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Quelques fragments de lettres extraites de mes papiers

 

Une lettre écrite à l’encre bleue sur papier bleu pâle, avec en-tête à caractères rouges : Royal Naval Quarters Blyth, Northumberland, signée Pierre-Aristide M., lieutenant aux F.N.F.L. et datée du 7 novembre 1944. Elle est adressée à sa sœur et à son mari :

  Officiers sous-mariniers de la France Libre

 

Les photographies que vous m’avez envoyées m’ont comblé de joie. J’aurais aimé vous en envoyer à mon tour mais je n’ai pu m’y résoudre et répondre à votre souhait car je m’étais laissé pousser la moustache et la barbe. J’ai tout rasé mais avec le froid je vais les laisser repousser.

Ici, pas une famille qui ne soit éprouvée. Quant à moi, je viens de perdre des camarades de combat anglais. Nous étions partis ensemble mais eux ne sont pas revenus. C’est ainsi. Le combat que nous menons est un sport, dangereux et passionnant. Le froid est arrivé. Neige. Tempête. Et l’hiver sera encore plus rude dans le Grand Nord. Mais si nous sommes récompensés par du beau gibier, tout sera oublié…

Ici, dans le Northumberland, j’ai trouvé une réelle sympathie pour la France. Cette idée domine qu’avec une France asservie le monde n’est plus et ne sera plus le même. Nous devons gagner la paix et pour ce faire nous devons nous battre sur tous les fronts. Notre équipage est « gonflé à bloc » et il aime ses officiers. Avec eux nous ne pouvons que gagner. Mon commandant est un homme merveilleux et avec lui nous irons n’importe où et avec le sourire, même si nous n’avons que quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance de ne pas revenir.

J’espère pouvoir un jour vous montrer mon nouveau sous-marin. L’espace y est un peu exigu mais c’est un engin dernier cri. Nous dormons à quatre dans un espace de trois mètres sur quatre qui sert aussi de salle-à-manger et de salon. Je vous jure qu’après la guerre je pourrai vraiment dormir n’importe où !

J’ai d’excellents amis dans la Royal Navy, dont un médecin écossais qui porte ostensiblement le kilt à l’occasion des cérémonies. Les Free French sont très aimés et toujours reçus avec affabilité. Avant chaque départ en opération, les Britanniques nous offrent une grande « party » puis une autre à notre retour. A ce sujet, j’aurais des anecdotes à vous rapporter ; elles vous amuseront.

Nous sommes habillés comme des esquimaux. (Je vous enverrai des photographies). Il n’est pas question d’uniforme lorsque nous sommes en opération. Je porte un petit bonnet de laine bleu marine qui me fait ressembler à un clown, ce qui fait la joie de l’équipage. Mais sur ce bonnet, je n’ai pas oublié d’agrafer une Croix de Lorraine que j’ai également agrafée sur ma toque de fourrure et mon passe-montagne.

Je vais vous quitter. Il est tard et le devoir m’appelle. Écrivez-moi. Vos lettres me donnent la force de poursuivre le combat. Avec nos chefs et nos équipages, nous ne pouvons que vaincre et achever de libérer le Continent, une libération qui passera par la maîtrise des mers, des océans et la prise des ports.

 

Une lettre de Paul Léautaud adressée à ma grand-tante qui fut un temps sa secrétaire. Cette lettre est datée du samedi 30 juin 1951. Le trait en est épais. Paul Léautaud écrivait à la plume d’oie, qu’on se le dise :

Mademoiselle,

Je m’empresse de vous envoyer le petit règlement de vos travaux pour moi, avec mes remerciements pour votre aimable lettre.

Vous ne pouvez vous imaginer la vie que je mène, chez moi, depuis cinq mois. Mes deux propriétaires sont venues habiter le grand jardin qui fait suite au mien, y faisant construire une vaste maison en bois (coût : plus d’un million). Installation de l’électricité et du téléphone pour elles, la dépense s’en faisant chez moi. Par suite, ouvriers, maçons, circulation, des coups de marteaux toute la journée. Du gravois partout, escaliers et bonne partie du jardin, le nettoyage m’en étant laissé, tout mon rez-de-chaussée encombré de menuiseries. Bref : ma tranquillité perdue et tout mon travail en plan. Et j’ai bien peur d’en avoir encore pour quelques mois. Je devais donner des notes au Mercure, au Figaro, à la Revue de Paris, à La Table Ronde, engagements que je n’ai pu tenir. Vous voyez d’ici la presse. La petite société à quatre pattes va heureusement fort bien, ce qui, après tout, est le principal.

Avec mes très cordiaux hommages. P. Léautaud

P.S. Je risque cette demande n’étant pas sûr qu’elle soit fondée : n’avez-vous pas entre vos mains la copie à la machine du dernier texte pris par vous en sténographie ? Le mandat, payable à domicile, vous parviendra séparément.

 

 Paul Léautaud (1872-1956), chandelles et plume d’oie. Mais où sont les chats !

