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Deux émotions – 1/2

 

Les ruches de Slovénie. Les chaumières de Dalécarlie.

 

Les ruches de Slovénie. Au cours de l’été 2007, de passage à Paris, je découvre tout à fait par hasard, dans le pavillon Davioud, jardin du Luxembourg, les ruches peintes de Slovénie, un émerveillement. C’est une petite exposition, accès libre, qui montre de simples planchettes, soit la partie frontale de ruches ornées de peintures, un art populaire, une spécificité de l’apiculture slovène qui a longtemps beaucoup compté dans le secteur primaire du pays. Les Slovènes sont des pionniers en apiculture, et il me faudrait visiter le Musée de l’Apiculture (ČEBELARSKI MUZEJ) de Radovljica.

 

 

Dès le XVIIe siècle, la partie frontale de la ruche devient un support privilégié pour les imagiers ruraux et les autodidactes. Le bon état de conversation de ces peintures peut étonner quand on sait qu’elles ont été exposées à l’air libre et en permanence durant des générations. L’explication est simple : toutes les couleurs ont été préparées avec des pigments naturels et de l’huile de lin pour liant. L’apiculteur avait ainsi le plaisir d’embellir ses ruches tout en pouvant les distinguer sans peine ; mais aussi, et avant tout, ces peintures (dans les premiers temps tout au moins) avaient une fonction protectrice. Les scènes inspirées de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament sont particulièrement nombreuses, avec Adam et Ève, la Vierge, Job aussi, saint patron des apiculteurs slovènes. Avec la contre-réforme, on trouve des scènes de circonstance comme Luther accompagné en Enfer par le Diable en personne. Les ruches étant en bois, les apiculteurs les protégeaient à l’occasion en peignant des représentations de Saint Florian. Vers la fin du XVIIIe siècle, les représentations profanes font leur apparition, avec épisodes de l’histoire (comme les invasions ottomanes ou la campagne de Napoléon), traditions populaires, scènes satiriques où l’on s’en prend volontiers aux chasseurs (les apiculteurs n’aiment pas les chasseurs) : une scène montre des animaux armés de fusils qui enterrent un chasseur. Le format de ces compositions est en moyenne de 24 à 30 centimètres de longueur sur 12 à 14 centimètres de hauteur.

Cet art typiquement slovène connaît son apogée entre 1820 et 1880 environ. Les ruches sont alors parallélépipédiques, plutôt plates, comme les tiroirs d’une commode, des ruches divisibles, ce qui permettait à l’apiculteur de retirer sans dommage les rayons de miel. Celui-ci a pris l’habitude de décorer les planchettes de fermeture des ruches kranjič (ou « ruches carnioliennes ») probablement parce qu’il peignait son mobilier et la façade de sa maison et qu’il cherchait d’autres supports pour exercer ses talents. Vers la fin du XIXe siècle, cet art populaire entra en décadence, le dessin et la palette s’appauvrirent. Par ailleurs, l’utilisation de peintures industrielles rendit les compositions peu résistantes ; elles eurent tôt fait de craqueler et de s’écailler.

A Janscha, des ruchers contenaient jusqu’à une centaine de ruches. Les premières ruches décorées seraient apparues dans la région de la Haute-Carniole. C’est donc là, mais aussi en Carinthie et dans la vallée de la Savinja que la plupart des planchettes frontales de ruches ont été peintes.

Il existe quelques rares planchettes sculptées en bas-relief. La plus représentée est celle qui montre de sainte Agnès, au centre, la Vierge Marie, et sainte Barbara, une œuvre d’époque tardive.

 

Une rareté, les planchettes sculptées.

 

Les chaumières de Dalécarlie. Souvenir d’un été en Dalécarlie (Dalarna), début années 1980. Le soleil de minuit, le canoë qui glisse sur des lacs aux eaux lisses comme un miroir, plus lisses qu’un miroir, et l’image n’est pas forcée. La sensation d’avoir franchi les portes de la mort et toutefois d’être encore en vie, plus en vie qu’avant… C’est au cours de ce séjour que je découvris parmi tant d’émerveillements (Carl Larsson, Ivar Arosenius, etc.) les chaumières peintes de Dalécarlie. C’est dans cette province de Suède que s’est développé entre 1780 et 1870 un art original. Les paysans qui passaient une bonne partie de l’année chez eux à effectuer divers travaux, dont des travaux d’artisanat, se mirent à peindre leur mobilier, tout en bois, armoires, lits, bancs, étagères, bref, tout y passa ; puis ce fut au tour des murs, des portes et des plafonds. Des corporations d’artistes se constituèrent dans la commune de Rättvik puis, tout près, dans celle de Leksand. Les artistes allaient de ferme en ferme où, moyennant le gîte et le couvert, ils décoraient les surfaces intérieures des maisons tout en s’adonnant à l’occasion à un artisanat d’appoint. Quelques noms de ces artistes nous sont connus et certains constituèrent même des dynasties.

 

Une maison traditionnelle de Dalécarlie.

 

La population de Dalécarlie vivait dans un relatif isolement et, de ce fait, les artistes devaient trouver des sources d’inspiration. Les églises, lieu de culte mais aussi de vie sociale, étaient un lieu privilégié pour ces artistes qui pouvaient détailler les compositions murales tout en écoutant le pasteur : les scènes de la Bible furent donc leur principale référence. Autre motif très présent, omniprésent même, et particulièrement beau dans ses multiples variations : les kurbits (calabash, pumpkin). Ci-joint, un lien montre l’extraordinaire richesse de ce motif inspiré de l’Ancien Testament, plus précisément du Livre de Jonas :

http://swedishdalapaintings.blogspot.pt/2012/02/swedish-kurbits-paintings.html

Et dans le lien suivant, vous trouverez la relation entre le kurbit et le Dalahäst (Dalecarlian horse) ainsi que des précisions sur l’origine biblique de ce motif (Livre de Jonas, au chapitre 4) :

http://www.grannas.com/mainframe.php?page=historia&lang=eng

Les kurbits sont déclinés partout, non seulement sur les surfaces des volumes intérieurs des maisons mais aussi sur les objets usuels, des horloges aux couverts en bois, des coffres aux berceaux, etc.

Ces peintures témoignent aussi d’une époque, par exemple avec cette descente de Croix dont les protagonistes portent des chapeaux haut-de-forme, comme en portaient alors ceux de la ville ou les personnalités locales : le pasteur, le maître d’école, etc. Falun servait de modèle pour représenter Jérusalem, la Ville Sainte qui, dans l’imagination de ces artistes populaires, devait être aussi belle que la capitale de leur province. D’autres sources d’inspiration étaient à l’occasion fournies par des gravures de mode ou des albums vendus par des colporteurs, sans oublier ces éditions de la Bible en images destinées aux analphabètes, alors nombreux.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis  

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