En Header, un cavalier perse, reconstitution.
La conquête arabe de la Perse et son islamisation conséquente se sont faites rapidement. Toutefois, les Perses adoptèrent le chiisme (une doctrine dissidente venue du monde arabe) essentiellement pour se démarquer des conquérants arabo-sunnites. A la veille de l’invasion arabe (début VIIe siècle), la Perse sassanide est en décadence bien qu’elle fasse encore illusion. Les Sassanides (une dynastie fondée en 226) ne sont pas les Achéménides, ils ne sont pas pour autant dénués de prestige.
La Perse et Byzance se sont mutuellement épuisés, terriblement épuisés. Ces deux empires ont malgré eux ménagé la brèche dans laquelle les Arabes nouvellement islamisés vont s’engouffrer. Ils arrivent aux portes de la Perse quelques années seulement après la fondation de l’islam et la mort de Mahomet. Les Byzantins sont durement frappés et leur empire se voit terriblement réduit, même si l’envahisseur échoue devant Constantinople. La Perse quant à elle se trouve soumise à l’issue de deux batailles, Qadisiya (637) et Nehavend (643). La dynastie sassanide a vécu. Mais l’épuisement des empires perse et byzantin ne suffit pas à expliquer le succès arabe. La Perse était devenue une terre de dissensions et de fanatisme religieux, avec les Mazdéens qui persécutent Chrétiens, Manichéens et Bouddhistes, avec cette secte néo-manichéenne toujours en révolte, avec cette noblesse rebelle. Ces dissensions facilitent la conquête. Toutefois, les Arabes ne sont pas accueillis en libérateurs.
L’Empire sassanide (IIIe – VIIe siècle ap. J.-C.)
Presque tout l’Empire sassanide a été soumis. Reste des provinces des limites. Elles vont tenir un rôle de premier plan dans l’histoire de cet empire. Les provinces au-delà de l’Oxus (Transoxiane ou Sogdiane) résistent. Les provinces caspiennes (situées entre la mer Caspienne et les monts Elbourz) conservent une certaine autonomie et serviront de refuge aux Chiites. La renaissance perse et la lutte contre l’envahisseur arabe partiront de ces provinces.
Les Perses supportent d’autant plus mal la domination arabe qu’ils acceptent à contrecœur l’autorité de leur propre monarque. Les gouverneurs de provinces sont médiocres et corrompus, ils écrasent d’impôts les autochtones qu’ils méprisent, y compris ceux qui se convertissent à leur religion, ce que ces derniers ne peuvent faire qu’en devenant « client » d’une tribu arabe. L’Arabe nouvellement islamisé avait-il déjà en tête d’effacer tout ce qui avait précédé l’islam ?
Les querelles entre Arabes freinent l’expansion de l’islam vers l’Asie centrale. Les Perses espèrent qu’elles vont leur permettre de secouer le joug de l’envahisseur. Ces rivalités perceptibles à différents niveaux sont dominées par la question de la succession de Mahomet. Les plus nombreux des Musulmans sont partisans des Omeyyades, les autres pensent que son héritier ne peut être qu’un parent du Prophète, en l’occurrence Ali, l’époux de la fille du Prophète, Fatima, et leurs descendants. L’un d’eux, Hussein, se révolte en 680 et se dirige vers Damas, capitale du califat des Omeyyades. Il est tué à Karbala, dans l’actuel Irak, devenu un haut-lieu de pèlerinage pour les Chiites. Ses partisans entrent en dissidence, une dissidence essentiellement clandestine, et ils sont nombreux à gagner les zones désertiques du pays où ils sont accueillis en tant que rebelles à la domination arabo-musulmane. Autour d’eux se regroupent et s’organisent les mécontents. De plus, la doctrine chiite ayant une lecture moins littérale – voire ésotérique – du Coran, elle séduit un certain nombre d’individus en butte avec cette lecture rigoriste et ses applications.
La poussée arabe vers l’Asie centrale reprend, au tout début du VIIIe siècle, avec le nouveau gouverneur du Khorasan qui s’empare de Samarcande puis soumet la Sogdiane avant de mourir, assassiné en 715. Les régions conquises n’ont pu être réorganisées et les troupes qui les occupent sont peu nombreuses, ce qui a pour effet de favoriser les révoltes, celles des nobles, des Juifs, des Chrétiens et, surtout, des Mazdéens.