 

Extrait d’une lettre manuscrite du général de Boissieu, suite à une préface que je lui avais fait parvenir. J’y avais brossé un panorama politique de la famille, en adoptant une position parfaitement neutre. Dans ce panorama, j’évoquais mon père, très anti-gaulliste pour cause d’Algérie et sympathisant O.A.S. C’était ainsi dans les familles françaises. Un grand-père, officier de la Première Guerre mondiale, qui tout en refusant catégoriquement la Collaboration et Vichy refusait de condamner le Maréchal, son fils aîné radicalement gaulliste, son dernier fils (mon père) ulcéré par la « trahison » algérienne, et moi qui aurait pu, si j’avais eu quelques années de plus, lancer des pavés dans le Quartier Latin en braillant « La chienlit c’est lui ! »

Votre préface pour les souvenirs de votre oncle et de sa femme est excellente. Je voudrais cependant vous suggérer d’adoucir vos jugements sur le général de Gaulle (page 6) au sujet de l’exécution de Bastien-Thiry. (J’insiste, ce jugement n’est pas le mien mais celui de mon père, un jugement que je rapporte en simple observateur).

Charles de Gaulle a dit (et, je crois, écrit) les reproches qu’il a fait à Bastien-Thiry dans cette affaire. Ils sont écrits dans mon second tome de souvenirs, Éditions Plon, 1981, page 170, « L’Attentat du Petit-Clamart ». J’ai écrit : « Le premier reproche était d’avoir fait tirer sur une voiture dans laquelle B. T. (le général de Boissieu ne va plus désigner Bastien-Thiry que par ses initiales) savait qu’il y avait une femme, Madame de Gaulle, qui n’avait rien à voir dans les problèmes d’Algérie, ni dans la politique du général. Le deuxième était d’avoir fait courir des risques mortels à des innocents, dont les trois enfants de la famille Fillon qui étaient dans une Panhard qui arrivait vers la D.S. (Au cours de l’attentat, une Panhard circulant dans l’autre sens et dans laquelle se trouvait une famille, dont une femme et trois enfants, essuie les coups de feux. Le conducteur, Monsieur Fillon, est légèrement blessé à un doigt). Le troisième était d’avoir mêlé à cette affaire des étrangers, les trois Hongrois, largement rétribués. Le quatrième, le plus grave (aux yeux du général), était que B. T. n’avait pris aucun risque personnel (souligné par le général de Boissieu) dans l’attentat. Il s’était contenté de lever son journal pour déclencher les tirs. « Le moins que l’on puisse dire, écrivait le général, est qu’il n’était pas au centre de l’action ». Ainsi le général a gracié ceux qui servaient une arme (souligné par le général de Boissieu), mais pas B. T. qui faisait prendre des risques aux autres…

 

Le général Alain de Boissieu (1914-2006) en compagnie de sa femme, Élizabeth de Gaulle (1924-2013), fille aînée de Charles de Gaulle.

 

Extrait d’une lettre manuscrite du général de Boissieu, datée du 13 mars 1991, suite à l’enterrement d’un oncle, ancien de la Division Leclerc :

Jacques a eu des adieux bouleversants, car beaucoup de camarades savaient qu’il avait lui-même fixé toute l’ordonnance de cette cérémonie… Quel courage devant la mort !

Cette qualité aura dominé toute sa vie. Et l’humour ne lui a jamais manqué, même dans les moments les plus graves. Lorsqu’il fut blessé à Badonvillers, j’ai été prévenu aussitôt. Je suis arrivé et je l’ai vu sur un brancard, avec une veste traversée que l’on avait découpée. La blessure était terrible à voir (souligné par le général de Boissieu), j’ai pensé qu’il était perdu, je l’ai donc salué (souligné par le général de Boissieu). Je l’ai alors entendu dire : « Ce n’est pas courant de voir un capitaine vous saluer au garde-à-vous ! » Puis la douleur le reprit. Quel courage devant la mort, car c’était un glorieux mourant qui était devant moi ce jour-là. Lorsqu’on m’a dit quelques jours plus tard que Jacques allait peut-être s’en sortir, j’étais médusé et… transporté de joie !

 

Une lettre d’un ancien de la Division Leclerc, Jacques F., envoyée de Marseille et datée du 23 mai 2004 :

En reprenant la première mouture de votre document au sujet de votre oncle, à la page 5, concernant la Manifestation des Lycéens et Étudiants sur les Champs-Élysées, à Paris, le 11 novembre 1940, je tiens à vous préciser que j’y participais.

Je n’avais pas seize ans et nous étions plusieurs milliers (mis en gras par l’auteur de cette lettre) à remonter la célèbre avenue depuis la place de la Concorde ou le rond point des Champs-Élysées afin de donner le change aux Allemands qui ont mis du temps à comprendre la signification des cannes à pêche et du “deux” que nous scandions. Mais sur la place de l’Étoile, ils nous attendaient en force. Ils ont commencé à tirer en l’air puis sur nous avec des armes automatiques. Il y eut de nombreuses arrestations et des blessés. Par la suite, cinq lycéens du Lycée Buffon seront exécutés : Pierre Benoît, Jean-Marie Arthus, Pierre Grelot, Jacques Baudry, Lucien Legros. Voir la plaque commémorative posée dans ce lycée.

Suite à ces incidents, nous avons été dans l’obligation pendant plusieurs semaines de signer un registre à la police. J’avais réussi à me sauver avec la complicité d’un employé du métro, à la station Étoile, qui avait fait partir la rame au moment où les Allemands se précipitaient sur le quai.

 

Olivier Ypsilantis

 

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