri IV confirma leurs privilèges. A la veille des Croisades la région rhénane était un  centre intellectuel appelé à dynamiser tout le judaïsme médiéval.

 

La vie de Rachi 

Salomon ben Isaac, plus connu sous le nom de Rachi (de Troyes), est né douze ans après la mort de Rabénou Guerchon. Rachi a environ vingt ans lorsqu’il quitte Troyes pour la Rhénanie afin d’y poursuivre ses études, soit rencontrer des maîtres et travailler en bibliothèque — les livres sont rares, précieux donc ; l’imprimerie reste à inventer. A Mayence, Rachi a notamment pour maître Jacob ben Yakar qui lui communique des autographes de Rabénou Guerchon. Après le décès de Jacob ben Yakar, Rachi poursuit ses études avec l’autre maître de Mayence, Isaac ben Juda. Rachi ne reviendra qu’une fois en Rhénanie, à Worms, cinq ans après ce premier voyage. Ses contacts avec l’Allemagne resteront épistolaires. En 1096, les Croisées s’en prennent aux communautés juives de Rhénanie, en particulier à celle de Mayence. Les spécialistes de l’œuvre de Rachi n’ont curieusement trouvé aucun écho de ces événements dramatiques dans l’œuvre du maître.

 

Sculpture de Raymond Moretti (1931-2005), en hommage à Rachi de Troyes.

 

Le Troyes de Rachi.

La ville de Troyes qui abrite la principale communauté juive de Champagne ne compte pas plus de trois à quatre mille habitants ; et cette communauté juive ne compte elle-même que quelques dizaines de familles soit tout au plus une centaine d’âmes. Les relations entre Juifs et Chrétiens sont amicales. Des Responsa (réponses des rabbins aux questions qui leur sont posées) nous apportent des précisions (parfois savoureuses) sur ces relations qui parfois se compliquent : le respect de la loi d’Israël dans une société féodale n’est pas toujours aisé.

 

Quelques documents nous sont parvenus concernant l’organisation communautaire, peu de chose en fait. L’un des grands problèmes que doit affronter la communauté juive d’alors est d’ordre interne. En effet, cette communauté s’amplifie et le rôle des Kadmonim (les anciens, les fondateurs) est remis en question surtout lorsqu’il s’agit de s’acquitter de l’impôt. Des documents attestent par ailleurs de frottements entre les diverses communautés juives, toutes désireuses de protéger leur souveraineté. Parmi les moyens de rétorsion qu’elles mettent en œuvre pour se protéger : l’excommunication (le  moyen le plus redouté et de loin), l’amende et l’appel au pouvoir chrétien.

 

Pour Rachi la communauté reste un cadre indispensable à la vie juive. Il défend donc son autonomie. Dans la communauté de Troyes la règle de l’unanimité (et non de la majorité) dans les décisions est la règle. Au XIIe et au XIIIe siècle la communauté juive occidentale conservera son autonomie mais elle sera amenée à remplacer la règle de l’unanimité par celle du vote majoritaire.

 

Le commentaire biblique

L’œuvre de Rachi est si vaste qu’on en vient à se demander comment un seul homme a pu la composer. Il la rédigea en hébreu rabbinique, dans sa ville de Troyes. Il a probablement commenté l’intégralité de la Bible. Un tel effort suppose une méthode ; mais contrairement à nombre de commentateurs médiévaux de la Bible, il n’a pas fait précéder ses écrits d’une introduction méthodique, à l’exception de la suivante, fort brève, pour son commentaire du Cantique des Cantiques. Je la reproduis dans son intégralité ; elle caractérise sa méthode :

 

«“Une fois Dieu l’a énoncé, deux fois je l’ai entendu” (Ps 62, 12). Un verset peut être expliqué de diverses manières, mais en fin de compte il n’échappe pas à son sens obvie. Les Prophètes ont sans doute utilisé des images, mais il faut les expliquer sous tous leurs sens et dans leur ordre, de même que les versets se suivent dans l’ordre. J’ai examiné plusieurs midrachim relatifs à ce livre. Il y en a qui expliquent ce livre en un seul Midrach. Il y en a qui sont dispersés dans plusieurs livres d’Aggada à propos de versets épars. Ils ne s’harmonisent pas avec le texte et l’ordre des versets. J’ai donc résolu d’appréhender le sens des versets, et d’en établir le commentaire selon leur ordre et les Midrachim auxquels nos maîtres ont fixé, Midrach par Midrach, leur place véritable. Je dis que le roi Salomon a perçu grâce à l’inspiration divine qu’Israël serait condamné à des exils successifs, et à des catastrophes consécutives. Ils pleureront dans cet exil leur gloire ancienne et ils se souviendront de l’amour d’antan, lorsqu’ils étaient un trésor parmi les peuples, en disant : “Je vais retourner chez mon premier mari, car j’étais plus heureuse jadis qu’aujourd’hui.” (Os 2, 9). Ils rappelleront ses faveurs, leurs mauvaises actions, et les bontés qu’il leur a destinées pour la fin des temps. Il a rédigé ce livre sous l’inspiration divine, dans le langage d’une femme vouée au veuvage perpétuel qui se languit après son mari, désire rejoindre son bien-aimé et rappelle son amour de jeunesse pour lui. Son bien-aimé prend également part à sa détresse, et lui rappelle les grâces de sa jeunesse, sa beauté et sa réussite, grâce auxquelles il s’est attaché à elle dans un ardent amour, pour proclamer que ce n’est pas de bon coeur qu’il l’a punie (Lam 3, 33), et que sa répudiation n’est pas définitive. Elle est encore sa femme et il est encore son époux.»

 

Rachi s’efforce donc vers la recherche du sens littéral sans se plier au Midrach (qui s’emploie à établir la Loi) mais sans pour autant le refuser. Pour les questions de halakha (la Loi), Rachi s’inspire du Talmud avec le souci constant de souligner l’union entre la Torah écrite et la Torah orale en recherchant la logique de leur union. Pour ce faire il mobilise toutes les ressources de la grammaire et de la philologie de son temps, une recherche qui nous laisse supposer la richesse de la bibliothèque de Troyes. Il n’hésite pas à utiliser les travaux des grammairiens espagnols, quitte à les contredire ; et pour être mieux compris, il inclut dans son commentaire biblique mille trois cents mots étrangers, presque tous en vieux français, et fait des croquis.

 

Comment expliquer le succès de Rachi ? Outre ses immenses connaissances, notamment des sources de la littérature rabbinique, il a un style, un style clair et concis, tant et si bien que son commentaire a suscité des centaines de sur-commentaires et qu’il en suscite encore. Par ailleurs, Rachi reste un pédagogue hors pair qui autorise différents niveaux de lecture (son commentaire du Pentateuque reste le plus populaire) : certains le lisent comme une quasi-paraphrase du texte biblique, alors que d’autres y voient une incitation à approfondir leurs propres recherches.

 

Vers la fin de sa vie Rachi confia à Samuel ben Meïr qu’il se reprochait de n’avoir pas suivi d’assez près le pechat (le sens littéral des versets).

(à suivre)

2 thoughts on “En lisant «Rachi de Troyes» de Simon Schwarzfuchs – 1/2”

    1. Madame,
      Je ne sais que vous répondre n’ayant pas lu l’oeuvre de Rachi de Troyes à proprement parlé mais simplement des études biographiques.
      Bien amicalement.
      Olivier

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