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Quelques notes de lecture – 2/2

 

On trouvera dans le lien ci-joint, les noms des treize philosophes représentés en header : 

http://www.douglaserice.com/christian-existentialists/

 

En lisant « Qu’est-ce que la philosophie antique ? » de Pierre Hadot. Notes de lecture, chap. X : « Le christianisme comme philosophie révélée ». La surprise des Grecs face au message chrétien annonciateur d’une rupture, un message qui s’inscrit dans l’univers du judaïsme qu’il bouleverse tout en en conservant quelques notions fondamentales. Cette prise de position a priori anti-philosophique ne va pas empêcher certains Chrétiens, un siècle après la mort de Jésus-Christ, de présenter le christianisme comme une philosophie, voire la philosophie éternelle. A ce sujet, on pourrait en venir aux apologistes, ceux qui s’efforcent de rendre le christianisme compréhensible au monde gréco-romain.

La frontière entre le judaïsme, religion révélée, et la philosophie grecque n’est toutefois pas si tranchée. Philon d’Alexandrie (un philosophe juif contemporain de l’ère chrétienne) s’inscrit dans une tradition qui véhicule la notion d’un intermédiaire entre Dieu et le Monde : la Sofia (σοφία) ou Logos (λόγος). Voir le prologue de l’Évangile de Jean avec [Jésus / le Logos éternel / le Fils de Dieu]. La Parole de Dieu comme Raison élaborant le monde et guidant la pensée humaine. « C’est à cause de l’ambiguïté du mot Logos qu’une philosophie chrétienne a été possible ». Logos, un concept central de la philosophie grecque. Voir ses diverses significations. Voir ce qu’écrit Amélius au sujet de ce prologue ; Amélius, un philosophe néoplatonicien qui signale la parenté entre le vocabulaire de l’évangéliste Jean et celui de la philosophie.

 

Pierre Hadot

Pierre Hadot (1922-2010)

 

Selon ses apologistes (IIe siècle ap. J.-C.), le christianisme est venu parfaire le Logos dont les philosophes ne possédaient que des éléments. Ce discours va être formalisé au IIIe siècle par Clément d’Alexandrie, avec le Logos (la vraie philosophie) présenté comme « principe directeur de toute notre éducation ». A l’image de la philosophie grecque, la philosophie chrétienne va dès ses débuts se présenter comme discours (exégèse des textes fondateurs) et mode de vie. « La nature philosophique de progrès spirituel constitue l’armature même de la formation et de l’enseignement chrétiens » ; autrement dit : « Le discours philosophique chrétien est un moyen de réaliser le mode de vie chrétien. »

La théologie chrétienne qui est issue d’une religion révélée s’est constituée à partir de l’exégèse de la Bible et des controverses dogmatiques suscitées. La philosophie servit de pattern à la philosophie chrétienne dans la mesure où elle avait élaboré toute une tradition de théologie systématique inaugurée par le « Timée » et le Xe livre des « Lois » de Platon, et développée dans le livre XII de la « Métaphysique » d’Aristote.

Une fois encore, si le christianisme peut être présenté par certains Chrétiens comme une philosophie, voire la philosophie, ce n’est pas tant parce que son exégèse et sa théologie sont analogues à l’exégèse et à la théologie grecques (païennes) que parce qu’il est aussi — et d’abord — un style de vie et un mode d’être, ce qu’était la philosophie antique.

Vivre à l’imitation du Christ. Voir le phénomène du monachisme, à partir du IVe siècle en Égypte et en Syrie. Il s’agit d’un monachisme frustre, aucunement versé dans l’étude philosophique ; mais il prépare le « monachisme savant » par lequel la « philosophie » va désigner le mode de vie monastique comme perfection de la vie chrétienne, avec la pratique d’exercices spirituels à l’instar de la philosophie profane. Si certains de ces exercices sont spécifiquement chrétiens, d’autres sont les héritiers de cette philosophie.

L’attitude monastique ou l’attention à soi-même (une tension vers la partie supérieure de soi) telle que la définit Anathase d’Alexandrie, une attention qui avait été l’attitude fondamentale des stoïciens et des néoplatoniciens. Voir les conseils du moine Antoine : « Que chacun note par écrit les actions et les mouvements de son âme, comme s’il devait les faire connaître aux autres ». Valeur thérapeutique de l’examen de conscience, surtout s’il est écrit, l’écriture étant en quelque sorte le regard de l’autre. Dorothée de Gaza insiste sur la fréquence et la régularité de cet examen. Attention à soi-même, exercices de la pensée avec méditations sur les principes d’action résumés si possible en de courtes sentences — voir les Apophtegmes et les Kephalaia. Cette méditation constante est recommandée par les profanes Épicure et Épictète, avant Dorothée de Gaza. Thérapeutique des passions par la persévérance dans les pratiques acétiques destinées à réaliser la victoire de la raison. L’ascèse chrétienne héritière du stoïcisme, des platoniciens et des néo-platoniciens. Voir notamment chez Clément d’Alexandrie cette conception de l’ascèse envisagée comme séparation du corps et de l’âme — une claire influence platonicienne. Voir les conseils de Grégoire de Nazianze à un ami malade (Lettres, XXXI, t. I, p. 39) où Platon est expressément cité.

La philosophie est appelée par Socrate « exercice de la mort » : il convient de renoncer à l’usage des sens pour espérer accéder aux vraies réalités. Voir le dualisme de l’âme et du corps chez Platon. L’anachorèse (la vie monastique) comme exercice de la mort, comme fuite hors du corps. L’apatheia (ἀπάθεια), le détachement du corps et l’absence de passions consécutives. Le mot philosophia (φιλοσοφία) désignait du temps des Grecs anciens un mode de vie d’où l’émergence des « philosophes chrétiens », des « philosophes » qui ont été amenés à introduire dans le christianisme des pratiques et des attitudes héritées de la philosophie profane, d’où les nombreuses analogies entre vie philosophique profane et vie monastique. « Le christianisme est indiscutablement un mode de vie. Qu’il se soit présenté comme une philosophie ne pose donc aucun problème. Mais, en faisant cela, il a adopté certaines valeurs et certaines pratiques propres à la philosophie antique ». Notons toutefois que ces emprunts s’inscrivent dans un vaste ensemble (à définir) spécifiquement chrétien. Par ailleurs, les « philosophes chrétiens » se sont efforcés de christianiser l’emploi qu’ils faisaient des thèmes philosophiques profanes en s’employant à trouver leurs équivalents dans l’Ancien et/ou le Nouveau Testament. Il n’empêche que les exercices spirituels qu’ils évoquent font appel au vocabulaire et aux concepts de la philosophie profane. Le procédé allégorique a permis aux Pères de l’Église d’interpréter les expressions évangéliques comme désignant des parties de la philosophie. Voir par exemple l’expression « royaume des cieux ».

Pour Augustin d’Hippone, l’essentiel des doctrines platoniciennes et des doctrines chrétiennes se recouvrent. Les unes comme les autres invitent à crever l’écran du monde sensible dans le but de découvrir la réalité divine. Voir l’essence du platonisme et l’essence du christianisme selon Augustin. Mais alors, quelle est la différence entre platonisme et christianisme ? Selon Augustin, le christianisme a réussi là où le platonisme a échoué, soit la conversion des masses populaires, en les détournant des choses terrestres pour les orienter vers les choses célestes. « Nietzsche aurait pu s’appuyer sur Augustin pour justifier sa formule : ‟Le christianisme est un platonisme pour le peuple”. »

A développer : « Il faut donc bien reconnaître que, sous l’influence de la philosophie antique, certaines valeurs qui n’étaient que très secondaires, sinon inexistantes, dans le christianisme, sont venues se placer au premier rang ». Le mode de vie chrétien est bien l’héritier d’une spiritualité marquée par le mode de vie des écoles philosophiques antiques.

La question qui ouvre le chap. XI est la suivante : « Si la philosophie antique liait si étroitement discours philosophique et forme de vie, comment se fait-il qu’aujourd’hui, dans l’enseignement habituel de l’histoire de la philosophie, la philosophie soit présentée avant tout comme un discours, qu’il s’agisse d’un discours théorique et systématique ou d’un discours critique, sans rapport direct en tout cas avec la manière de vivre du philosophe ? »

 Olivier Ypsilantis

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