Skip to content

La bataille d’Issos

 

J’ai écrit sur ce blog un article dédié la bataille d’Arbèles (ou Gaugamèles), intitulé « Arbèles (1er octobre 331 av. J.-C.) ». Je propose à présent un compte-rendu d’une bataille non moins extraordinaire, l’une des plus grandes batailles de l’Antiquité, connue du grand public par cette mosaïque trouvée à Pompéi et exposée au Museo archeologico nazionale di Napoli, une mosaïque hellénistique datée du IIe siècle av. J.-C., mais aussi par la peinture d’Albrecht Altdorfer réalisée en 1528-1529 et exposée à la Alte Pinakothek, München.

La bataille d’Issos (333 av. J.-C.) est l’une des trois batailles majeures livrées par Alexandre le Grand pour la conquête de l’Asie. Elle se place entre Le Granique (mai 334 av. J.-C.) et Arbèles. Issos est situé dans la plaine d’Adana, dans l’actuelle Turquie.

Au printemps 334 av. J.-C., Alexandre et son armée quittent la capitale de la Macédoine, Pella, pour une expédition de onze années en Asie. Alexandre laisse l’un de ses généraux, fidèles entre tous, Antipater, comme régent de la Macédoine. L’armée qu’il conduit n’est pas considérable : vingt mille fantassins, quatre mille cavaliers, sept mille archers et à peine neuf cents auxiliaires. L’armée perse comprend cinquante mille mercenaires (parmi lesquels de nombreux Grecs), trente mille Immortels (qui constituent la garde personnelle de Darius III) ainsi que des contingents constitués de divers peuples des montagnes. Les principales villes de l’Empire achéménide sont puissamment fortifiées et Darius III dispose d’un trésor illimité pour maintenir la cohésion de son immense empire, tandis que le trésor dont dispose Alexandre, à Pella, est presqu’épuisé. Darius III a par ailleurs sous ses ordres près de quatre cents embarcations, ce qui lui permet de contrôler les côtes d’Asie mineure.

L’Empire achéménide connaît une phase de paix et de postérité lorsqu’Alexandre l’attaque. Darius III a succédé à Artaxerxés III, Artaxerxés III qui avait passé quinze années à rétablir l’intégrité territoriale de l’Empire dans une suite d’actions qui avait culminé par le contrôle de l’Égypte et qui s’apprêtait à soumettre les Grecs, avec l’appui de partis anti-macédoniens dans certaines cités, avant de finir assassiné.

 

 

Arrivés en Asie Mineure, les Macédoniens espèrent pouvoir compter sur l’appui des cités grecques d’Asie Mineure sous domination perse. Mais ces cités économiquement prospères, en partie grâce à l’administration perse, observent non sans inquiétude l’arrivée des armées « libératrices ». Alexandre commence donc par rencontrer une forte résistance dès son entrée en Asie Mineure, notamment à Milet et à Halicarnasse. Toutefois, sa première grande victoire sur les Perses, au Granique, va lui permettre d’asseoir son prestige auprès des Grecs d’Asie Mineure. Et tout en poursuivant son avance, Alexandre va s’employer à assurer ses arrières en commençant par s’attirer la sympathie des peuples des régions qu’il soumet. Plutôt que d’avancer massivement, il divise ses forces : il confie à Parménion le gros de ses troupes tandis qu’il descend vers le sud, en longeant la côte d’Asie Mineure ; et à Gordion, il fait sa jonction avec Parménion. Il y séjourne (la durée de ce séjour reste très imprécise), ce qui permet à Darius III d’augmenter considérablement son armée.

Mais les Perses vont commettre une grave erreur. Tandis que Darius III attend des renforts à Babylone, Alexandre avance dans le Sud ; il longe les hautes terres arides du Capadocce en plein mois d’août. Entre Darius et Alexandre, les monts Taurus, seulement franchissables par un long défilé encaissé et sinueux. Alexandre s’y engage, inquiet. Une fois encore, la chance est de son côté. Le satrape perse de Cilicie, Arsamès, qui garde les portes de ce défilé, en retire le gros de ses forces afin d’attaquer l’arrière-garde macédonienne. En vain. Armasès met alors en pratique la politique de la terre brûlée. Alexandre qui est sorti de ce défilé envoie Parménion pour le devancer, ce qui lui permet de mettre la main sur Tarse avant que la ville ne soit détruite. Alexandre y entre début septembre 333 av. J.-C. Épuisée par la traversée des monts Taurus, son armée se repose dans les eaux fraîches et claires du Cydnus. Alexandre qui s’y baigne est pris d’un malaise et est retiré de l’eau à moitié inconscient. Une pneumonie est diagnostiquée. Les médecins ne savent que faire. Pourtant, en quelques jours, Alexandre est sur pied et se présente à son armée. Il décide de rester une ou deux semaines à Tarse pour y refaire ses forces et il envoie Parménion surveiller Darius III. Alexandre met à profit ce séjour pour frapper son propre monnayage à partir du trésor de Tarse. Il sait qu’il lui faut se comporter comme l’Achéménide et, ainsi, être considéré comme son continuateur et asseoir son pouvoir dans cet Empire qu’il veut soumettre.

Alexandre poursuit son avance en Cilicie et fait halte dans plusieurs villes à la recherche d’appuis, une opération de charme, en quelque sorte, menée en quelques jours à peine. Il quitte Tarse pour se porter à la rencontre de Parménion à Castabala. Ce dernier lui confirme que Darius va établir son campement à l’est des Portes de Syrie. Parménion conseille à Alexandre de positionner ses forces à Issos et d’y attendre l’armée perse. L’espace y étant plus réduit, cette dernière, plus nombreuse, ne pourra s’y déployer et  l’encercler. Par ailleurs, à partir d’Issos, Alexandre pourrait anticiper les actions des Perses et quelque soit le passage choisi par ces derniers. Mais Alexandre juge que si Darius décide de faire mouvement, ce sera en direction des Portes de Syrie, plus proches et où la vaste plaine de Syrie constitue un champ de bataille approprié pour son armée supérieure en nombre, un champ de bataille où opérer de larges mouvements d’encerclement.

Alexandre quitte Issos et se dirige vers le sud, vers Myriandrus où il établit un campement face à un passage ; mais l’ennemi n’y paraît pas. Darius n’attendait que cela pour pénétrer dans la vaste plaine par un autre passage, au nord, et sans encombre. Ainsi s’est-il placé sur les arrières d’Alexandre qui n’a d’autres choix que l’attaquer. Et en cas de défaite, ce dernier ne pourra battre en retraite vers la Macédoine. Darius se porte rapidement de Castabala à Issos avant de s’arrêter le long de la rive nord du Pinarus où il dispose ses forces sur la défensive. Ainsi, comme au Granique, une rivière sépare les deux armées. Il est vrai que dans ce cas bien peu d’eau coule. Le lit de cette rivière n’en constitue pas moins un élément tactique d’importance.

Alexandre est donc contraint au combat, avec cet ennemi positionné sur ses arrières. Alexandre a-t-il regretté de ne pas avoir suivi les conseils de Parménion ? Personne ne le saura jamais. S’il les avait suivis, il occuperait à présent la position qu’occupe Darius. Mais il doit faire demi-tour, imposer une rude marche à ses soldats, puis les disposer en ordre de bataille et les engager sans même leur accorder un peu de repos. Et pourtant…

Les Perses campent sur leurs positions, probablement satisfaits d’avoir gagné la première manche. Il ne leur reste plus qu’à attendre Alexandre sans bouger. L’historien peut se poser la question sans pouvoir toutefois y répondre : Alexandre aurait-il remporté la victoire s’il avait occupé la position qu’occupe Darius, s’il avait été sur la défensive, dans l’attente d’un ennemi supérieur en nombre ? En dépit de la fatigue, les troupes d’Alexandre ont bon moral ; l’optimisme du jeune roi est contagieux.

En fin de journée, Alexandre arrive sur la rive sud du Pinarus. Tout en continuant à avancer, son infanterie se dispose en ligne à mesure que le terrain le lui permet, avec bataillons d’infanterie côte-à-côte. Il prend soin de laisser son aile gauche collée à la Méditerranée tout en s’étirant sur sa droite jusqu’aux premières hauteurs. Puis il fait avancer la cavalerie, placée pour l’essentiel sous son commandement, sur son aile droite et confie son aile gauche à Parménion. Le point faible des Perses est leur infanterie tandis que l’infanterie macédonienne est la meilleure du monde, une véritable mécanique qui enfonce tout.

Conscient de l’inefficacité de son infanterie face aux phalanges macédoniennes, Darius la fait reculer en deuxième position et place devant elle les Immortels, des Iraniens ; et il se place en personne juste derrière eux. Sur ses flancs, en appui, environ dix mille mercenaires grecs et deux grandes unités d’infanterie légère perse. Alors que la bataille est sur le point de s’engager, Darius qui a retenu la leçon du Granique veut à tout prix éviter une attaque sur ses flancs. Ainsi fait-il faire mouvement à sa cavalerie qu’il positionne devant Parménion, sur l’aile gauche des Macédoniens ; puis il positionne deux grandes formations sur les contreforts de la montagne, sur l’aile droite des Macédoniens, l’une d’elle légèrement derrière ces derniers. Ainsi Darius espère-t-il bloquer toute attaque tant sur sa gauche (où Alexandre est supposé attaquer pour le déborder) que sur sa droite. Alexandre réagit immédiatement. Il renforce son aile gauche avec notamment de la cavalerie qu’il prend soin de cacher derrière des carrés de la phalange. Les forces perses positionnées dans les hauteurs hésitent à attaquer. Alexandre prend l’initiative et les met en déroute. Il laisse environ trois cents cavaliers surveiller leur retraite et fait revenir ses forces engagées de ce côté afin de les repositionner et, ainsi, éviter l’encerclement. Alors que les Macédoniens sont à portée des archers perses, Alexandre fait arrêter son armée et laisse l’initiative aux Perses. Mais ces derniers n’attaquent pas et Darius se tient toujours derrière ses Immortels.

La nuit va tomber ; Alexandre décide de passer à l’attaque. Il mène la charge sur son aile droite ; mais le centre constitué par les carrés de la phalange reste bloqué le long du lit de la rivière et perd contact avec la cavalerie, sur sa droite. Une dangereuse ouverture se forme dans le dispositif macédonien et Alexandre ne peut la colmater tant qu’il n’a pas écrasé l’aile gauche de Darius et, ainsi, écarté tout risque d’encerclement. Il n’a pas le choix. Cette ouverture n’échappe pas aux mercenaires grecs au service de Darius qui attaquent dans le but d’encercler l’ennemi, à commencer par la phalange. C’est l’un des moments cruciaux de cette bataille. Les Macédoniens perdent cent vingt officiers mais plutôt que de venir en aide à son centre, Alexandre juge préférable d’engager sa cavalerie contre l’aile droite des Perses qu’il a commencé à envelopper et où se trouvent les Immortel et Darius. Tuer ou capturer Darius reviendrait à porter un coup décisif à l’Empire achéménide. Oxathrès, frère de Darius et commandant des Immortels, résiste avec l’énergie du désespoir. Darius est pris dans un indescriptible chaos. Sa garde est bousculée, décimée. Épouvanté, il finit par perdre le contrôle de lui-même et oubliant le protocole, il saisit les rênes de son attelage et s’enfuit.

 

 

L’aile gauche et le centre de l’armée d’Alexandre sont menacés. Comme à Gaugamèles, Alexandre renonce d’abord à poursuivre le Darius et met en mouvement son aile droite, attaque les mercenaires grecs sur leur flanc gauche et les oblige à reculer et  à refranchir le Pinarus. Lorsque la cavalerie lourde de Nabarzane comprend la situation et apprend que Darius s’est enfui, elle s’enfuit à son tour.

Après avoir stabilisé la situation, Alexandre se met à poursuivre Darius ; mais ce dernier a pris une sérieuse avance après avoir abandonné son attelage pour un cheval. Par ailleurs, la débandade de l’armée perse rend difficile une telle poursuite. A la tombée de la nuit, et après avoir parcouru une quarantaine de kilomètres, Alexandre s’arrête. Il a néanmoins capturé la mère, l’épouse et les fils de Darius qu’il traite avec les honneurs dus à leur rang.

La victoire d’Issos ouvre à Alexandre la voie vers la Palestine et l’Égypte. Il s’y dirigera l’année suivante, après avoir pris le contrôle de toute la côte phénicienne. La ville d’Alexandrie sera fondée en 332 av. J.-C. pour commémorer cette victoire majeure. Alexandre réorganise sans tarder une armée de cinquante mille hommes avant de s’emparer de toutes les terres entre le Tigre et l’Euphrate. Darius va lui aussi réorganiser une armée, bien plus nombreuse que celle d’Alexandre. Le grand affrontement aura lieu à Gaugamèles, dans l’actuel Irak, une défaite définitive pour Darius.

Les conquêtes d’Alexandre sont jalonnées de multiples combats. Mais dans ses immenses conquêtes, quatre batailles ressortent : Le Granique, Issos, Gaugamèles et Hydaspes (326 av. J.-C.) qui fait suite à la chute de l’Empire achéménide, une bataille contre Porus l’Indien qui exerce sa souveraineté sur un territoire compris entre le Jhelum et le Chenab, soit l’actuel Pakistan. C’est au cours de cette bataille que la cavalerie macédonienne affrontera les éléphants de guerre.

Ci-joint, une vidéo en trois parties consacrée à la bataille d’Issos (Battle of Issus) :

https://www.youtube.com/watch?v=PoKAdLcrrMo

https://www.youtube.com/watch?v=4V40XmFQYZo

https://www.youtube.com/watch?v=0Fc2ls5glKA

Olivier Ypsilantis

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*