La formidable énergie du Baroque italien, avec notamment cette tension verticale dont la plus pure expression est probablement « Le rapt d’une Sabine » de Giambologna.
Pour des femmes intégralement voilées ! Oui, mais à la manière de « Modestia » d’Antonio Corradini, l’un des plus beaux drapés de l’histoire ! Le drapé qui cache pour mieux révéler !
Afin d’augmenter le tumulte, le Baroque élabore des compositions aux géométries (lignes de force) complexes données par des imbrications (voir par exemple « Le rapt des Sabines » de Pietro da Cortona) mais aussi par l’ajout d’ « accessoires » qu’il multiplie, à commencer par les draperies, les chevelures et les barbes, la crinière et la queue des chevaux des monuments équestres (les crinières de la Fontaine de Trevi, à Rome, ou le destrier de Felipe IV, à Madrid), les ailes des anges, les plumages (comme les cimiers de certains casques), la rocaille, les feuillages aussi – d’où le goût prononcé du Baroque, tant en peinture qu’en sculpture, pour la légende d’Apollon et de Daphné.
Le buste de Louis XIV par Bernin, 1665.
La Couleur envisagée comme contrariant la beauté (la pureté) de la Forme. Voir ce qu’écrit Johann Gottfried Herder à ce sujet.
L’hyperréalisme en sculpture : Duane Hanson mais aussi le buste de l’architecte Carlo Dotti par Angelo Gabriello Piò, un buste en cire avec vrais cheveux, vrais vêtements et yeux de verre. Le Musée Grévin ou le Musée de Madame Tussaud aussi.
Mon trouble toujours devant Beata Ludovica Albertoni de Bernini et devant l’Extase de Santa Teresa du même. Le goût du Baroque pour l’extase et ses convulsions. L’érotisme voilé (au propre comme au figuré) du Baroque, ses ambiguïtés, notre trouble – la pertinence du suggéré.
L’admiration de Bernini pour le Maltais Melchiorre Cafà. L’influence probable de ce dernier sur les deux œuvres de Bernini ci-dessus mentionnées. Le vêtement de la sainte dans « Apoteosi di Santa Caterina » de Melchiorre Cafà est probablement le plus tumultueux de tout le Baroque. Autres « accessoires » du Baroque, mis en valeur dans cette œuvre : les nuages qui, comme les étoffes, se prêtent à tous les tumultes.
Art narratif par excellence : la peinture éthiopienne du XXe siècle ; voir ces séries très BD relatives à la légende de la Reine de Saba, à la vie du Christ ou montrant des scènes de guerre, comme cette bataille contre Ahmed Gragn (1543) remportée par les Chrétiens, avec l’aide des Portugais. Art narratif par excellence encore : la Tapisserie de Bayeux, une broderie du XIe siècle de soixante-dix mètres de long, constituée de neuf panneaux cousus bout à bout – manque le dernier panneau qui montrait probablement le couronnement de Guillaume. Cet ensemble narre des événements compris entre la fin du règne d’Edouard le Confesseur et la bataille de Hasting.
Le lavement des pieds vu par un artiste éthiopien
Amadeo de Souza-Cardoso (1887-1918). Les deux volumes du catalogue raisonné. Vol. I : Fotobiografia Vol. II : Pintura. M’inspirer de quelques-unes de ses œuvres pour des gravures sur bois ou linogravures. Idem avec certaines œuvres de Joaquín Torres-Garcia. Amadeo de Souza-Cardoso et son étonnante huile sur toile de 1911 intitulée « Galgos ». La somme des influences qui transparaissent dans l’œuvre de cet artiste mort à trente-et-un ans.
Incroyable. J’étudie depuis quelques jours l’œuvre d’artistes portugais à la Biblioteca Camões de Lisbonne et par l’étude de la vie d’Adriano de Sousa Lopes, auquel je viens de dédier un long article, je retrouve Moïse Kisling, un artiste dont je connais bien l’œuvre (ses femmes m’ont d’emblée séduit) mais dont je connais mal la vie. J’apprends donc, aujourd’hui, que cet artiste majeur de la peinture portugaise était le beau-frère de Moïse Kisling, les deux artistes ayant épousé les deux sœurs. En septembre 1940, Moïse Kisling embarque à Marseille pour le Portugal où il séjournera six mois chez son beau-frère, à Lisbonne puis à Nazaré. Début 1941, il embarque pour les États-Unis. Il reviendra en France en octobre 1946. Poussé par la curiosité, j’ai entré une clé sur Google et j’ai appris qu’un lot de cinquante-huit lettres et cartes autographes signées Moïse Kisling (écrites pour la plupart au Portugal et aux États-Unis à son épouse Renée et à son fils Guy) avaient été proposées aux enchères au printemps 2016. J’ai pu en lire certaines, en ligne.
Le Cantique des Cantiques, ce poème biblique où les symboles de l’amour et de la mort se fondent l’un en l’autre et irriguent tant de textes religieux et tant d’œuvres d’art, à commencer par ces deux œuvres de Bernini qui mettent en scène Santa Teresa et la Beata Ludovica Albertoni. A ce sujet, lire le panégyrique de Bernardino Santini, « I voli d’Amore », publié en 1673. L’extraordinaire rapport entre le vêtement de Santa Teresa et le nuage sur lequel est placée la sainte, un nuage aux allures de rocher, un nuage géologique. L’extraordinaire de ce rapport tient aussi au contraste par lequel les parties s’exaltent mutuellement, contraste de texture pourrait-on dire : le vêtement de la sainte est infiniment poli, amoureusement poli, tandis que le nuage offre une surface grenue. Rodin a beaucoup joué avec ce rapport et plus violemment encore. Pensons au « Baiser » où le couple à la peau si lisse est assis sur une partie du bloc à peine dégrossie et piquetée au burin. Pensons à « Andromède » ou à « La Danaïde » qui elles aussi émergent du bloc à peine dégrossi et y retournent par la cascade de leur chevelure. Les contrastes s’exaltent mutuellement ; même remarque avec les couleurs en peinture – voir les écrits théoriques de Kandinsky.
Autre « accessoire » du Baroque (je l’avais oublié) : les flammes, notamment avec « Sant’Agnese in Agone » d’Ercole Ferrata où le dynamisme du vêtement semble procéder du dynamisme des flammes – des vêtements en flammes, des vêtements de flammes.
« Sant’Agnese in Agone » d’Ercole Ferrata
Le Baroque et ses compositions où jouent le bas-relief, le demi-relief (ou mezzo rilievo) et le haut-relief, sans oublier la ronde-bosse dans certaines de leurs parties. Ce genre qui n’a pas retenu Bernini doit le meilleur de sa production à Alessandro Algardi, avec notamment la rencontre entre Léon Ier le Grand et Attila où les deux protagonistes tendent vers la ronde bosse. La profonde influence exercée par Alessandro Algardi sur les artistes qui pratiqueront ce genre, sous son influence directe ou celle de ses disciples.
Le Baroque et ses pompes célébrées par Federico Fellini dans « Roma » avec ce défilé de mode ecclésiastique. Tout l’esprit baroque s’y révèle, le Baroque contenant sa propre parodie. La pompe du Baroque est aussi funèbre – et sans jeu de mots –, d’où une bonne part de l’attrait qu’il exerce.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis