Milieu XIXe siècle, la conscience sioniste se structure avec l’aide des rabbins et de philosophes juifs. La terre d’origine est alors sous domination ottomane, domination dont les Grecs se sont libérés en 1830. Considérant qu’il y a des résistances théologiques à la création d’une armée juive de libération parmi les membres particulièrement pieux de certaines communautés juives, ces intellectuels ne vont pas se risquer sur le terrain de la Torah ; ils vont s’en remettre à l’histoire juive.
Sous l’impulsion de Moses Hess, de Léo Pinsker (auquel j’ai consacré un article sur ce blog) et, surtout, de Nathan Birnbaum, un mouvement laïque de libération du peuple juif se structure en Europe centrale. A cette même époque, des populations musulmanes non-arabes sont chassées de diverses régions et s’installent en Palestine. Parmi elles, des Tcherkesses et des Circassiens, des minorités qui sauront collaborer avec les Juifs face aux masses arabes. Fuyant les pogroms de 1881-1882 dans l’Empire tsariste arrivent les premiers immigrants juifs. Ils s’installent avec un projet de Constitution incluant une clause les autorisant explicitement à posséder des armes pour se défendre.
Plutôt que de rejoindre les quelques milliers de Juifs de cette province ottomane (regroupés à Jérusalem, Jaffa, Haïfa, Safed et Tibériade), la grande majorité de ces immigrants préfèrent se tenir à l’écart des villes où se concentre la présence ottomane et fonder leurs propres colonies agricoles.
1896, Theodor Herzl publie « L’État des Juifs – Recherche d’une solution moderne de la question juive », socle du sionisme politique, avec demande de reconnaissance officielle et internationale du Yishouv. 1897, premier congrès sioniste à Bâle. Ces deux événements et de nouveaux pogroms en Russie, au début du XXe siècle, incitent toujours plus de Juifs à partir pour la Palestine. Dans un même temps, l’Organisation sioniste mondiale rachète de plus en plus de terres afin d’y installer des Juifs de la diaspora.
Des membres du Hashomer, à Kfar, en Galilée.
1909, fondation de Tel Aviv et création des premiers kibboutzim. Les Juifs des implantations agricoles créent l’Hashomer (« le Gardien ») afin de se protéger des nombreux pillards. Ce sont des fermiers montés et armés qui se déplacent sans cesse d’une installation à une autre, une organisation clandestine et particulièrement élitiste d’à peine cent membres, ouverte au recrutement féminin, selon le souhait de son chef, Israël Shohet, guidé par l’importance de la femme combattante dans l’histoire juive. Cette interprétation fera jurisprudence. L’Hashomer est d’abord actif au nord de la Palestine puis il étend graduellement sa zone.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale met fin au projet de son chef de faire de l’Hashomer une organisation nationale agissant au nom de toute la communauté, y compris les Juifs des villes. Les responsables des communautés juives étant d’origine russe, ils deviennent suspects aux yeux des Ottomans, la Russie étant en guerre contre eux, et doivent pour la plupart s’exiler. L’Hashomer se trouve privé de ses chefs. Israël Shohet, bientôt rejoint par d’autres responsables (dont Vladimir Jabotinsky, Eliyahou Golomb et Joseph Trumpeldor), s’efforce de convaincre les Alliés de soutenir les quelque 55 000 Juifs qui vivent en Palestine. Ayant pris la mesure de l’affaiblissement de l’Empire ottoman, ces responsables sionistes décident de jouer la carte de l’indépendance du Yishouv en commençant par donner des gages aux Alliés.
En 1915, Vladimir Jabotinsky, Eliyahou Golomb et Joseph Trumpeldor parviennent à convaincre les Britanniques de mettre sur pied une unité constituée de Juifs réfugiés en Égypte, ce qui donnera le corps des « muletiers de Sion ». Ci-joint, un lien trouvé sur l’excellent blog Vu de Jérusalem, intitulé « Gallipoli 1915 : la Légion juive, première armée juive depuis l’Antiquité », et signé Pierre Itshak Lurçat :
Fin 1917, le gouvernement britannique valide le projet sioniste avec la déclaration Balfour. Ce geste est dicté par la préparation d’une vaste offensive arabe conduite par Lawrence d’Arabie contre les Ottomans, et pour laquelle la collaboration de la population juive de Palestine est ardemment souhaitée. La déclaration Balfour laisse néanmoins une ambiguïté de taille quant à l’indépendance du Yishouv.
Les Britanniques mettent sur pied une Légion juive formée de trois bataillons (38th, 39th, 40th Royal Fusiliers), en intégrant des vétérans du corps des « muletiers de Sion » mais aussi en recrutant des Juifs établis en Grande-Bretagne. Début 1918, la Légion juive conduite par le général Allenby est engagée en Palestine. Seuls le 38th et le 39th Royal Fusiliers sont engagés contre l’Ottoman et participent à la libération du Yishouv. Dès l’armistice, la Légion juive est démobilisée en Palestine où un certain nombre de ses combattants d’origine britannique choisissent de s’installer.
