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 Les Juifs, Israël et la Théorie du Complot – 1/2

 

Les Juifs et Israël “expliquent” tout. La théorie de la conspiration soulage de tous les maux, à commencer par la constipation. A ce propos, ne saviez-vous pas qu’Al-Qaida a été fabriqué par Israël, dans les laboratoires du Mossad, afin d’affaiblir le pouvoir syrien et fracturer la Syrie ? C’est le Plan Yinon en action ! Ne saviez-vous pas que l’antisémitisme est activé en sous-main par Israël afin de faire venir les Juifs de la diaspora vers Israël ? Ne saviez-vous pas que John F. Kennedy, hostile au programme israélien, a été assassiné sur ordre de David Ben Gourion alors Premier ministre ? Ne saviez-vous pas que le Titanic a été coulé par un Juif nommé Iceberg ainsi que viennent de le révéler des documents déclassifiés ? Ne saviez-vous pas…

 

Tout ce que vous dites au sujet d’Israël peut à tout moment se retourner contre vous ; autrement dit, tout ce que je dis au sujet d’Israël peut être retenu contre Israël. Je m’explique. J’ai publié sur ce blog même (en octobre 2014) un article en hommage à Abba Kovner, « Abba Kovner, héros juif, héros d’Israël ». J’y évoque notamment les Nokmim, ces hommes décidés à se venger des nazis après la fin de la guerre. L’information factuelle que j’apporte dans cet article (qui par son titre même laisse supposer que j’éprouve de l’admiration pour l’homme Abba Kovner) a été utilisée par des antisionistes et des antisémites (déguisés) pour démontrer combien les Juifs en général et les Juifs d’Israël en particulier sont fourbes et toujours prêts au meurtre (?!). Idem avec Oded Yinon et son plan (voir Plan Yinon) que j’évoque sur ce blog même (en août 2018) dans un article, « Vladimir Jabotinsky et Oded Yinon, deux grands sionistes », qui laisse lui aussi, et d’emblée, supposer bien de la sympathie. Des militants antisionistes de diverses obédiences (l’extrême-droite et l’extrême-gauche sont amoureusement enlacées lorsqu’il s’agit de dénoncer Israël) ont repris l’information pour la savourer. Le Plan Yinon n’est pas « une perversion juive » mais simplement une version israélienne du Divide and rule, un précepte mis en œuvre sur tous les continents et à toutes les époques par les dirigeants de ce monde. Mais puisqu’en la circonstance il s’agit d’un Israélien qui y a travaillé à une sorte de conspiration, à un « Plan sioniste pour le Moyen-Orient », les réflexes pavloviens se sont multipliés ; et c’est parce que ces militants antisionistes sont d’abord et presque toujours des antisémites – qui trop souvent s’ignorent – qu’ils s’énervent pavloviennement de la sorte, il n’y a pas d’autre explication : le stéréotype du Juif conspirateur (devenu Israël), tirant dans l’ombre les ficelles du monde, stéréotype venu des époques médiévales, a migré dans bien des petites têtes qu’il agite diversement.

 

Théorie du complot

 

Prenez les Gilets Jaunes. Je ne nie pas le bien-fondé de certains de leurs mécontentements, à commencer par cette « féerie » fiscale française, cet État devenu ivre de lui-même, gargantuesque autant que pantagruélique. Mais j’ai entendu des allusions répugnantes où la dénonciation du Riche conduisait sans détour à celle du Juif, étant donné que Riche = Juif et inversement (?!), une équivalence concoctée par la droite antisémite et reprise par différents courants de gauche. Je ne supporte pas d’entendre dans les manifestations « Rothschild » et « Goldman Sachs », vous savez, ces banques qui auraient concocté la crise de 2008-2012. « Goldman », un nom qui prend à l’occasion le relais de « Rothschild », « Goldman », un nom qui même pour les nuls en anglais suffit subliminalement à associer le Juif et l’Argent au sens générique – enfin, l’Or. Pierre Desproges dans une entrevue déclarait : « Dire que les Juifs sont plus doués pour la banque que les Bourguignons, c’est complètement con, c’est parce qu’on les a mis dans des situations où on les a empêchés de faire autre chose. Ils étaient bien obligés d’être usuriers, on ne voulait pas les laisser planter un chou. Mais ce n’est pas dans les gènes, ça. »

