par Marock » Septembre 9th, 2011, 10:24 pm
Une journée en Moyen Atlas.
Encore, j' adore cette région.
Chantiers à visiter dans les montagnes, divers décomptes à faire accélérer. Ramasser un peu de fric, disons la vérité.
Absolument se lever de très bonne heure. Pas mon genre, pourtant, surtout après cette tournée nocturne dans les estaminets du coin, écouter les combines infaillibles, les coups d’enfer, bref supporter les délirances spiritueuses de ces innombrables éthylisés dans leur importance. Résister aussi aux troubles avances monnayables de la mignonne faune locale.
Pas de réveil dans la maison. Faut espérer sur le coq dans le jardin, que demain il fasse soleil, qu’il en chante d’enthousiasme, ce paresseux gallinacé.
C’ est l’appel à la prière du muezzin qui me réveille. Le soleil se lève, donc. Un bon repère.
Vite, lavage, rasage, habillage. Fin prêt, je fonce à ma bagnole.
C’ est là que je butte sur le clébard, avec le coq qui dort dans ses pattes et le chat allongé par dessus. Ménagerie que je saurai jamais éduquer dans leur rôle animal.
Ça en déclenche les vocalises effrénées de l’attardif, ameuter tout le coin, le chien qui s’en mêle de ses hurlements. Ils vont pas trop apprécier, les frileux voisins.
J’en prévois au Chanteclair un radieux et proche avenir bien marineux, bouquet garni, échalotes aussi. Baignant dans un frais Chaudsoleil. (Marque de vin local)
La mer est calme, ce matin. Déjà de joyeux sportifs s’y ébattent. Pourtant l’Atlantique, en ce début de printemps, j’y tremperais mes pinceaux en toute précaution.
Les pêcheurs de nuit viennent étaler leurs captures sur des lits d’algues en bord de route. Demain ils remettront les invendus de la journée au même endroit, seules les algues seront fraîches.
Activités matinales que je regrette de voir trop rarement.
J’essaie toujours de rentrer avant le lever du jour.
Je réussis quand même à me pointer à Rabat, presque’ à l’heure.
Déjà, Younes et sa Mercedes en ronronnent de ce chemin à parcourir.
Feux rouges matinaux passés, on se retrouve en plein brouillard. Le vrai, véritable cotonneux, à en pas voir ni les bas côtés, ni les ânes errants. La route, normalement, toute droite, mais le Younes, contrairement à son habitude, il roule pas à 160. Des fois qu’un camion aurait eu l’envie de s’arrêter au milieu de la route. Ou course aveugle de grands taxis, il craignait peut être.
Ça s’éclaircit, soleil aidant. La bagnole devant, son repère, la ligne médiane, elle la chevauche d’assurance. Ni à gauche, ni à droite, on peut pas doubler. Klaxon, phares, rien à y faire. Si, il mets son clignotant dans les virages, il a visiblement bien appris son code de conduite.
Après, faut descendre la vallée de l’Oued Beth. Un peu gonflé je le trouve, cet oued. Il coule un mince filet pendant trois jours à chaque année bissextile, mais s’est creusé son lit tranquille, qui nous occasionne trente bornes de descente, autant de remontée, en virages bien serrés.
La descente, ça peut aller. Quelques fraîches carcasses de camions carbonisés en garnissent les bas côtés, quelques cars également. Ça manque d’harmonie avec les oliviers bien alignés.
La remontée, par contre, c’ est pas ça. Les camions rescapés de la descente poussivent en fumant leur suie, hoquetant, crachant leurs derniers pistons, à deux de front, bien sur, ils font la course, à la grande surprise de ceux qui arrivent en face, profitant de la descente pour s’élancer en toute confiance dans l’ascension de la rive gauche. Perturbation de la fluidité du trafic, visite impromptue de fossés latéraux.
Nous revoici sur le plateau, on avance enfin un peu. Début du printemps, dans cette région agricole. On y laboure à pleine charrue. Les centaines de cigognes, vol en piqué, atterrissage plus ou moins bien réussit, pour se nourrir de ces pauvres larves bien tranquilles, rien qu’attendant quelques jours pour s’épanouir, papillons, hannetons, criquets gloutons peut être. On laisse Meknes à gauche, direction les montagnes. Traversée des vignes, Guerouane, Ait Souala, le nom des tribus locales donné aux grands crus du coin.
Et puis la montée sur El Hajeb, pas longue, pas trop raide pourtant. Mais comme d’habitude, on trouve le bled enneigé. J’ai jamais compris, ce changement de climat en quelques kilomètres.
Après, la route, plus personne. On pourrait foncer, mais sur cette route à une voix et demie, il faut slalomer entre les trous.
Intersection sur Ifrane. Les gendarmes, toujours ils sont là en vigilance.
« Plaques algériennes ! Vite, les papiers »
Encore de remarquables futés, ceux ci. Les plaques , même couleur que les algériennes, mais absolument différentes de caractères.
Younes qui ose leur faire remarquer qu’il y est écrit « Maroc » en arabe. Comment il sait ? On a du lui dire. Déjà qu’il est parfaitement incapable de lire même son nom.
Absolue fureur des grisés, ils en insistent plus fortement encore, contrôler notre identité.
Bon, on les sort, nos papiers.
Moi, ma carte de séjour, écrite en arabe. Younes, son permis de conduire français, tout froissé, photo avec la barbe, en plus. Ça les dépasse tout ça, ces braves pandores. En voient plus aucun sens, veulent accentuer l’enquête.
« D’accord, mais comme on a rendez vous avec le gouverneur, laissez nous lui téléphoner qu’on sera un peu en retard, de par vos bons soins. »
A coup de sifflet, voilà qu’ils se mettent à bloquer une circulation imaginaire pour nous faire repartir de toute urgence. Si leur Jeep avait pas été en panne, sur qu’ils nous auraient fait une escorte de toutes sirènes.
Sont mêmes pas étonnés qu’on prenne la direction opposée.
« Tu vois, ça marche à tous les coups, cette histoire de gouverneur. »
« Oui, mais un jour, ils vont te demander son nom. Tu le connais, au moins ? »
Timadhit. La route, entourée de ce qu’on arrive pas à distinguer entre anciennes ruines et diverses constructions que l’on essaierait de qualifier de modernes.
Un vrai bourbier absolu, conséquence de pluies récentes, crues ouedesques, neige fondante.
Trouver le président, des trucs à lui faire signer, papiers très officiels, histoire que le Younes il soit payé un jour.
Un drapeau ! Certainement le caïdat, on s’y pointe.
« On pourrait voir le caïd ? »
La secrétaire s’emplit d’une importance conséquente à la rareté de visiteurs de cette qualité. Elle doit penser qu’on s’est un peu égaré de trajet pour atterrir dans ce bled.
« Certainement, attendez un peu, je vais voir »
Une heure plus tard : « Entrez voir monsieur le caïd »
Grande pièce, bureau immense, déserté de paperasses, un poêle qui ronronne dans un coin avec un vieux assis dessus, qu’il lui en sort des fumances de sous sa djellaba.
Le caïd, lunettes de soleil , pompes admirablement blanches, costard marine à rayures blanches verticale, élégance absolue dans ces montagnes. Véritable Al Capone. Doit rêver d’être renommé à Agadir, éblouir les touristes de sa classe éblouissante de vieux film des années cinquante.
Lui, il a pas du terminer dans les premiers à la sortie de son école de caïds.
Se retrouver dans un bled pareil.
J’imagine, la promotion, l’entretien d’embauche.
« Où souhaitez vous être nommé ? »
« Agadir, à la limite Marrakech ou Tanger. »
« Vu vos résultats scolaires, il nous reste quelques places disponibles, Tiznit, Taroudant, Taanaout, Imin Tanout, Tata, Tazeghnart, Tifelt, Tineghir, Taourirt, Tameznaght, Tafraout. »
L’autre, il veut briller, mettre en devant sa connaissance des langues etrangéres.
« M’siour, siouplait, t’i m’ a dit ? »
« Timahdit, que voici un choix judicieux, je suis convaincu que vous y excellerez. »
« Cadeau, une carte Michelin, l’emplacement de ce charmant village y est entouré de rouge, pourquoi ils écrivent si petit, ces frankaouis, une ville de cette importance. Relents de colonialisme. »
Revenons au caïdat
« Nous serait il possible de rencontrer le président »
« Pas dur, il est derrière vous. C’ est le chibani qui se réchauffe le train arrière. »
«Respects véhémentement absolus , monsieur le président, juste quelques signatures, sans vouloir vous en déranger, ni vous en refroidir les parties médianes »
« Faut aller voir le service administratif »
A l’autre bout du bled, bien sur.
L’adjoint au président, lui il a l’air de savoir lire, écrire. Sympa en plus.
« Il nous faut ça en trois exemplaires »
« Pas dur. Où on trouve une photocopieuse, ici ? »
« Ecoutez, déjà on a pas l’électricité, alors, une photocopieuse, imaginez »
Moi, observateur, j’ai remarqué.
« Et alors, ces ampoules, au plafond ? »
« C’ est juste pour faire moderne »
La plus proche photocopieuse hypothétique, Azrou, 40 bornes.
Ça fait déjà quatre heures qu’on est parti, un creux sur l’estomac.
« On va se prendre un petit déjeuner, tartines, café au lait, ça aidera pour la route »
A la recherche d’un havre, peut être pas gastronomique, mais au moins nutritif.
Pas dur à trouver, on voit écrit « Casse Crote ». C’ est plein de bonne volonté, tout ça, cet essai de littérature francophone.
Une sorte de terrasse, une vague pergola où trois glycines s’essaient à survivre au climat hivernal, une table, pas de chaises. Bon, on va se mettre à l’intérieur, on pousse la porte.
Sitôt franchis l’huis, de terribles remugles nauséeux assaillent notre olfactif.
Finalement, l’enseigne, il y a peut être pas de faute d’orthographe.
Vite, on reflue en extérieur, suivis du louffiat empressé à contenter nos moindres exigences.
« D’abord, s’il vous plaît, deux chaises. »
Nos souhaits sont rapidement exaucés. Enfin, l’une a que trois pieds et l’autre pas de dossier.
Le garçon, ce petit futé, qui a reconnu des gens de la ville, s’évertue à frotter son unique table, vouloir en faire disparaître les traces que trois générations de bafreurs ont patiemment étalées en strates superposées. Un paléontologue assermenté y reconnaîtrait certainement différents aliments fossilisés, allant du protectorat aux temps actuels.
On s’assoit, enfin. Autour, les petits kanouns au charbon, les tajines en terre qui mijotent dessus, et le souk en face, c’ est le jour.
Une vieille planche en bois, crasseuse à souhait, un mec qui râpe de vagues abats de son couteau rouillé.
Et qu’on se regarde. « Ça sent une drôle de bonne odeur, et les autres qui s’en pourlèchent »
« Patron, il en cuit quoi dans vos gamelles »
« Tripes de mouton, bien sur. Arrivée directe de l’autre côté de la route »
« Annulation immédiate de la commande précédente. On fera comme tout le monde. Un gros tajine de tripes, une théière aussi »
A dix heures du matin, on s’en sent tout ravigarotés, ces agapes hémérales.
Pour la suite du voyage, il faut remettre du carburant dans la voiture.
La station du bled, on la trouve, l’officiant aussi, quelques quatre vingt balais, sa pompe, elle est encore plus ancienne.
« Le plein », qu’il demande, le Younes.
Vaillant, le chibani il en pompe par cinq litres, à peine un quart d’heure, on en voit le gasoil s’emplir un bocal, se transférer dans l’autre, après dans le réservoir.
A ce rythme, rapide calcul, on en a pour trois jours.
« Haj, dix litres, ça va bien nous suffire, pour Azrou »
Oui, on y est bien arrivés, Azrou, même on a réussit à trouver, l’espérée photocopieuse.
Retour, Timadhit, toujours aussi embourbé, mais de la plus extrême importance, fin de souk, les invendues bétaillantes, leurs déféquances libératoires conséquentes à un séjour infernal aux avant portes de l’abattage.
Retrouver le président, c’ est pas simple. Il a changé de poèle, sur celui de la commune, on le retrouve.
Mais la recherche de l’adjoint, celui qui sait lui tenir la main, pour la signature, Hercule aurait renoncé : Il est parti à Azrou en grand taxi. Pas sur qu’il en revienne vivant. Au moins, il illustre bien une des devises du pays : « Pourquoi faire simple, alors qu’on peut faire compliqué ».
Sidi Addi, Il faut qu’on y aille y visiter un chantier, où tout est parfaitement à l’envers, à rien en pouvoir raconter, de ces improvisations ferrailleuses inversées.
J’ai beau râler, les coutumes locales. « Ici on fait comme ça », qu’il dit Ajana, ce blond aux yeux bleus, l’Allemand comme on le nomme ici.
Des classes, un école, ils en mettront cinquante gamins là dedans,
Faut espérer, si la terre tremble un peu, ce sera la nuit, y aura personne, pas trop de gamins encrabouillés. Toutes façons, il y a surnatalité ici, et que le fric qui compte.
Et puis, c’ est que des berbères, ethnie à faire disparaître de toute urgence, dans ce pays arabo islamique. Aberration de l’histoire, ces anciens habitants. L’histoire du pays a commencé en l’an II, III ou IV de l’hégire, vers 710, on dirait chez nous..
Existait rien, avant. Berbères, pas même de Juifs errants, Phéniciens navigateurs, Romains conquérants.
Ifrane, on se croirait en Suisse. Petits chalets en bois tout mignons, vieilles maisons de pierre avec leur toit de tuile, propre en plus, et les rues toutes fleuries. Vraiment un autre monde.
Et puis, pas grand monde, les pistes de ski sont fermées en semaine
La province, bâtiment moderne, intégré quand même au paysage.
Toujours leurs papiers à faire tamponner, les vaillants bâtisseurs s’engouffrent dans des successions de bureaux, la plupart désertés par ces courageux fonctionnaires chargés de mouvoir les rudes rouages de l’état.
Moi, voulant pas m’ ennuyer tout seul, je les suis. Peut être une mignonne secrétaire à baratiner, passer le temps. Pas de chance, entre voilées et moustachues, autres velues, pas beaucoup de choix.
J’aurais du m’en douter, les plus jolies, elles sont dans les bureaux des chefs de service.
J’en remballe mes lyriques déclarances pour des contrées plus amènes.
Il a l’air connu, ici, Ajana. Tout le monde vient lui serrer la pince.
Je comprends. Chaque poignée de main est garnie d’un billet, ça va du bleu à 200 pour les chefs, ceux qui signent et tamponnent, jusqu’au rouge à 10, bien froissé, bien crasseux pour le plus petit chaouche, mais celui qui sait dans quel café est parti le chef, en passant par le vert de 50, les secrétaires, histoire qu’elles s’empressent d’un enthousiasme modéré à retrouver le dossier malencontreusement égaré.
L’architecte provincial, lui faire signer de vagues paperasses. Pour ça, il faut l’inviter au resto.
« Attendez, j’amène ma femme »
Vu le calibre de la dame, ça va nous revenir cher, tout ça. Enfin, c’ est Ajana qui va payer, on espère. Il a plus à gagner que nous.
« Avant, on passe à Azrou. Je me fais un immeuble. Vous me direz ce que vous en pensez. »
Immeuble, il appelle ça ! Juste un rez de chaussée, au bord de la route.
Mais vu de profil, une vraie favella. Terrain extrêmement en pente, la façade arrière, trois étages. Là, ça frôle le danger, glissement de terrain, crue de l’oued, sans parler de la manière de construire.
« Il en pense quoi, l’ingénieur ? »
Il en pense rien l’ingénieur. Il est pas en service, et il a faim. Et puis quoi dire devant ces dernières trouvailles de construction locale.
Allons y, un conseil amical, gratuit.
« Peut être qu’en mettant un peu de ciment dans votre béton, un peu de ferraille dans vos coffrages, ça vous aiderait à tenir jusqu’aux prochaines pluies. »
« Et quelle ferraille il mettrait, l’ingénieur, à quel endroit ? »
J’aurais mieux fait de taire ma grande gueule. Me voici encore chargé de faire un plan en toute gratuité. Toutes façons, personne saura le lire, ils feront à leur idée.
Amros, en pleine montagne, c’ est là qu’il faut se rendre.
Encore un autre décor. Retour en France des années d’avant guerre.
Dans la cour, quelques sympathiques cochons vaquent en leur diverses occupations, entourés d’oies, pintades, quelques singes aussi.
Sitôt passé la porte, le bar en acajou avec sa rampe de cuivre éclatant, boiseries partout, les rideaux et les nappes, carreaux rouges et blancs.
Il est mort, on apprends, Amros.
Et sa vieille Berbère aussi, toute tatouée, qui m’ amenait sa terrine de campagne, et me disait « Mange ! ! ! » J’osais rien protester, je mangeais toute sa félicité de sanglier. Elle m’ aurait dévoré, sinon.
La bouffe, malgré, encore tout à fait comestible, qu’on en est colmaté de gastrique importance.
L’archi en chef, voyant nos assiettes en souffrance, vite qu’il nous les rafle, partage avec sa moitié. Enfin, manière de parler ainsi d’une entière ogresse.
Moi, demi rêvant, Guérouane aidant, ça me remonte de vieux souvenirs littéraires. J’y suis. Bérurier et sa Berthe. Exactement ça.
Retour sur Rabat. L’oued Beth à franchir, 30 km de descente, 30 km de remontée, tout ça en virages bien serrés. Encore, dans l’ autre sens.
La 505 familiale qui nous double, bien garnie. Younes s’en trouve vexé, veut la rattraper.
Pas la peine. Trois bornes plus loin, on la retrouve encastrée sous un camion. Huit morts étendus sur la route, et une petite gamine, la seule survivante, elle a pas quatre ans, et qui pleurniche, cherche son nounours, peut être, se rend pas compte encore.