Un événement va favoriser le triomphe de l’arabisme. Aux Omeyyades s’opposent les Abbassides (descendants d’Abbas, un oncle du Prophète) dont les partisans marchent sur la Syrie et Damas, défont l’armée califale et provoquent la fuite des Omeyyades jusqu’en Espagne. Les Perses et les Chiites qui avaient soutenu cette expédition destinée à en finir avec le califat omeyyade ne vont pas tarder à être immensément déçus : contrairement à leurs espérances, c’est arabisme qui triomphe avec l’accession des Abbassides à la tête du califat, un triomphe qui se voit confirmé lorsqu’en 751 (une date capitale dans l’histoire de l’islam) les Chinois sont vaincus à Talas. Par cette défaite, l’Asie centrale deviendra musulmane.
Celui qui avait marché sur la Syrie et qui avait défait les Omeyyades est assassiné par ceux qu’il avait tant aidés à conquérir le pouvoir suprême, les Abbassides inquiets de son pouvoir devenu illimité après qu’il ait assassiné le vainqueur des Chinois à Talas. L’assassinat du vainqueur des Omeyyades va être prétexte à maintes révoltes, en particulier de la part des Mazdéens. Mais toutes sont écrasées. Contraints et forcés, les Perses en viennent à accepter la domination des Arabo-musulmans, se convertissent et collaborent d’autant plus que les califes ont fini par assouplir leurs méthodes de gouvernement, une attitude en partie dictée par leur admiration pour la civilisation persane. Comme Alexandre le Grand avait relevé les Achéménides vaincus, les Arabes relèvent les Sassanides vaincus, en réactivant par exemple le cérémonial de cour. Enfin, ils comprennent que la distinction entre Arabes et non-Arabes (tout au moins ceux qui se sont convertis à l’islam) doit être gommée s’ils veulent consolider leurs immenses conquêtes où vivent tant de peuples, ce à quoi invitent le Coran et la Charia. La capitale du califat est transférée de Damas à Bagdad, ce qui flatte les Perses, l’Irak étant alors un pays très iranisé. Les Arabes font toujours plus appel aux élites iraniennes, élites intellectuelles mais aussi politiques. Ainsi, outre les gouverneurs de provinces, nomment-ils de plus en plus volontiers des membres de la noblesse iranienne au poste de vizir. Par ailleurs, ils recrutent des troupes chez les Khorassaniens (originaires du Khorassan, une province au nord-est de l’actuel Iran), une tendance va se confirmer avec l’implication de troupes iraniennes dans la guerre civile qui au IXe siècle oppose deux frères. Le vainqueur, reconnaissant, nomme un Iranien comme gouverneur héréditaire du Khorassan et choisit dans une famille de Bactriane quatre frères auxquels sont attribués quatre gouvernements, dont celui de Samarcande.
Le VIIIe siècle voit la progression de l’islam en Iran parallèlement à l’arabisation du pays. La langue arabe est toujours plus employée par les élites iraniennes au point qu’elles ne tarderont pas à donner aux lettres arabes quelques-uns de leurs maîtres. Mais l’utilisation de la langue arabe par les Iraniens se double d’une entreprise de résistance, résistance culturelle, subtile et masquée, à l’islam sunnite après les échecs répétés de la résistance armée. Le mysticisme iranien (qui se développe en particulier dans le Khorassan et la Bactriane) doit d’abord être envisagé comme une entreprise de résistance iranienne.
Autre arme de résistance et d’affirmation : le chiisme, comme nous l’avons vu. D’abord minoritaire, ce courant d’origine arabe s’iranise peu à peu. Il serait intéressant (mais probablement hasardeux) de délinéer ce qui dans sa théologie en formation est redevable aux traditions iraniennes. Quoiqu’il en soit, bon gré mal gré, l’apport de l’Iran à la civilisation musulmane s’avère considérable et au moins comparable à celui de la Grèce.
Ci-joint, un lien qui rend partiellement compte de l’influence de l’Iran dans le corpus musulman, « Hadith as Influenced by Iranian Ideas and Practices » :
http://www.iranicaonline.org/articles/hadith-v
Le déclin du califat abbasside de Bagdad annonce une ère de sectarisme qui commence par s’en prendre aux Chiites avec la destruction en 851 de ce lieu sacré entre tous : Karbala. Les insurrections vont alors se succéder après une longue période de relative tranquillité. Les tendances au séparatisme vont s’affirmer. L’une des plus violentes de ces insurrections, celle des Zanj (869-883), soutenue par les Chiites. Quant aux entreprises séparatistes, l’une d’elles dépasse en ampleur toutes les autres, celle des Saffarides du Sistan. Toutes ces tensions sont autant de réactions face à l’arabisation du pays. Elles annoncent la fracturation du califat arabe des Abbassides à l’Est.
Olivier Ypsilantis