L’Iranien souffre d’une sensation d’encerclement justifiée mais que personne n’évoque alors qu’elle est centrale dans les agissements du régime iranien qui a par ailleurs poussé de côté l’exportation de sa Révolution. Ce régime est ce qu’il est, je ne le défendrai sous aucun prétexte. Il faut tout de même se donner la peine d’en étudier les structures (assez mouvantes) et les luttes d’influences, volontiers tout en nuances, au sein de l’appareil du pouvoir. Nous ne sommes pas chez les frustres Arabes, propagateurs d’une religion frustre, et il convient avec l’Iran de laisser de côté ses gros sabots. On jugera mon ton méprisant, au point où en sont les choses je m’en fous.
L’Iran n’a rien plus rien à gagner à organiser des attentats, rien. Elle risque même d’en subir (1), d’être frappé par des membres de Daesh, des Sunnites qui vouent une haine radicale au Chiisme (et ils ne sont pas les seuls) dont l’Iran est le cœur. La guerre entre Chiisme et Sunnisme pourrait faire les gros titres (headlines) dans les années à venir.
L’un de mes espoirs les plus chers, la création d’un Grand Kurdistan, surtout en zone arabe (Irak, Syrie) et turque. Vive le Rojava ! Vive les Peshmergas !
Je pourrais en revenir à ces forces centrifuges et centripètes qui menacent l’Iran, l’intégralité territoriale du pays – et oublions pour un temps le régime. Mais en dehors des spécialistes, personne ne se donne la peine d’étudier l’histoire plusieurs fois millénaire de ce pays véritablement fascinant et autrement plus riche que celle du monde arabe dans son ensemble. Nous devons infiniment plus aux Iraniens qu’à l’ensemble du monde arabe ; mais considérant l’état d’inculture générale, le radotage des mass médias et nos terrifiantes compromissions (en Europe notamment) avec le monde arabo-musulman, je suis conscient que mes propos se perdront dans le désert…
Dans les lignes qui suivent, je me permets de faire brièvement part d’expériences personnelles, certes fort limitées mais authentiques et qui me servent à l’occasion de guide dans la fosse que creusent jour après jour les mass merdia, dans les traquenards de l’Information qui « informe » pour mieux désinformer…
Le chauffeur de l’autocar, la soixantaine passée, était un Pasdaran. Il avait fait partie de la garde rapprochée de l’Imam Khomeini à ses débuts. Il se débrouillait en anglais et, de ce fait, nous avons pu discuter. Il a vite compris que j’aimais son pays ; et à aucun moment je n’ai évoqué le régime issu de la Révolution de 1979, pas question de le heurter, je voulais le mettre en confiance et l’interroger ! L’intérêt que je manifestais pour son pays, intérêt historique et culturel, se doublait d’une franche hostilité envers le monde arabe, hostilité que je lui exprimais et sans détour. Le lendemain, à l’arrêt, dans un village de briques crues et de poussière, sous un ciel de poussière, nous avons repris la conversation. J’en suis venu à Israël, en prenant un air aussi dégagé que possible tout en l’observant à la dérobée. L’air pensif il m’a dit : « Israël est notre plus grand ennemi ». Mais je sentais que sa parole était en suspend et qu’il avait quelque chose à ajouter. Je ne le quittais pas des yeux. Son regard et ses traits se durcirent : « Non ! Nous avons un ennemi bien pire qu’Israël : l’Arabie Saoudite et le wahhabisme ! » Je me revois alors lui sourire et lui mettre une main sur l’épaule.
Le guide, Reza, était un homme d’une grande finesse, amoureux de la langue française qu’il maniait avec une parfaite élégance. Je le revois à Chiraz nous lire des passages du « Divân » de Hafez, sur la tombe du poète (en français, dans la traduction de Charles-Henri de Fouchécour), puis des passages du « Jardin de roses » de Saadi, sur la tombe du poète. Reza était discret et fin. Cet Azéri d’allure moderne était un chiite pratiquant. Il était extraordinairement serviable et d’une patience qui me subjuguait. Il semblait avoir l’éternité devant lui. Un jour, j’orientai la conversation sur Israël, et mon ton laissait supposer que ce pays n’avait peut-être pas ma sympathie – il faut à l’occasion savoir être hypocrite pour mettre son interlocuteur en confiance…
Ce qu’il m’a dit mérite qu’on s’y arrête. Il n’a pas commencé à éructer comme un Arabe, à déclarer qu’il fallait en finir avec ce pays et rejeter les Juifs à la mer – ce que me servent inlassablement les Arabes du Maghreb que j’interroge à ce sujet, je le précise car il m’est arrivé de rencontrer des Berbères qui s’écartaient de cette infamie. Il m’a dit : « Les Israéliens sont des loups qui rodent autour de nous ; et que peut-on faire dans ce cas ? On leur jette des pierres pour les éloigner ». Voir les Israéliens comme des loups et les Iraniens (le régime de Téhéran) comme des agneaux prête certes à sourire mais c’est mieux que les éructations en boucle des Arabes et le radotage coranique. Ce qui doit être analysé est le degré de sincérité de Reza : la propagande du régime a-t-elle vraiment réussi à lui faire croire qu’Israël menaçait l’Iran ? Je suis menacé – je me sens menacé –, en conséquence je me défends ; c’est mieux que : les Juifs à la mer, un point c’est tout ! J’espère qu’on me comprendra. Reza a perdu son calme une fois (tout en restant calme), lorsque je l’ai interrogé sur le Bahaïsme, une belle religion fondée par un Persan en 1863 : « Le Bahaïsme, des agents d’Israël qui veulent nous détruire. A surveiller ! »
Mais j’en reviens à des considérations plus strictement géopolitiques. Ce n’est en aucun cas une quelconque affinité religieuse ou idéologique qui rapproche l’Iran et le Qatar, un rapprochement par ailleurs assez mesuré – et j’insiste –, car à lire les News on pourrait croire que ces deux pays s’entendent comme larrons en foire. Aurélien Marq explique fort bien les raisons de ce rapprochement dans l’article que je viens de citer : « Rappelons au passage que le Qatar doit sa richesse au gaz, bien plus qu’au pétrole, ce qui le rapproche de la Russie et de l’Iran plus que des autres membres de l’Opep ». C’est donc un rapprochement de circonstance, lié à des intérêts commerciaux, plus prosaïquement à une histoire de « gros sous », de « big money ».
Je me suis senti un peu moins seul en lisant cet article. Je ne sais qui est Aurélien Marq mais je salue sa perspicacité. L’auteur rappelle en passant l’hostilité multiséculaire entre les Perses et les Arabes avant d’ajouter : « Opposition d’autant plus forte que les Saoudiens savent que l’Occident a beaucoup plus en commun, sur le plan culturel, avec les traditions chiites et leurs interprétations symboliques et poétiques du Coran, qu’avec la lecture littéraliste du wahhabisme qui y voit avant tout un code juridique. Une commune fierté de l’Antiquité, alors que l’Arabie Saoudite tente méticuleusement de faire disparaître ses origines. (On estime que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Arabie Saoudite a détruit 98 % des vestiges historiques de plus de mille ans présents sur son sol, y compris les sites historiques musulmans.) Une jeunesse qui rêve de liberté, alors que la jeunesse sunnite se radicalise. Du point de vue saoudien, un rapprochement entre l’Occident et l’Iran est un risque bien réel, susceptible de favoriser l’émergence du fameux « islam des lumières » dont l’hypothèse terrifie Riyad, et doit donc impérativement être empêché ».
Je ne suis ni naïf, ni en pamoison devant le Chiisme, mais cette analyse est la mienne depuis bien des années et en dépit des provocations verbales du régime de Téhéran contre Israël, provocations qui me révulsent et me donnent l’envie de renverser la table. Ce Concours international de caricatures sur l’Holocauste organisé par l’Iran suffirait à me décourager mais patience. Non, le monde arabo-sunnite (et plus généralement sunnite) n’est pas appelé à faire main basse sur les richesses du monde, dont les nôtres, et à le couvrir d’un voile de tristesse. Les éructations du régime de Téhéran cesseront. Les relations historiques entre les Perses et les Hébreux puis entre l’Iran et Israël ne sont pas marquées d’un sceau de sang et, une fois encore, je me garde de toute naïveté ; je souhaite un Israël fort, très fort. Je ne suis pas un pacifiste, le pacifisme ayant participé aux pires désastres. Je suis un homme de paix.
