A propos des attentats qui viennent d’avoir lieu en Espagne, je me permets les observations suivantes, loin de tout esprit polémique. J’ai vécu plus de vingt années dans le Sud de ce pays où j’ai assisté à l’arrivée massive de Marocains au cours de ces dix dernières années, dans un pays marqué par la crise et la récession, particulièrement perceptibles dans ses zones rurales.
L’opinion publique française ne perçoit pas toujours très bien ce que signifie géographiquement l’Andalousie – Al-Andalus – dans l’esprit des Musulmans, en particulier de ceux qui se sont mis en tête de récupérer ce territoire. Pour l’historien, Al-Andalus est un territoire mouvant qui s’est dilaté et rétracté au cours d’une période comprise entre 711 et 1492. Mais dans l’esprit des Musulmans qui y croient, Al-Andalus est envisagé dans son extension maximale, étant entendu que tout ce qui a été terre musulmane doit le redevenir. Al-Andalus ne correspond en rien à l’actuelle Andalousie, une simple région autonome dénommée Comunidad autónoma de Andalucía, née en 1981. Al-Andalus dans son extension maximale, c’est la quasi-totalité de la Péninsule ibérique, soit l’Espagne et le Portugal, le Portugal trop souvent oublié. La quasi-totalité de cette péninsule, puisque des zones pyrénéennes et les Asturias ont été épargnées. Je passe sur les détails de cette conquête, une conquête qui s’est enclenchée et a été facilitée par de multiples guerres entre Wisigoths et par des populations oppressées qui virent en ces conquérants d’éventuels libérateurs.
Al-Andalus, extension maximale
Aujourd’hui, la quasi-totalité de la population musulmane installée en Espagne est d’origine marocaine, ce qu’expliquent la proximité géographique entre les deux pays et des relations historiques particulièrement denses qui ne se limitent pas à Al-Andalus. Par exemple, au cours de la Guerre Civile d’Espagne, le fer de lance des troupes franquistes était en partie constitué de Marocains, les Fuerzas Regulares Indigenas, crées en 1911, et plus connues sous le nom de Regulares. N’oublions pas que l’Espagne conserve par ailleurs deux enclaves sur les côtes marocaines (Ceuta depuis 1580 et Melilla depuis 1496), ainsi que des îlots dont la Isla de Perejil – on se souvient de l’incident qui y eut lieu en juillet 2002.
Les relations entre le Maroc et l’Espagne sont une vieille affaire et il me faut évoquer le Protectorat espagnol au Maroc, au Nord (provinces du Rif et du Habt), de 1912 à 1956, la colonie d’Ifni (prise de possession officielle par l’Espagne en 1934, rétrocession au Maroc en 1969). Ne pas oublier le Sahara occidental qui reste une question épineuse pour les diplomaties mondiales, sur fond de rivalité entre l’Algérie et le Maroc. On se souvient que le Sahara occidental, protectorat espagnol à partir de 1884, fut rétrocédé au Maroc suite à la Marche verte, en 1975, qui précéda la formation de la République arabe sahraouie démocratique (R.A.S.D.) en 1976. L’histoire des relations entre Sahraouis et Espagnols est un vaste sujet, un très vaste sujet. Les Espagnols qui se méfient de ceux qu’ils appellent los Moros ont une relation affective particulière avec ce peuple en partie relégué dans des camps installés dans l’une des régions les plus inhospitalières du monde, en Algérie, le Hamada de Tindouf. Je partage cette relation. De nombreuses familles espagnoles accueillent chaque été, au cours des mois les plus chauds, des enfants venus des quatre camps-quartiers de Tindouf. J’invite ceux qui me lisent à étudier ce peuple et son évolution particulière liée à des conditions de vie très particulières. Par exemple, sachez que le niveau d’éducation y est l’un des plus élevés du monde arabe, probablement le plus élevé, et la prise en charge de ces camps par les femmes y est probablement pour beaucoup. Sur fond de terrorisme et de rigorisme arabo-musulman, je tiens à rappeler l’existence de ce peuple oublié et qui n’a jamais pratiqué le terrorisme. Ci-joint, un article à caractère synthétique : « Le combat de la femme sahraouie dans l’exil » de la sociologue Keltoum Irbah. J’ai pu en comprendre la pertinence dans mes relations avec des membres de ce peuple (article en espagnol avec sa traduction en français) :
http://www.arso.org/keltoumIrbah170908.htm
La très rapide augmentation de la population marocaine en Espagne est un sujet de préoccupation, et le sera de plus en plus. Cette augmentation ne peut s’expliquer que par des accords au plus haut niveau, entre le roi du Maroc et les gouvernements successifs en Espagne, il ne peut y avoir d’autre explication. Je n’ai pas connaissance de ces tractations et de ces accords, mais c’est donnant-donnant. Le pouvoir marocain exporte une partie de sa population (rarement la plus qualifiée) afin de maintenir une certaine stabilité sociale (réduction de chômage, etc.), cette exportation se faisant essentiellement vers l’Europe qui est à sa porte (vers l’Espagne à présent, l’Espagne qui s’est convertie en une terre d’immigration depuis une vingtaine d’années, avec une relative décrue suite à la crise de 2008), mais aussi vers le Sahara occidental où des centaines de milliers de colons sont envoyés, généralement sous l’uniforme de l’armée régulière marocaine. Il faut savoir ce qu’est la « Ceinture de défense au Sahara » (appellation officielle du pouvoir au Maroc), l’un des murs les plus longs et les mieux défendus au monde. Par ailleurs (sujet peu évoqué par les médias occidentaux), on peut redouter non seulement une guerre entre l’Algérie et le Maroc pour cause de Sahara occidental, mais aussi une guerre au Maroc même. Il est vrai que Rabat sait jouer avec cette peur, une peur qui n’est toutefois pas infondée : le Maroc est un pays fragile. Outre le Sahara occidental, le Rif cherche lui aussi sa voie. Je mets en lien un article intitulé « Le Rif marocain face à la monarchie, à la France et à l’Europe aussi », publié par Farhat Othman, le 22 juillet 2017, sur Contrepoints – Journal libéral d’actualité en ligne :
https://www.contrepoints.org/2017/07/22/295349-rif-marocain-face-a-monarchie-france-leurope
Dans la deuxième partie de cet article (moins historique et plus offensive), j’en viendrai plus précisément aux attentats qui ont eu lieu hier, jeudi 17 août 2017, en Catalogne. Et je me permets à ce propos de remettre en ligne un article publié sur mon blog, le 30 décembre 2011, il y aura donc bientôt six ans, sous le titre : « La Catalogne est le fief du salafisme en Europe » :
http://zakhor-online.com/?p=2635
(à suivre)
Olivier Ypsilantis