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Les Juifs à l’époque des découvertes portugaises

 

Cet article est la traduction-adaptation du portugais au français du sous-chapitre intégré au Chapitre I, « As comunas judaicas », sous-chapitre intitulé « O papel dos judeus no movimento das descobertas », extrait de la petite étude de Maria José Ferro Tavares intitulée « Os Judeus na época dos descobrimentos » (Edição ELO, Colecção As Grandes Navegações), un livre soigné imprimé sur papier couché avec jaquette, le tout agrémenté d’une belle iconographie en couleur qui montre inscriptions lapidaires (comme cette inscription de la synagogue de Gouveia), parchemins (comme cette lettre à Rabbi Abraão Zacuto), vues de judarias (comme celle de Castelo de Vide), extérieurs de synagogues (comme celle de Lisboa, dans l’Alfama), intérieurs de synagogues (comme celle de Tomar).

Ce texte n’engage que son auteur. Je ne puis y ajouter des commentaires car je n’ai qu’une connaissance limitée de cette question. Maria José Ferro Tavares, historienne née à Lisbonne en 1945, est l’auteure de nombreux ouvrages dont un bon nombre est dédié à l’étude du judaïsme portugais. Quelques titres : « Os Judeus em Portugal no século XIV », « Os Judeus em Portugal no século XV », « Judaísmo e Inquisição », « Los Judíos en Portugal », « A herança Judaica », « As judiarias de Portugal ».

J’ai tout de même choisi de présenter ces pages pour une raison précise : elles contiennent une mise en garde. Lorsqu’il est question des Juifs, les esprits s’échauffent, l’imagination cavalcade et fait fi de toute rigueur. Les Juifs sont supposément partout, pour le meilleur et, plus souvent, pour le pire… Et on en arrive à la théorie de la conspiration, à toute une littérature puante.

Maria José Ferro Tavares nous invite à nous en tenir à la documentation existante, dans une mise en garde sur laquelle elle conclut ce sous-chapitre. A ce propos, il existe une très abondante littérature au sujet des origines (mystérieuses il est vrai) de Christophe Colomb. Certains s’empressent d’en faire un juif, d’autres je-ne-sais-qui. Selon l’historien portugais Manuel da Silva Rosa (né en 1961), auteur d’une très longue enquête, Christophe Colomb serait le fils du roi de Pologne Władysław III qui s’était enfui à Madère après la bataille de Varna, en 1444. Sa mère serait une noble portugaise rencontrée sur cette île.

 

 

La traduction-adaptation :

L’interaction entre la pratique de la médecine et l’étude de l’astrologie chez les Juifs a favorisé des thèses plus ou moins fantaisistes quant à une relation directe, voire sine qua non, entre Juifs (indivíduos da minoria) et découvertes portugaises.

Sur les registres de cette épopée, nous pouvons prendre note du travail accompli par quelques Juifs, travail dédié à l’étude et à l’information. Nous avons fait mention des remarques de maître Guedelha Negro que D. Duarte en personne mentionne dans son « Livro dos Conselhos », probablement parce qu’il les jugeait importantes.

Des doutes subsistent sur maître Jácome de Maiorca, identifié comme Jafuda Crescas, fils du cartographe mallorcain Abraão Crescas. Maître Jácome de Maiorca est cité par les chroniqueurs du XVIe siècle mais sans qu’ils fassent à son propos la moindre mention au judaïsme ou une conversion. João de Barros, dans « Década Primeira », écrit que l’infant D. Henrique « appela de l’île de Majorque un certain maître Jácome, homme très versé dans l’art de la navigation, qui élaborait des cartes et des instruments et qu’il eut beaucoup de peine à faire venir dans son royaume afin d’enseigner sa science aux officiers portugais spécialisés dans cette discipline ».

C’est ce qui serait arrivé à la fin du premier quart du XVe siècle, ce qui ferait de maître Jácome un homme très âgé s’il s’agissait de Jafuda Crescas. C’est seulement à la fin de ce siècle qu’on retrouve des indications sur la participation de Juifs à cette entreprise, avec deux informateurs, José de Lamego et rabbi Abraão de Beja ; et deux autres, avec les mathématiciens et astronomes maître José Vizinho et Abraão Zacuto.

