par Olivier » Mai 1st, 2012, 10:38 am
Chère Nina, avant de te parler de moi, et en écho à ta lettre, je me permets de te rapporter quelques lignes écrites par un homme pour lequel j’ai une profonde affection, Emmanuel Berl. Les lignes qui suivent sont extraites de ‟Sylvia”, l’un de ses livres autobiographiques.
Il écrit en début de livre : ‟J’appartiens à une de ces familles françaises qui, à la fois, restent juives et ne le sont plus. Elles répugnent à la conversion, et elles ne vont plus à la synagogue. Mon oncle Alfred Berl, qui a travaillé pour l’Alliance israélite, dirigé un journal israélite, était incapable de réciter le Kaddish devant le cercueil de son père, comme je l’ai été moi-même de le réciter devant son cercueil à lui. Mon père, qui aurait trouvé déshonorant de me faire baptiser, eût trouvé stupide de me faire jeûner le jour de Kippour. Seule ma grand-mère jeûnait, chez nous ; elle s’en excusait presque, elle disait : c’est pour le souvenir (...) Je ne retrouve pas dans mon enfance le souvenir des grandes fêtes qui, généralement, luisent d’un éclat si doux dans les mémoires de mes coreligionnaires. Je n’ai pas mangé les fruits de Souccoth, vu les minuscules tentes chargées de raisins et de prunes. Je n’ai pas entendu chanter Chat Gadya. Je n’ai pas connu l’ivresse généreuse de Pourim où la tradition veut qu’on ne distingue plus, pour un soir, entre Aman et Mardochée. Je n’ai même pas vu le repas de Pâques, la table dressée selon le rite, avec le raifort rouge, le raifort blanc, les herbes amères, l’œuf dur bruni au feu, l’eau salée, le vin doux, les pains azymes, cachés sous les serviettes éclatantes, les chandeliers à sept branches, la place vide, la porte ouverte pour celui qui doit venir, la maison purifiée avec une minutie anxieuse, la famille assemblée autour du père que l’enfant le plus jeune interroge et qui lui répond par le récit de l’Exode. Tout cela, je l’ai manqué. Et cela très simplement, parce que mon enfance entière a été manquée. ”