MOI, IBRAHIM O., GLOBE-TROTTER DU DJIHAD
Publié: Février 24th, 2014, 11:31 am
Pendant trois ans, ce jeune Franco-Malien a fait le tour des points chauds du djihad pour rejoindre les combattants d'Al-Qaida. Incarcéré en France, il poursuit sa guerre sainte.
"Donnez-moi dix ans, je les prendrai avec un grand sourire. La prison, c'est les vacances pour moi." Derrière la vitre blindée du box du tribunal où il est jugé pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme", Ibrahim O. affiche une parfaite sérénité. Une insolente décontraction. "Je ne suis venu que pour faire plaisir à mon avocat", s'amuse le jeune Franco-Malien de 26 ans au faux air de Sammy Davis Jr, fine moustache et regard malicieux.
En ce début février, pendant les dix jours de son procès, Ibrahim O., sourire aux lèvres, avoue tout. Et plus, s'il le pouvait. Oui, il suit "les lois d'Allah, pas celles de la République". Oui, il est bien ce "globe-trotter du djihad" décrit dans le dossier d'instruction, toujours prêt à partir en terre d'islam et, s'il le faut, à combattre la France, "cette terre de mécréance". Oui, il a longtemps tenté de recruter d'autres "frères" pour combattre les infidèles.
Aujourd'hui, en détention, Ibrahim O. poursuit son djihad à lui. "Le mois dernier, il a écopé de quatre mois de prison supplémentaires pour avoir tenté de fomenter une émeute à la maison d'arrêt d'Osny, révèle un policier antiterroriste qui le suit de près. On a été obligé de le changer d'établissement avant qu'il ne retourne le cerveau de tout le monde."
Le foot ne veut pas de lui, ce sera donc le Coran.
La prison, Ibrahim O., né à Aubervilliers (93) d'une mère malienne et de père inconnu, n'en a cure. Placé dès l'âge de 2 ans et demi à l'Assistance publique parce que sa mère le battait, celui qui est devenu une des figures de proue du djihadisme français ne connaît que cela : ces foyers qui se succédaient, tous pareils, avec leurs chambres austères et leurs réfectoires bruyants. Une mère condamnée pour violences, quatre frères et sœurs, tous nés de pères différents...
Le gamin rêve de devenir footballeur professionnel. Sa sœur vit en Italie. Il va là-bas effectuer des essais dans des clubs pro. "Mais ça n'a pas marché. J'ai été très déçu." Le foot ne veut pas de lui, son CAP de serrurerie ne le passionne guère, ce sera donc le Coran.
A 16 ans, le jeune homme se convertit.
"J'avais besoin de trouver un sens à ma vie, ça a été l'islam. Un musulman m'a passé le Coran, je l'ai lu, ça m'a plu."
Ibrahim devient un pilier de la mosquée Omar, dans le 11e arrondissement de Paris. Un repaire de fondamentalistes, où l'imam de l'époque (expulsé depuis), un Tunisien à l'antisémitisme viscéral, prône le fouet pour les femmes adultères jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Du Caire au Yemen, en passant par le Soudan
Djellaba sur le dos, Coran en main, Ibrahim abandonne les études et se marie religieusement avec une "sœur". L'heure de la hijra, le retour en terre d'islam, sonne au printemps 2007. Il ne s'agit alors que de perfectionner son arabe et sa connaissance de la religion. Il a 19 ans. Il part d'abord au Caire, se rend à Khartoum, au Soudan, puis est orienté vers le Yémen.
"On m'avait indiqué une école coranique où l'on pouvait être nourri et étudier gratuitement", raconte-t-il."
L'endroit est baptisé Da'wah Salafyyah. C'est un centre islamique pour francophones situé à Dammaj, au nord du pays. "Un des principaux centres de formation pour les djihadistes français, précise un officier de la communauté du Renseignement. Plusieurs y ont déjà trouvé la mort dans des affrontements interethniques."
Ibrahim n'a pas encore l'âme d'un combattant. Quand il rentre à Paris, après six mois de périple, il retourne vivre chez sa mère, s'astreint à des petits boulots et tente de reprendre le foot. Il traîne dans des librairies religieuses, où, déçu, il ne voit "que des livres sur les ablutions et le mariage".
Premier échec à Birmingham, en Angleterre
Pour assouvir sa soif de "connaissance", il passe des heures dans les cybercafés à surfer sur Ansar al Haqq, le site radical le plus en vue chez les apprentis djihadistes français. Il se plonge aussi dans les livres de Gilles Kepel et François Burgat, les universitaires qui font autorité sur les questions d'islam radical.