José, cordonnier à Lamego, voyagea en Asie avant de passer au service de D. João II, probablement pour y commercer comme nombre de ses coreligionnaires. Ayant eu connaissance de l’intérêt du monarque pour ces régions, « il lui rapporta comment était la ville de Babylone, à présent appelée Bagad, située sur l’Euphrate, où il avait entendu parler d’une île appelée Ormuz, à l’entrée de la mer Persique, où se trouvait une ville plus célèbre que toutes les autres villes des régions avoisinantes et vers laquelle convergeaient toutes les épices et richesses de l’Inde, lesquelles étaient transportées par caravanes de chameaux vers Alep et Damas ».

Nous ignorons comment le cordonnier José entra en contact avec le roi. Nous savons seulement que ce dernier l’envoya sur les traces de Pero da Covilhã, avec rabbi Abraão de Beja dont la mission consistait à se rendre à Ormuz et à rapporter des informations sur la route des épices qui d’Aden allait vers Alep, en Syrie.

Ce devait être la connaissance de la langue arabe qu’avaient ces deux voyageurs (en plus de leurs facilités à passer inaperçus, comme d’autres commerçants juifs dans les territoires contrôlés par les Turcs) qui poussa D. João II à les utiliser pour « espionner » les routes et grandes villes commerçantes de la mer Rouge et du golfe Persique. Curieusement, les registres de ces régions n’ont pas retenu leurs noms ou, tout au moins, le nom d’une famille de Lamego ou de Beja dont nous pourrions les rapprocher.

Maître José, « le Juif », était avec maître Rodrigo et D. Diogo Ortiz, évêque de Ceuta, cosmographe du D. João II. Tous trois, selon João de Barros, furent consultés au sujet de cette information selon laquelle Christophe Colomb aurait atteint le Japon en navigant vers l’Occident, une information qu’ils jugèrent fausse.

Ce maître José avait été envoyé par le monarque en Équateur pour y mesurer la hauteur du soleil. Le chroniqueur affirme que maître José et maître Rodrigo, en compagnie de Martim de Boémia, ont été les auteurs de la « manière de naviguer à partir de la hauteur du soleil, et que leurs calculs sont à présent utilisés par les navigateurs ».

Ce maître José, tantôt désigné par le nom de sa localité d’origine, Covilhã, tantôt par son nom de famille, Vizinho, était physicien du roi. On peut probablement l’identifier à ce maître José qui durant la peste de Lisbonne trouva quelques remèdes, ce qui le rendit suspect aux yeux de certains médecins chrétiens, et ce maître José qui accompagna le souverain dans ses derniers moments.

Nous savons que maître José était juif, nous ne savons pas si maître Rodrigo l’était. Son nom était exclusivement porté par les Chrétiens ; nous pouvons tout juste supposer qu’il était converso. Mais aucun document ne vient confirmer qu’il ait été l’un ou l’autre.

En 1492, arriva au Portugal Abraão Zacuto, mathématicien, physicien et astronome. A Salamanque, où il enseigna à l’université, il rédigea une version en hébreu de « Almanaque Perpétuo » qui sera imprimé à Leiria, en latin, une traduction menée par maître José Vizinho (ou, de Covilhã). En 1493, rabbi Abraão reçut du souverain une rente de dix écus d’or, en reconnaissance de ses travaux d’astronome. Sa signature figure sur le document (reproduit en page 40 du livre en question).

Abraão Zacuto, selon Gaspar Correia, dans « Lendas da Índia », avait l’habitude de parler d’astronomie avec D. Manuel, duc de Beja. Ce dernier le chargea de superviser la route des navires qui conduiront Vasco de Gama en Inde, ainsi que le règlement des tables de déclinaison solaire et le perfectionnement de l’astrolabe. Toujours selon Gaspar Correia, Abraão Zacuto enseignait aux navigateurs portugais à travailler sur « de grandes cartes avec des traits de couleurs différentes qui désignaient les vents autour de l’étoile du Nord, ce qui peut être appelé compas (agulha de marear) ».

Rabbi Abraão abandonna le Portugal suite à l’édit d’expulsion, en 1497. Selon des auteurs juifs, il ne fut pas baptisé. Selon Gaspar Correia, il reçut le baptême et quitta le Portugal en 1502, pour la Turquie où il revint au judaïsme.

Nous ne savons rien de plus sur le rôle des Juifs dans les découvertes portugaises, hormis ce que put supposer leur rôle de commerçants, comme l’histoire de ce Juif de Lagos qui demeura en otage sur l’île de Tider et auquel Gomes Eanes de Zurara fait allusion dans « Crónica da Guiné ». Tout ce qui outrepasse ces maigres informations tombe dans le non-prouvé. L’historien n’a pas à aller au-delà de ce que la mémoire des hommes a consigné.

 

Olivier Ypsilantis

 

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