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Notes éparses sur l’art – 3/9

 

De l’importance des fenêtres (en tout genre) dans la peinture d’Edward Hopper. Leur typologie, avec notamment ces bow-windows et ces fenêtres à guillotine, l’un et l’autre emblématiques du monde anglo-saxon. Son œuvre pourrait être d’abord envisagée comme une réflexion sur les rapports de l’intérieur à l’extérieur, de l’extérieur à l’intérieur, d’où l’importance des ouvertures.

Autre rapport d’ambiance : Edward Hopper et George Segal.

« The diner » (1964-1966) de George Segal

 

L’œuvre d’Edward Hopper, comme une confirmation en images de l’étude de Richard Sennett, « The Fall of Public Man », et des observations que fit ce sociologue dans les années 1970. Il commence par évoquer « this ideology of intimacy (which) defines the humanitarian spirit of a society without gods: warmth is our god » ; et il compare la vie sociale à un théâtre, ce qui ne peut que conduire à la déception – suite à l’illusion. Cette déception, c’est ce qu’évoquent dans un silence écrasant de nombreuses compositions d’Edward Hopper. Ivo Kranzfelder a intitulé l’un des chapitres de son étude sur ce peintre américain : « The Tiranny of Intimacy ». Le monde comme theatrum mundi. La scène ne se limite pas à la scène, elle englobe la salle entière et jusque dans ses moindres recoins.

 

Érotisme froid, le plus érotique des érotismes. Bronzino et Helmut Newton sont des maîtres du genre.

 

Parmi les scènes d’intérieur les plus captivantes, « Das Balkonzimmer » (1845) d’Adolph Menzel. Pourquoi ? Parce que cette composition parle d’une présence à venir. Devant elle, on attend.

 

Andrea Mantegna, une peinture sculptée.

 

Devant certaines peintures d’Albrecht Dürer, on a tendance à se détacher vite de l’ensemble pour se perdre dans le parcours d’un cheveux ou d’un poil, avant de se reprendre, d’en revenir à l’ensemble. Cette remarque m’est venue devant le portrait de Hieronymus Holzschuber (1526).

 

La peinture dessinée de Sandro Botticelli, avec cette volonté de ne pas effacer le dessin sous la couleur, de le faire ressurgir s’il le faut, et autant que possible, de préserver et d’imposer la ligne sans jamais rien ôter aux subtilités du modelé, aux arrangements colorés. Sandro Botticelli, un maître de l’érotisme lui aussi. Le rôle de la chevelure (parfois extraordinairement arrangée) dans ses mises en scène et un raffinement qui suggère toutes les liturgies.

 

L’aspect tapisserie du portrait de Simonetta Vespucci (tempera sur bois) de Piero di Cosimo (autre chevelure d’un raffinement qui laisse bouche bée). Je me suis rendu au Musée Condé (château de Chantilly) rien que pour cette peinture que j’avais admirée dans mon dictionnaire Larousse d’écolier, avec une médiocre reproduction. La manière dont le nuage sombre est mis à contribution pour mieux faire ressortir ce profil.

« Simonetta Vespucci » de Piero di Cosimo (vers 1480-90)

 

Un formidable artiste conceptuel, probablement le plus formidable des artistes conceptuels : Giuseppe Arcimboldo.

 

Une fois encore, travailler à un traité sur le profil en peinture, le profil étant plus parlant que la face car plus dessiné. Le profil en numismatique et en médaille constitue un sujet à part. Le profil dans la peinture de Pisanello, par ailleurs graveur en médailles. Dans cette étude, faire impérativement figurer le profil de Laura Battiferri (peint vers 1555-1560) d’Agnolo Bronzino, l’un des plus étranges profils de la Renaissance italienne. La coiffure ainsi contenue accentue la force d’un nez long et busqué. Laura Battiferri, une femme inatteignable, poétesse, fervente catholique, elle défendit la Contre-Réforme et jouissait d’une grande popularité à la cour d’Espagne. Autres profils, une curiosité, le triple portrait du cardinal de Richelieu par Philippe de Champaigne, une huile sur toile de 1642, visible à Londres (The National Gallery). Au milieu, le modèle vu de face et flanqué de ses deux profils.

 

Vincent van Gogh dans une lettre à son frère Théo (nov. 1885), après avoir lu le livre d’Edmond de Goncourt sur le XVIIIe siècle : « J’ai beaucoup aimé ce qu’il dit de Chardin. Je suis de plus en plus convaincu que les vrais peintres ne finissaient pas leurs tableaux, dans le sens qu’on a trop souvent donné au fini, c’est-à-dire si poussé qu’on puisse fourrer le nez dessus. Vus de tout près, les meilleurs tableaux et justement les plus complets du point de vue de la technique, sont faits de toutes les couleurs posées tout près l’une de l’autre ; ils ne font tout leur effet qu’à une certaine distance. Cela, Rembrandt l’a soutenu avec persistance, malgré tout ce qu’il a eu à souffrir (les braves bourgeois ne trouvaient-ils pas Van der Helst bien meilleur, pour la raison que l’on pouvait le voir de tout près ?). »

 

Les graphismes que déterminent en architecture les différents opus, tant dans la dimension verticale qu’horizontale, en structure ou en revêtement. Structure, avec par exemple l’Opus Incertum à Alba Lucens, en Italie centrale. Revêtement, avec par exemple l’Opus Reticulatum, sur le mur extérieur de la Villa Hadriana à Tivoli.

 

Manet maître de l’érotisme avec « Le déjeuner sur l’herbe » (exposé au Salon des Refusés, en 1863, sous le titre « Le Bain »). Les hommes habillés rendent la femme nue encore plus nue. Manet maître de l’érotisme avec « Olympia » (1863). J’ai relevé cette remarque parfaite dans « 1863 : naissance de la peinture moderne » de Gaëtan Picon : « Le corps imparfait de l’Olympia est plus efficace que celui d’une Vénus ou même d’une Odalisque d’Ingres, son imperfection attestant qu’il a été vu et non pas imaginé », une remarque parfaite qui appelle une précision : « Corps imparfait » et « imperfection » doivent être compris comme tension vers le réalisme, en opposition avec l’idéalisme d’Ingres et de son maître Raphaël. Car Olympia est non seulement et d’abord magnifiquement peinte, elle est belle femme et on est tenté de s’allonger à côté d’elle…

 

Les fééries graphiques sont aussi à rechercher du côté de la glyptique, avec ces sceaux gravés en intaille (d’où l’impression en relief dans l’argile). Les cachets servant de matrices furent d’abord taillés dans le bois ou façonnés en argile cuit. Vers le IVe millénaire apparaît en Mésopotamie le sceau cylindrique en pierre percé dans son axe. L’immense variété des thèmes et, à l’occasion, un niveau de raffinement à couper le souffle – l’expression n’est pas forcée. Par ailleurs, ces sceaux en disent beaucoup sur les sociétés dont ils sont issus. Leur typologie et leur évolution leur ont permis de devenir des « fossiles directeurs » de première importance, notamment pour définir la chronologie de sites auxquels ne se rapportent aucun témoignages écrits ayant une valeur historique.

Une pierre fine de style gréco-perse avec motif perse

 

En art le métier n’est pas tout ; il n’est pas méprisable pour autant. Je ne place pas Rosa Bonheur et Jean-Léon Jérôme au-dessus de Manet ou de Degas mais je ne les ai jamais méprisés comme les méprisaient mes collègues à l’École des Beaux-Arts. Je les respectais, au risque de me faire traiter de has been, ce dont je me moquais et me moque encore.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

 

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