C’est que le monde n’a cessé de prendre ses aises sur le dos des Juifs et d’Israël. Ce fait est tellement répandu que presque personne ne semble s’en rendre compte. L’idée est très partagée selon laquelle l’existence d’Israël contrarie la (bonne) marche du monde ; autrement dit : si Israël n’existait pas, il y aurait moins de tensions et de violences sur tous les continents. Dans une entrevue publiée par Boulevard Voltaire avec Nicolas Gauthier (en octobre 2015), Youssef Hindi, écrivain et historien marocain déclare : « À l’heure actuelle, l’État d’Israël, qui renoue avec ses racines messianiques, vit une poussée de fièvre qui, en effet, peut mener les Israéliens, mais aussi toute la région et, par suite, les grands blocs politiques, vers une catastrophe. La politique israélienne est, du point de vue d’un esprit rationnel, suicidaire, mais pour les messianistes à la tête de l’État hébreu, elle profitera au projet sioniste qui n’est rien d’autre que la traduction d’un messianisme actif qui vise à hâter à toute force et à tout prix la venue d’un messie qui doit régner sur les ruines des nations ». C’est le genre d’appréciation traîne-partout, serpillière.

Je me demande si ce n’est pas plutôt Youssef Hindi qui vit une poussée de fièvre. Israël est un pays rationnel ; le messianisme ne conduit pas ce pays ; il y est présent mais comme force canalisée et positive. Par ailleurs, l’analyse que fait Youssef Hindi de l’histoire du sionisme dans cette même entrevue est des plus fantaisistes mais va dans le sens de sa propagande (voir « Ce choc des civilisations fabriqué de toutes pièces est le faux nez d’un choc idéologique mondial », titre de l’entrevue en question). Il est vrai que tout le monde n’a pas étudié le sionisme avec la rigueur d’un Georges Bensoussan (voir sa somme de plus de mille pages intitulée « Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, 1860-1940 »). Certes, tout le monde ne partage pas les transes de Youssef Hindi, historien de l’eschatologie messianique, qui, sous la multiplicité des références, cache mal son obsession du Juif et d’Israël. Il se rapproche de ce point de vue des négationnistes en multipliant les « indices » afin d’étayer sa thèse.

La démarche de Youssef Hindi et des négationnistes ont un air de famille. Certes, ils ne manient pas les mêmes matériaux et la même matière ; et il ne s’agit pas de faire de l’historien de l’eschatologie messianique – diable, quelle dénomination ! – un négationniste, mais leurs démarches suivent un même processus. Tout d’abord, il s’agit de décourager la critique sous une masse d’informations où le charlatanisme et le sérieux se donnent la main et dansent.

Mais il y a pire : on échafaude des démonstrations conçues pour appuyer strictement ses conclusions. Pour ce faire, on utilise la technique du copier-coller, aussi simple qu’efficace, et à laquelle Internet donne des possibilités illimitées. Puis, ainsi que je viens de le dire, on multiplie les références strictement sélectionnées de manière à donner à l’ensemble une apparence savante, cohérente, pertinente enfin ; et bien peu oseront s’opposer à quelqu’un qui semble si bien connaître le sujet et avoir les idées si claires. La Théorie du Complot qu’étreint si amoureusement Youssef Hindi a toujours séduit les foules, elle les séduit sans trêve, avec ce petit parfum de mystère qui les fait frissonner tout en leur fournissant une « explication ». Et dans ces foules, l’ignare et l’érudit peuvent se côtoyer et se donner l’accolade.

 

Théorie du complot…

 

Inutile de préciser que cette démarche est radicalement contraire à la démarche scientifique et, plus simplement, à toute démarche intellectuelle digne de ce nom. Enfin, soulignons que cette démarche est activée soit explicitement soit implicitement par les sentiments diversement négatifs que les masses éprouvent envers Israël. Critiquez Israël, vous vous ferez plein de potes, vous ferez le plein de potes. La soupe antisioniste est populaire ; la soupe antisémite l’est aussi. Ces soupes sont servies en abondance, bénévolement et à presque tous les coins de rue. Lorsque j’écris « la soupe antisioniste est populaire » et « la soupe antisémite l’est aussi », je ne laisse pas entendre qu’elles ne sont dégustées que par de pauvres hères ; des gens très distingués, habitués des cocktails mondains, où se servent les meilleurs champagnes et des canapés très élaborés, ne dédaignent pas ces soupes ; ils peuvent même s’en montrer friands. Étrange vraiment. On pourrait y voir une perversion comparable à celle des croûtenards (ou « soupeurs), ces individus qui déposent des croûtons de pain rassis dans les urinoirs publics pour les déguster une fois qu’ils sont imbibés d’urine – d’où la désignation « baba de pissotière ». La comparaison a toutefois ses limites car cette dernière pratique ne touche que des marginaux alors que l’antisémitisme à des degrés divers ne se limite pas à eux, l’antisionisme encore moins, au point qu’être sioniste relève de la marginalité et même de hyper marginalité.

Israël explique le monde comme le Juif l’explique… On cherche une explication à des complications, on cherche à pousser de côté des inquiétudes… Israël et le Juif feront l’affaire. Des siècles et des siècles de propagande venue des plus puissantes institutions ont séduit et soumis les esprits en leur proposant des « explications », autant d’exutoires. Il n’y a pas d’autre explication à cette commisération envers les Gentils Palestiniens. Ils n’intéressent que parce qu’ils sont « opprimés », voire « massacrés » par les Méchants Israéliens, ainsi que je le répète ; et je le répète car il faut que cette vérité entre dans ces têtes de bois, dans ces têtes de nœud. Je ne force pas la note, je ne la force vraiment en rien. Je me répète et je me répéterai : je reste infiniment surpris que des citoyens en tous genres et relativement indifférents à tout ce qui ne touche pas à leurs intérêts immédiats, relativement indifférents aux malheurs du monde, entrent en transes sitôt qu’il est question des Palestiniens et d’Israël. Les Palestiniens n’ont droit à leur commisération que parce que leurs « oppresseurs » et « assassins » sont des Juifs – Israël. C’est une commisération pavlovienne, préparée par des siècles et des siècles de propagande religieuse et politique.

La droite française a compté à certaines époques des intellectuels peut-être détestables mais très brillants, très cultivés. Pourtant, après mille pirouettes (numéros de jongleur, de funambule et de trapéziste) nombre d’entre eux retombaient lourdement sur « le Juif ». Nous avons à présent le même genre de numéros en la personne, par exemple, de Youssef Hindi ou Alain Soral, même s’ils sont d’une plus petite pointure : références multiples, contorsions qui permettent de garder l’équilibre jusqu’à un certain point, jusqu’à ce que les contorsionnistes tombent à leur tour et lourdement, bêtement, et se mettent à radoter.

Dans cette vidéo, Youssef Hindi nous explique comment l’islamophobie a été activée par les intellectuels juifs. Il suit sa démarche habituelle : je pose une conclusion (le préjugé ou l’élément de propagande) et j’élabore une démonstration à partir d’elle :

https://www.youtube.com/watch?v=laUlTlnXANo

Son œuvre majeure (que je n’ai pas lue), « Occident & Islam », sous-titrée « Sources et genèse messianiques du sionisme de l’Europe médiévale au choc des civilisations », en deux tomes, peut être librement téléchargée en PDF comme peuvent l’être nombre d’écrits antisémites, antisionistes, négationnistes et j’en passe.

(à suivre) 

Olivier Ypsilantis

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