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Notes sur l’art – Le Cahier gris – VI / X

 

En leader, l’église du Tiers-Ordre de Saint-François, à Ouro Preto (Brésil), œuvre d’Antônio Francisco Lisboa (Aleijadinho).

 

Parmi les peintres préférés de ma mère, Soutine. De fait, je ne puis voir l’un de ses tableaux sans penser à elle qui avait une manière si précise et enthousiaste de les commenter. Parfois même j’avais l’impression qu’elle en était l’auteur. Et, de fait, ses tableaux première période, les plus beaux, ont un air de famille avec ceux de Soutine. Elle aimait Soutine mais aussi les sages impressionnistes. Sages ! Pas si sages à bien observer leur touche agitée, virevoltante même. J’ai lu il y a peu un petit livre captivant, un portrait intime de Soutine par celle qui fut sa compagne, Gerda Michaelis, une jeune femme juive qui avait fui l’Allemagne nazie. C’est au cours de l’automne 1937 qu’elle rencontra le peintre, à Montparnasse. Elle s’occupait de Soutine malade qui décida de la surnommer « Garde ».

 

Me procurer « La théorie des arts en Italie de 1450 à 1600 » d’Anthony Blunt et « Principes fondamentaux de l’histoire de l’art » de Heinrich Wölfflin (deux livres publiés chez NRF-Gallimard, dans la collection « idées/arts »). Il faudra par ailleurs que je trouve le temps de lire « Journal (1822-1863) » de Delacroix (soit environ neuf cents pages) dont M. m’a fait un commentaire enthousiaste, hier soir. Il est publié chez Plon, dans la collection « Les Mémorables ».

 

The Great Fire se déclare le 2 septembre 1666. Ce malheur en élimine un autre. Il succède à la Great Plague de l’année précédente qui avait tué environ cent mille londoniens (soit près d’un habitant sur cinq) et qui se maintenait à l’état endémique. The Great Fire permit par ailleurs une reconstruction rationnelle de Londres (supervisée par Christopher Wren). On ne peut que penser à Lisbonne et à l’action du Marqués de Pombal, suite au séisme du 1er novembre 1755. C’est sous James 1er Stuart et Charles 1er Stuart que l’Angleterre sort de son provincialisme, sous l’impulsion d’Inigo Jones (1573-1652) nommé surintendant des bâtiments du roi en 1615. La démarche idéologique de cet architecte est soutenue par une dynastie étrangère (écossaise).

Inigo Jones

Inigo Jones’ Queen’s House

 

Inigo Jones. Extérieurs d’une grande sobriété. Volumes intérieurs exclusivement conçus à partir du cube que l’architecte démultiplie ou subdivise. Voir Queen’s House à Greenwich, l’une des réalisations les plus caractéristiques d’Inigo Jones, inspirée du palais Chiericati d’Andrea Palladio, une construction aujourd’hui bien mutilée. Inigo Jones est aussi un urbaniste, avec notamment Covent Garden.

Sir Christopher Wren (1632-1723) et la reconstruction de Londres suivant un plan avec système de quadrillage régulateur associé à de grandes places rayonnantes, un plan repoussé par les Londoniens attachés à leur ville détruite. Charles II cherche un compromis qui va priver Londres de cette monumentalité que l’âge classique donnera à Paris, Lisbonne ou Saint-Pétersbourg. Idem avec la plupart de ses principales réalisations : Christopher Wren doit accepter des compromis, notamment avec Saint-Paul Cathedral où il est contraint de renoncer au plan central en forme de croix grecque.

Mentor du palladianisme en Angleterre, lord Burlington (Richard Boyle, 3rd Earl of Burlington). C’est en Écosse que le néo-classicisme palladien multiplie ses réalisations. C’est en Écosse que naissent les Adam : le père William, et ses fils, Robert et James. Lorsque je pense au père, je pense d’abord à ses country houses, à commencer par Haddo House, rencontre de la mesure palladienne avec le monde sauvage de l’Écosse et ses clans. Ces immenses fenêtres, l’une des marques les plus visibles de l’Angleterre et de l’Écosse rurales et aristocratiques. Les structures — les rythmes — du petit bois dans ces grandes surfaces vitrées. Il y a un rapport entre les créations des frères Adam et celles du Bauhaus car, dans les deux cas, il y a volonté d’art total — le tout organique —, avec une même préoccupation pour l’ensemble et le détail, l’extérieur et l’intérieur, la structure et la décoration, etc.