11 décembre 1917, le général Edmund Allenby victorieux à Jérusalem. Il est descendu de sa monture et y pénètre à pied par respect pour la Ville Sainte.
Période transitoire. Les Britanniques mettent en place une administration militaire chargée d’occuper la Palestine en attendant que son statut soit défini par les traités internationaux. La guerre civile russe pousse nombre de Juifs à fuir pour la Palestine, augmentant ainsi la population du Yishouv, ce qui inquiète de plus en plus les Arabes. La population de la Palestine compte alors 600 000 Arabes, 80 000 Juifs et 60 000 Druzes.
Les membres de l’Hashomer rentrés d’exil comprennent qu’il leur faut complétement repenser la défense du Yishouv. Le discours nationaliste des Jeunes-Turcs n’est pas sans effet sur la population arabe. A l’automne 1919 ont lieu les premiers affrontements entre communautés juive et arabe, avec escarmouches tout au long des mois suivants. Le 1er mars 1920, Joseph Trumpeldor est tué. L’Hashomer est dissout sans tarder et la Haganah (« la Défense ») prend sa relève en juin 1920. Elle est confiée à Joseph Hecht, jeune vétéran de la Légion juive. La Haganah est une organisation encore clandestine mais, contrairement à l’Hashomer, elle vise un recrutement aussi large que possible, dans la logique des milices clandestines populaires alors nombreuses dans le monde. Dans son comité directeur de cinq personnes, Lévi Eshkol (futur Premier ministre d’Israël) et Eliyahou Golomb, directeur de son antenne stratégique. Quelques semaines plus tard, la création de la centrale syndicale de l’Histadrout donne à la communauté juive l’ébauche d’un gouvernement clandestin. David Ben Gourion va s’imposer comme l’un des pères fondateurs d’Israël en dirigeant le Yishouv dans la clandestinité pendant plus d’un quart de siècle via l’Histadrout, une organisation qui servira de paravent aux activités en tout genre de la Haganah qui à partir du noyau réduit des vétérans de l’Hashomer s’étoffe grâce à l’arrivée de volontaires.
1921, la Haganah fait ses premières armes en s’opposant à des émeutes arabes parties de Jaffa et qui menacent Tel Aviv. Des émissaires juifs se rendent en Europe pour y acheter de l’armement léger qui est acheminé en Palestine où il est caché. Le 24 avril 1922, la S.D.N. confie aux Britanniques un mandat qui les autorise à gérer la Palestine au nom de la communauté internationale. Les Britanniques en profitent pour honorer les engagements pris en 1916 par Lawrence d’Arabie et scindent la Palestine (British mandate), accordant la Transjordanie à la dynastie hachémite, avec le Jourdain comme ligne de partage.
Le premier haut-commissaire britannique, Herbert Samuel, arrive peu après en Palestine où il lance un vaste programme de développement des infrastructures et favorise l’immigration juive, ce qui inquiète la population arabe. En cette période relativement calme et prospère, le Yishouv renforce ses moyens d’autodéfense. Joseph Hecht est remplacé par Eliyahou Golomb à la tête de la Haganah qui densifie son implantation dans le Yishouv mais qui manque d’armes et de cadres permanents correctement formés. Par ailleurs, elle a de plus en plus de difficulté à concilier l’accroissement rapide de ses effectifs et l’impératif de clandestinité.
Hébron, massacre de Juifs par des Arabes, le 24 août 1929.
Herbert Samuel est rappelé à Londres. Vladimir Jabotinsky crée un mouvement sioniste « nationaliste » dissident, le Betar qui draine de jeunes Juifs venus d’Europe. Août 1929, soulèvement d’une partie de la population arabe inquiète de la continuelle augmentation démographique du Yishouv. Hadj Amin al-Husseini en prend la tête et attise les violences. La garnison britannique est débordée. La Haganah doit assurer seule la défense du Yishouv, ce qu’elle fait mais sans grande efficacité. La population juive fuit Hébron. Des renforts britanniques ramènent le calme. Bilan de ces violences : 113 Juifs et 116 Arabes tués. La Haganah tire des leçons de ce demi-échec et se choisit un nouveau responsable, Saül Avigour. Les Britanniques qui sont conscients de l’intérêt stratégique de la Palestine (proximité du canal de Suez, axe de passage Irak/Égypte) renforcent leurs garnisons et tolèrent de moins en moins la présence de milices armées, tant juives qu’arabes. En conséquence, la Haganah organise des stages de formation pour ses membres, en France, en Belgique, dans les Pays Baltes et dans l’Italie fasciste, Mussolini faisant flèche de tout bois pour affaiblir les Britanniques en Méditerranée.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis