Skip to content

 8 octobre 2018, visite de l’Hospital dos Alienados (désaffecté) de Rilhafoles, à Lisbonne.

 

Ci-joint, un très riche lien sur cet hôpital devenu musée, le Museu Miguel Bombarda, avec une description illustrée du patrimoine architectonique, culturel et scientifique de ce vaste ensemble, notamment le Balneário D. Maria II, le Pavilhão de Segurança et le bâtiment principal (ancienne maison-mère de la Congregação da Missão de S. Vicente de Paulo) :

http://aparteoutsider.org/?page_id=74

 

Le bureau du Prof. Miguel Bombarda, lieu de son assassinat le 3 octobre 1910. Au mur, un portrait du maréchal de Saldanha.

 

Le gardien commence par me conduire dans le bureau de celui qui fut le directeur de l’établissement, le Prof. Miguel Bombarda. Ce nom ne m’évoque rien et le gardien qui s’est improvisé guide me confie qu’il ne sait pas grand-chose. Il me répète que le Prof. Miguel Bombarda a été assassiné dans cette pièce mais sans pouvoir me dire par qui ni pourquoi. Qu’importe ! Je me renseignerai. Il me désigne une grande peinture, portrait du maréchal de Saldanha, accrochée au-dessus du bureau, avec l’impact d’une balle tirée par l’assassin. Le maréchal de Saldanha (1790-1876), un militaire et un homme politique qui domine le XIXe siècle portugais, est par ailleurs l’auteur d’une œuvre écrite aussi variée que volumineuse, notamment d’un écrit sur l’homéopathie. Le gardien ne peut décidément pas répondre à mes questions ; il prend un sourire désolé. Qu’importe ! Il est aimable et me précède dans cet immense ensemble en ouvrant les portes (toutes fermées à clé) et les fenêtres. En sortant, je remarque une très petite plaque curieusement placée un peu haut et que je m’efforce de lire en me mettant sur la pointe des pieds ; je parviens à surprendre une date : 3 octobre 1910, la date de son assassinat. Miguel Bombarda, sommité médicale, spécialisé dans les maladies du système nerveux, dirigea cet hôpital à partir de 1892. Il fut par ailleurs le chef du comité civil qui organisa la révolution à l’origine de la Primera República Portuguesa (5 octobre 1910 – 28 mai 1926). J’interroge un autre employé. Selon lui, cet assassinat n’est pas à mettre sur le compte de son engagement politique, ce que je vérifierai en fin de journée en croisant des informations sur Internet. L’assassin est un ancien patient de Miguel Bombarda, le lieutenant Aparecio Rebelo dos Santos, un monarchiste. D’après tout ce que j’ai pu lire, il semblerait que cet assassinat ait été le fait d’un homme pris de délire (de persécution) et non un assassinat à caractère politique organisé par des ennemis de la République, désireux d’en finir avec cet anticlérical déclaré considéré comme l’un des chefs civils de l’avènement de la République, le 5 octobre 1910, soit deux jours après son assassinat.

Visite des bains aux beaux azulejos, inaugurés le 29 octobre 1853 par la reine D. Maria II, jour de l’anniversaire du prince-consort D. Fernando. Il est couvert d’échafaudages et semble à l’abandon. Le guide ne sait que répondre à mes questions. J’écarte les bâches qui pendent des échafaudages, m’enfonce dans les feuilles mortes, place un œil dans les interstices, interroge la mémoire de ce lieu ; elle m’échappe mais je l’interroge.

 

Les bains, inaugurés le 29 octobre 1853 par la reine D. Maria II.

 

Le gardien m’entraîne vers l’élément le plus intéressant de ce complexe, le Pavilhão de Segurança ainsi qu’il est écrit au fronton de cet édifice édifié entre 1892 et 1896, un hôpital-prison à l’intérieur de l’hôpital de Rilhafoles, le premier hôpital psychiatrique portugais, fondé en 1848. C’est une construction d’une grande beauté, sous tous ses angles (dont les vues aériennes) et dans tous ses détails. C’est une construction d’une absolue symétrie qui comprend un corps rectangulaire (avec l’unique entrée) qui conduit à un vaste espace circulaire que délimite une couronne comprenant notamment les cellules individuelles. En symétrie, comme deux ailerons : à gauche en entrant, le réfectoire ; à droite en entrant, la salle de réunion. Le cercle ouvert sur le ciel a un diamètre de trente-deux mètres. Une photographie montre en son centre une sorte de guérite pour gardien. Elle a été détruite sans tarder car jugée inutile.

Le Pavilhão de Segurança a été construit à la demande de Miguel Bombarda, directeur de l’hôpital de Rilhafoles de 1892 à 1910. Son auteur, José Maria Nepomuceno (1836-1895), rattaché au Ministério das Obras Públicas, un homme qui mériterait un article à part. Le panóptico du Pavilhão de Segurança (construit dans les années 1890, redisons-le) est une construction d’avant-garde aux allures Art Déco, années 1920-1930 donc. C’est l’un des très rares panópticos au monde, témoignage de ce système mis au point par Jeremy Bentham en 1787. Il est l’un des six édifices directement influencés par ce dernier (avec les pénitenciers de Breda, Arnhem et Haarlem, en Hollande ; Stateville, aux États-Unis ; la Isla de Pinos, aujourd’hui Isla de la Juventud, à Cuba). Ce panóptico a toutefois une spécificité, son patio central est grand ouvert sur le ciel, ce qui était bénéfique aux malades mentaux et permettait par ailleurs une meilleure ventilation, participant ainsi à la lutte contre les maladies contagieuses.

Le panóptico offre plusieurs avantages, dont la surveillance des prisonniers qui est ainsi grandement facilitée. A ce propos, il ne faut pas confondre le système panóptico avec le système radial conçu par John Haviland (1792-1852), auteur de l’Eastern State Penitentiary (ESP), Philidelphia, ouvert en 1829, selon le système novateur du « separate system ».

 

Divers documents relatifs au Pavilhão de Segurança et à sa partie la plus remarquable, le Panóptico.

 

Nos regards contemporains peuvent juger durement ce système de surveillance intégrale. Il n’empêche que Jeremy Bentham fut bien un progressiste. Par ailleurs, il collabora avec les Libéraux portugais pour élaborer la Constitution de 1822, milita pour la dépénalisation de l’homosexualité et pour le suffrage universel.

Les détails du panóptico de l’hôpital de Rilhafoles sont remarquables, avec en particuliermanière d’arrondir les angles saillants, anticipant le langage formel des années 1920-1930 : par exemple, les angles arrondis des bancs maçonnés entre les portes des cellules et les chambranles de ces portes tout en confirmant une certaine esthétique évitaient aux patients agités de se blesser, remédiaient à la fragilité des angles (facilement écornés) et facilitaient le nettoyage. Ces angles arrondis anticipaient bien des créations de l’architecture et du design de l’Art Déco, comme le mobilier du Bauhaus. Et ils ne se limitent pas au patio ; on les retrouve sur la façade extérieure de cette couronne, autour des ouvertures, sur les contreforts. Ils participaient à l’élaboration d’un style résolument pré-moderniste qui se manifesta aussi par l’utilisation du béton, un matériau alors nouveau. Remarquables sont les fenêtres de la salle de réunion et du réfectoire, avec leur linteau en arcature aux angles une fois encore arrondis. Remarquable est cet auvent métallique et ondulé qui court le long de la façade intérieure ; il est légèrement abaissé et il offrait protection aux internés contre la pluie et le soleil mais il rendait aussi la fuite plus difficile ; il est maintenu par des tirants qui eux aussi confirment la parfaite adéquation entre esthétisme et fonctionnalisme. Bref, cet édifice peut à juste titre être considéré comme le plus novateur, alors, au Portugal, et prendre place auprès des réalisations architecturales les plus pures.

A l’entrée de cet ensemble, dans le pavillon rectangulaire, un petit musée constitué de plusieurs pièces. Dans l’une d’elles, de l’appareillage médical. Mais ce sont les dessins et autres créations des patients-détenus qui me retiennent. A ce propos, je me souviens de ma découverte, à l’E.N.S.B.A., de l’Art brut et de lettres échangées avec Michel Thévoz, fondateur de la Collection d’Art Brut à Lausanne. J’avais entrepris la lecture de plusieurs de ses études : « Le corps peint » et « L’Art Brut » chez Skira, ainsi que la petite monographie « Louis Soutter » chez L’Âge d’Homme. Ainsi donc, dans ce musée de Lisbonne, des souvenirs me reviennent, souvenirs de mes années d’études et conversations passionnées avec cet ami mort trop tôt et qui me fit découvrir un aspect de l’art que mon classicisme m’avait fait ignorer.

 

Le danseur Valentim de Barros (1916-1986), interné à l’hôpital Miguel Bombarda de 1949 à 1986.

 

La collection de l’Hospital dos Alienados de Rilhafoles est la plus importante collection d’Art Brut du Portugal (je ne sais comment traduire « Art Brut » en portugais ; il me semble que la désignation suivante a la préférence : Arte Outsider). Parmi les artistes internés, représentants de l’Arte de Doente, Jaime Fernandes, ouvrier agricole interné à trente-sept ans pour schizophrénie et qui se mit à dessiner après une vingtaine d’années d’internement. Mais le plus célèbre des pensionnaires de cet hôpital est le danseur Valentim de Barros (il y séjourna de 1949 à sa mort en 1986). La presse portugaise titrait (voir sur Internet, article en cinq parties) : « Valentim de Barros, o bailarino a quem roubaram a vida » (Valentim do Barros, le danseur auquel on a volé la vie). Il n’aurait eu pour seules « maladies » (doenças) que d’être homosexuel, avec goût pour le travestissement et autres extravagances d’artiste. Je n’entrerai pas dans la polémique par manque de connaissance ; je me contente de détailler ces photographies qui le montrent dans sa cellule transformée en atelier d’artiste et entouré de ses créations.

Une excellente visite guidée (en portugais), présentée par RTP2, avec une insistance particulière sur la partie la plus intéressante de ce très vaste complexe, le Panóptico, inspiré des préoccupations de John Howard et de Jeremy Bentham :

https://www.youtube.com/watch?v=K-a51p9ptDw

 

Olivier Ypsilantis

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*