L’Iran protège ses richesses préislamiques, des richesses immenses, et il les donne à voir avec fierté, je puis en témoigner. Les écoliers iraniens visitent Persépolis par classes entières et le tombeau de Cyrus II à Pasargades est une image plus reproduite que celle de l’Ayatollah Khomeini et autres ayatollahs, je puis également en témoigner. L’Arabie Saoudite quant à elle encadre strictement les fouilles archéologiques, quand elle les autorise, et prend soin de gommer tout ce qui a précédé l’avènement de l’islam, à commencer par les riches témoignages de la vie juive et chrétienne sur sa terre. Un pays qui agit de la sorte ne mérite pas même un regard. Et quand on pense aux efforts de l’archéologie iranienne et israélienne, pour ne citer qu’elles !
Le tombeau de Cyrus II à Pasargades, dans le Fars.
J’ai applaudi à l’élection de Donald Trump et j’applaudis à certaines de ses initiatives, notamment envers Israël et un Jérusalem indivisible sous l’égide d’Israël. J’ai été heureux de son projet initial (l’un des points forts de sa campagne électorale) d’un rapprochement avec la Russie, projet qui semble avoir été poussé de côté. Je comprends sa satisfaction d’avoir passé un gigantesque contrat d’armement avec les Saoudiens, ainsi donne-t-il du travail à son pays et rééquilibre-t-il sa balance commerciale. Mais il faudrait qu’il les congédie une fois le contrat signé et le chèque encaissé. Il faudrait encager ce pays qui contamine le monde avec ses pétrodollars, à commencer par l’Europe où sévissent de nombreuses communautés musulmanes, arabes en particulier. L’indépendance énergétique vis-à-vis de ce pays (sans parler du Qatar ou du Koweït) est une urgence prophylactique absolue. Pourquoi, nous Européens, ne pas donner notre préférence aux Russes, au gaz et au pétrole russes ? La Russie est le deuxième producteur de gaz au monde, le troisième de pétrole brut et de produits pétroliers. Et nous sommes voisins. Alors ? Une alliance entre l’Europe et la Russie ferait de nous une puissance exceptionnelle. Non plus seulement de l’Atlantique à l’Oural mais de l’Atlantique au Pacifique, de Brest à Vladivostok… A quand une volonté politique supérieure, soit une volonté stratégique ? Cette volonté pourrait dans un même temps et par des voies diverses nous détacher du monde arabe, de son cœur funeste, et faire baisser l’antisémitisme et l’antisionisme en Europe, faire oublier par exemple le suprêmement infâme Boycott – Diversement – Sanctions (BDS).
Il va falloir se reprendre et se déprendre de l’ensemble du monde arabe. Alliances renouvelées avec la Russie mais aussi avec l’Inde (et mise au banc du Pakistan) et la Chine. Israël définitivement rétabli dans ses droits millénaires et inaliénables, avec au moins l’intégration de la Judée-Samarie au pays (j’aimerais plus, le Sinaï par exemple), avec Jérusalem définitivement unifié. Les mots « Palestine », « Palestiniens », « Territoires occupés » et autres mots du même acabit devront être peu à peu oubliés car ils ne sont que des mots d’une propagande qui prolifère sur fond d’antijudaïsme, d’antisémitisme, d’antisionisme, et plus simplement d’ignorance qui plastronne et de crétinerie crasse.
Il y a aussi que (et je cite Aurélien Marq) : « La France gagnerait à se tenir à l’écart de la querelle entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, et plus généralement à prendre ses distances vis-à-vis de ces deux pays, l’un et l’autre contribuant massivement à la diffusion de l’idéologie islamiste qui est, aujourd’hui, la principale menace pesant sur l’Occident. Elle devrait, surtout, se rapprocher de l’Iran, sans naïveté mais sans tergiverser. Puisque même l’Allemagne semble maintenant prendre ses distances vis-à-vis des Américains et de leur alliance renouvelée avec le wahhabisme, saisissons cette opportunité pour entraîner l’Europe vers une vision plus équilibrée du Moyen-Orient, et une prise de conscience des remarquables opportunités que recèle la société civile iranienne ». Vous avez bien lu ? Non ! Alors relisez !
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(1) J’ai écrit cet article en deux parties quelques semaines avant le double attentat qui a visé des symboles à Téhéran, soit le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeini. Curieux, je vais finir par me croire extralucide… L’Iran n’est pas coutumier des attentats, même s’il connaît des escarmouches avec des groupes indépendantistes kurdes et, surtout, baloutches.
Olivier Ypsilantis