par Marock » Juin 24th, 2011, 8:14 pm
Pour Christiane, chrétienne comme moi.
Tiens Essaouira le matin. Soleil et vent faible. Pureté de l’ air.
J’ irais bien aussi purifier mon âme, c’ est Dimanche.
En plus le cureton a un look sympa, baba cool, longue barbe blanche, cheveux en catogan, d’ après mes souvenirs.
La petite église, j’ en entrouvre la porte. C’ est vide, c’ est pas l’ heure apparemment.
L’ officiant est là, je le reconnais, occupé à ranger ses ustensiles opératoires, en bon guérisseur de l’ âme.
« Vous voulez quoi ? »
« Juste aller à la messe, comme ça, en amateur éclairé. »
Il pourrait s’ en douter, sur que j’ ai pas confondu son église avec un bordel.
« C’ est pas l’ heure, revenez à 11 heures. »
J’ ai pas de montre, le soleil me permet de déterminer l’ heure, pas les minutes.
« Et quelle heure qu’ il est, monsieur le curé ? »
Il aime pas que je le nomme ainsi, il furibonde en me répondant : « Dix heures et quart. »
Comme j’ ai fait des maths à l’ école, il m’ est aisé de conclure que j’ ai 45 mn à flâner.
Bord d’ Océan, les cloches resplendissent à toute volée.
Inhabituel au Maroc, la seule ville qui puisse se permettre. Des années que j’ avais pas entendu ce son.
Assis sur la jetée, j’ allume mon premier clop du matin.
Face à ce Grand Océan iodé, il me survient des relents d’ Isidore, ducassant le titre de comte, de Lautréamont.
Des volatiles à larges ailes empiaffent le zéphir, ça piaille sévére dans les cieux.
Goélands, albatros, mouettes, j’ en sais rien, je suis pas ornithologue et Baudelaire est sur répondeur.
N’ empêche que ça gluante bien, leurs fientes. Préférable de s’ en gaffer.
J ‘ en vois la cause. Les chalutiers qui déversent leur cargaison argentée. Un flot de sardines.
Ça brille bien, c’est même éblouissant.
Les gamins mendigotant en ramassent quelques unes, nourrir la famille, personne va leur en vouloir, vieille tradition marocaine.
De jolies demoiselles passent, toute souriantes, leur noir regard malicieux souligné de kool, resplendissant d’ improbables promesses emplies de mystére…
Je suis dans le square de la gare à Charleville, j’ ai dix sept ans, et je suis pas sérieux.
Un avant goût du paradis avant de connaître le vrai, dans le temple de Notre Seigneur.
Avec tout ça, le temps est passé, je vais être à la bourre. Vite, retrouver l’ église.
Je remballe mes rêves pour un usage ultérieur, et mes carats pour une utilisation immédiate.
Ça va, j’ ai retrouvé vite fait mon lieu de culte.
Avant d’ en pousser discret la lourde, je m’ enquière de l’ heure auprès d’ un brave chibani qui traîne dans le secteur, heureux possesseur d’ une tocante à aiguilles.
« Il est, il est (il est aussi malvoyant que moi) il est…… dix heures soixante. Pas loin de onze heures.»
« Merci, honorable vieillard, que Dieu vous bénisse, vous, votre famille et votre honorable descendance jusqu’ à la quarante treizième génération. »
Formule de politesse habituelle, ça peut pas faire de mal, et en arabe, c’ est beaucoup plus court.
L’ huis entrebâillé, je constate, déjà du monde, c’ est pas bien rempli, mais l’ officiant a débuté son baratin.
De permanence prés du bénitier, la grenouille de service me conduit à ma place, au dernier rang bien sur. Prés d’ un ancêtre assez branlant.
Pourtant, je me suis rasé, peut être pas de prés, mais j’ ai fait un effort. Et même me suis je revêtu d’ un blouson emprunté à un copain.
Le curé il m’ a vu, mais moufte rien. Je suis pas encore maudit.
Se pointe une femme, encore assez accorte, qui prend place au second rang.
L’ autre, il dérive son sermon sur le retard et l’ exactitude.
« C’ est pour moi que vous dites ça ? » elle lui sort ?
Il passe à autre chose, commence à chanter. Il aime s’ entendre, l’ Yvan Rebrov des sacristies.
Deux retardataires encore, il aime pas du tout, il furibarde sévère :
« La messe c’ est pas un patronage, faut être à l’ heure, ensuite si vous le voulez, allez perdre votre temps à discutailler sur le parvis à la fin de la messe. » (il a pas tort sur les discutailles)
Six retardataires se pointent. Il va s’ offrir une apoplexie, je suppose.
Pas du tout, aimable : « Veuillez prendre place, soyez les bienvenus. »
Trois punaises de sacristies, accompagnées de leurs époux, respectifs, ça se mijote aimable, préserver ses invitations à déjeuner, dîner, accompagnés d’ un cru local. A son teint rubicond, on est assuré qu’ il carbure pas qu’au vin de messe, ni uniquement le Dimanche.
Mais c’ est pas fini encore. Un tout vieux, sur une chaise à roulettes. C’ est un respectable habitué, faut le mettre au premier rang, traîner des bancs, déplacer des chaises.
Bon, ça va, il est placé, on peut commencer la messe.
« Chers frères, levez vous. Nous allons entonner…. »
Un peu déplacée cette plaisanterie par rapport à l’ infirme qui vient de se pointer. Mais il relève pas.
Et on se met à chanter. On nous a fourni un papelard à l’ entrée, avec les paroles.
Le vioque à coté de moi, il y met tout son cœur, il chante complètement faux, mais avec foi, il déchiffre avec application le texte.
Le chant cesse. L’ autre sourdingue, il continue ses vocalises défaillantes. Tous se retournent.
Le chef de cérémonie apprécie assez moyennement le fait de deviendre « vedette américaine » dans son one man show. Il me supplie des yeux, venir à son secours.
Charité chrétienne, un coup de coude dans les côtes de mon voisin, ça le revient sur terre.
Et ça continue, levez vous, chantez avec moi.
J’ ai quand même pas tout fait pour éviter les casernes (caramba, encore loupé) à me retrouver maintenant à injoncter aux ordres d’ un maître de cérémonie.
Mais le pire, à un moment, il élève un truc rond vers le ciel, une hostie d’ après mes anciens souvenirs. Tous baissent le chef, signe de soumission. Moi je regarde par en dessous.
Il en profite pour s’ enfiler un coup de ciboire derrière la chasuble.
S’ ensuit une communion à défiler l’ air contrit, provoqué par l’ ingestion de cette sacrée hostie. Et il partage pas le sang du christ, rien que sa chair. Sinon, bien sur, j’ y serais allé.
Et ça continue, aimez votre prochain, serrez vous la paluche comme à vous même.
Moi, c’ est personne qui vient me fraterniser. Pourtant, je suis pas pestiféré, même pas arabe, encore moins noir (quoique…).
Il est temps de se tirer, Ite, Missa est.
Une Africaine était restée debout derrière, un bambin dans les bras. J’ avais pas remarqué.
Elle avait pas osé prendre un siége, parmi le club restreint des pratiquants de bon teint.
Personne m’ a serré la main, ni à elle. On doit pas être de bon aloi.
Alors nous, on s’ embrasse, on est pas puritain, on aime la vie, la vraie, la simple, suite à ce rabâchage d’ amour de son prochain où on est pas concerné.
Je la reconnais, je l’ ai vue hier soir. Elle tentait de vendre des colifichets dans les bars populaires. Pas un grand succès, femme et noire, elle a rien compris au pays.
Elle famélise pas mal, son chiare aussi. Et c’ est l’ heure de bouffer.
« Viens avec ton môme, on va se faire un resto, et pour une fois c’ est toi qui va commander les loufiats».
Etrange couple, bicolore, pas très approprié, elle est mille fois plus élégante que moi dans son pagne multicolore.
Pourtant elle a pas honte, et moi non plus, de faire de mauvaises rencontres.
Pas de marocains, ils s’ en foutent, elle a une croix autour du cou et moi une tronche de chrétien pure race, on fait ce qu’ on veut, ils sont pas concernés.
Mais si on rencontre un de ces dévôteurs assermentés à la pratique du culte dominical, ça va chuchoter comme à confesse entre vieux débris et vieilles peaux.