 

Le style rococo, ornementation déchiquetée et disposée en contrepoint (selon des correspondances dissymétriques). Apparaît clairement chez les graveurs ornemanistes de la fin du règne de Louis XIV avant de se développer (vers 1720) dans le décor de boiseries d’hôtels parisiens. Passe de la France à l’Allemagne ; voir la parenté entre le salon ovale de l’hôtel Soubise et le pavillon d’Amalienburg, à Nymphenburg. Cependant, en France, le rococo touche peu à la structure — à l’architecture — qui reste conforme au style classique élaboré sous Louis XIV. Parmi les territoires de prédilection du rococo, le Portugal ; voir les ornemanistes du Minho-Douro et d’Oporto. La disparition de ce style dans le pays correspond à la réaction néo-classique suite au tremblement de terre de 1755. Mais il se prolongera au Brésil, jusqu’en 1800, avec le mulâtre Antônio Francisco Lisboa (1738-1814), plus connu sous le pseudonyme O Aleijadinho. Avec l’Allemagne, le rococo est radical : il ne s’en tient pas à un parti pris décoratif mais intègre dans un même rythme non seulement la peinture, l’ornement, la sculpture mais aussi l’architecture. C’est la fusion des arts, la Gesamtkunstwerk — un style symphonique.

 

Zackenstil (style cassé), un mot employé par les historiens allemands pour désigner un mode d’expression propre à l’art gothique germanique apparu au XIIIe siècle, avec cassures à angle aigu (qui se retrouveront chez les artistes de l’expressionnisme allemand, première moitié du XXe siècle), notamment dans les plis des vêtements. Ce style connaît une apothéose au XVIe siècle, chez des sculpteurs de retables. Voir en particulier celui de Breisach et de Niederotveiler. Weicherstil (style doux), soit les manifestations de tendresse dans le Spätgotik (dernière phase de l’architecture gothique). Son foyer, la région rhénane. Disparaît à la fin du XVe siècle.

 

Style Sheraton. Répandu par les dessins de Thomas Sheraton qui publia à la fin du XVIIIe siècle un livre à succès : « The Cabinet-Maker And Upholsterer’s Drawing-Book » et adapta le style Adam en simplifiant formes et décor, avec matériaux plus économiques et abandon des incrustations. Du Adam non plus aristocratique mais bourgeois, en quelque sorte.

 

Les architectes seldjoukides en Iran, avec nouveau type de mosquée inspiré de l’architecture civile abbâsside, elle-même inspirée de l’architecture sassanide. La mosquée à quatre iwans, la voûte en stalactite, avec trompes d’angles agencées sous une coupole de manière à passer du carré au plan à huit puis à seize côtés. Ces architectes ont par ailleurs profondément modifié la forme du minaret (antérieurement fait d’étages carrés en retrait) en imaginant de minces fuseaux polyédriques ou circulaires que couronne un balcon ou un cône effilé.

Ispahan

Les stalactites d’Ispahan, Iran. 

 

Rêverie devant des photographies de l’église de la Transfiguration du Sauveur (Iles Kiji, lac Onega. XVIIe – XVIIIe siècle). Travaillé à plusieurs pointes sèches et linogravures qui montrent l’espace russe, avec clochers à bulbe, l’un des emblèmes de la Russie. Ce sont autant de gravures conçues dans l’esprit du livre, comme des bandeaux surmontant un poème (en cyrillique) ou bien des culs-de-lampe. La neige et la taille d’épargne. Concevoir à l’inverse : c’est ce que j’ôte qui détermine la forme (taille d’épargne), facile pour le gaucher contrarié que je suis. Sans oublier qu’à l’impression tout s’inverse comme dans un miroir.

 

Rundbogen (arc en plein cintre) d’où Rundbogenstil, art roman — et Spitzbogenstil, art gothique. Mais cette acception est d’abord un aspect de l’historicisme puisqu’elle désigne aussi l’époque romantique qui, à l’imitation de la Renaissance, réhabilite le plein cintre. Voir les réalisations XIXe siècle, à Munich, de Leo von Klenze et Friedrich von Gärtner.

 

Colonne salomonique. De la colonne torse consacrée à Dionysos à l’emblème de l’eucharistie. Voir le baldaquin de Saint-Pierre de Rome par Le Bernin. Salomonique car on pensait que les colonnes réemployées (par Le Bernin lorsqu’il remania la basilique de Michel-Ange) dans les tribunes établies entre les piliers soutenant la coupole provenaient du temple de Salomon, à Jérusalem.

 

Lu « Le nazisme et la culture » de Lionel Richard. Le nazisme récemment arrivé au pouvoir allait-il laisser le champ libre à une avant-garde ? Avec du recul la question paraîtra déplacée ; elle ne l’était pas tant. Rappelons les faits. Au cours de l’été 1933, un groupe d’étudiants nazis s’oppose aux mesures prises à l’encontre de certaines tendances de l’art allemand (« Die Brücke » et « Der Blaue Reiter ») dont les membres, disent-ils, s’inscrivent pleinement dans le patrimoine national. Deux artistes nazis sont les porte-paroles de ce groupe : Otto Andreas Schreiber et Hans Weidemann. Alfred Rosenberg dénonce officiellement Otto Andreas Schreiber comme partisan d’Otto Strasser, le frère cadet de Gregor Strasser. L’artiste est amené à présenter des excuses. Le 22 juillet 1933, à Berlin, s’ouvre une exposition à la Galerie Ferdinand Möller sous l’égide des étudiants nazis. Cette exposition intitulée « Trente artistes allemands » regroupe autour de quelques jeunes peintres des expressionnistes (non-juifs) : Ernst Barlach, August Macke, Emil Nolde, Max Pechstein, Christian Rohlfs, Karl Schmidt-Rottluff. Elle est interdite trois jours plus tard. Suite à cette exposition avortée, et toujours sous l’impulsion d’Otto Andreas Schreiber, sont exposées en janvier 1934, à Berlin, des œuvres d’Ernst Barlach, de Lyonel Feininger et d’Emil Nolde. Alfred Rosenberg s’insurge. Rien n’y fait. En avril 1934, retour à la Galerie Ferdinand Möller où sont exposées plus de soixante aquarelles et lithographies d’Emil Nolde. Alfred Rosenberg s’insurge une fois encore. En  septembre 1934, Hitler met fin à ce désordre en donnant tort à Joseph Goebbels et Alfred Rosenberg. Lire la suite de cette affaire dans le livre en question (page 111 à page 115, dans l’édition « Petit collection Maspero »). Elle est révélatrice de luttes intestines, avec Hitler qui finit par se poser en arbitre entre Alfred Rosenberg et Joseph Goebbels — ce dernier étant plutôt favorable à l’expressionnisme. Par goût personnel, Hitler penche plutôt du côté d’Alfred Rosenberg ; mais par cet arbitrage, il espère à la fois affaiblir les ultra-révolutionnaires du nazisme (tendance Ernst Röhm et Gregor Strasser) et les nationalistes-conservateurs (tendance Franz von Papen et Alfred Hugenberg).

 

Des Ambulants (Передвижники) au réalisme socialiste. De Riépine (Илья́ Ефи́мович Ре́пин) à Brodsky (Исаак Израилевич Бродский), son élève de 1902 à 1908. Il me semble que la peinture la plus reproduite de ce dernier est « Lénine à Smolny ». Rappelons que la filiation des Ambulants au réalisme socialiste a une explication historique. L’avant-garde s’en prit aux Ambulants qui en quelque sorte se vengèrent d’elle, dès 1922, dans le cadre de l’Association des artistes de la Russie révolutionnaire (Ассоциация художников революционной России).

Brodsky

 Isaak Izraïlevitch Brodsky (1884-1939), l’un des pères du réalisme socialiste.

 

Les froissages de Jiří Kolář  et ceux de Simon Hantaï.

 

Pousser les propositions d’Yves Klein quant aux Anthropométries, les faire encore plus érotiques.

 

Chef-d’œuvre de stéréotomie, la coupole de la chapelle d’Anet. Elle m’évoque certaines mosaïques de la période hellénistique. En contemplant cette coupole, l’œil hésite vers la troisième dimension ; et de cette hésitation naît une sensation très particulière, délicieuse à vrai dire.

 

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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