"En fait, ce sont les mécréants qui m'ont ouvert les yeux sur ma religion !"
Mais Ibrahim n'est pas un contemplatif. L'action le démange. Fin 2008, il se rend à Birmingham, en Angleterre, haut lieu de la communauté salafiste britannique. Premier échec : "Les frères m'ont juste payé l'hôtel pendant trois jours et m'ont demandé de repartir." Pas de quoi le décourager. Moins de six mois plus tard, alors que vient de naître son premier enfant, Ibrahim reprend l'avion pour le Yémen. Deux "frères" de la mosquée Omar l'accompagnent. Des barbus qui effraient les autorités yéménites.
"Je ne comprenais pas qu'un pays musulman me rejette"
Dès leur arrivée à Sanaa, les trois jeunes sont arrêtés et renvoyés en France. Deuxième échec. "Cette expulsion m'a beaucoup meurtri, reconnaît-il aujourd'hui. Je ne comprenais pas qu'un pays musulman me rejette." Ibrahim va s'enfoncer encore un peu plus dans la radicalité. A la maison, il interdit désormais à sa femme de regarder la télévision et de sortir sans son autorisation. Il développe une conception très personnelle de la société.
"La démocratie est contraire à l'islam, professe-t-il. Au niveau religieux, je n'ai pas le droit de vivre en France. Les musulmans qui restent ici vivent dans le péché."
Un jour, il file vers la Côte d'Azur, "sur un coup de tête, comme quand j'étais gosse et que je fuguais", dit-il. Il travaille un temps dans un kebab de Cannes, se marie une deuxième fois, religieusement, avec une jeune femme d'origine comorienne, rencontre d'autres barbus et bascule définitivement. Il a 22 ans. "C'est là, dans le Sud, que j'ai découvert la nécessité du djihad." Le djihad offensif, s'entend. Armé. Pour cela il faut un peu d'argent.
Début 2010, il trouve un emploi de médiateur à la Ville de Paris, payé 675 euros par mois. Hébergé au foyer Urgences Jeunes, dans le 14e arrondissement, il économise l'argent d'un aller simple pour le Pakistan. Direction : Peshawar, porte d'entrée du Waziristan, sanctuaire d'Al-Qaida.
"Tu ne peux pas rester ici, parce que tu es noir"
L'apprenti djihadiste n'a aucun contact sur place. Comme en Angleterre, comme au Yémen, Ibrahim se fait rembarrer dès qu'il met les pieds dans la première mosquée venue.
"Les frères se sont énervés en me voyant. J'essayais de leur dire que c'était Allah qui m'avait facilité la route pour venir jusqu'à eux, mais ils étaient hyper suspicieux, ils me prenaient pour un espion."
Finalement, dans une madrasa de la ville, il croise un djihadiste belge qui lui fait miroiter la possibilité d'un stage d'entraînement au Waziristan. Exaltation.
"Si on meurt en martyr, le sang qui coule sur le côté sent le musc, dit-il. A la première goutte de sang qui tombe, tous les péchés sont pardonnés."
En fait, son nouvel ami djihadiste cherche surtout à se débarrasser de cet encombrant Français d'origine malienne. "Il m'a dit : "Tu ne peux pas rester ici, parce que tu es noir." Et c'est vrai que tout le monde me regardait bizarrement, à Peshawar." Finalement, surpris à téléphoner en France au mépris des règles de sécurité, Ibrahim est sommé de déguerpir.
Retour en France. Pour la guerre sainte, c'est encore raté !
Selon le parquet antiterroriste, le jeune homme est "un adepte du djihad au feeling. Son seul objectif est d'en découdre sur une terre de combat, quelle qu'elle soit." Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Car, un peu ébranlé par sa mésaventure pakistanaise, le globe-trotter du djihad est devenu sélectif. "C'était fini, les zones où il n'y avait pas de Noirs. Pour moi, maintenant, c'était soit la Somalie, soit le Yémen."
Arrêté au Caire, incarcéré en France
Le SDF de la guerre sainte est maintenant dans le collimateur de la DCRI, la police antiterroriste. Ce qui ne l'empêche pas de fausser compagnie aux policiers et de s'envoler de nouveau vers l'Egypte en septembre 2010. Il sera arrêté au Caire, à la demande de la police française, et incarcéré dès son retour à Roissy.
Il a été décidé de le neutraliser car, sur les écoutes, il évoquait l'hypothèse d'assassiner Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris", explique un homme du Renseignement.
Le projet, en réalité, n'a aucune consistance. Mais il lui vaut un long séjour en prison. Libéré sous contrôle judiciaire en juillet 2012, Ibrahim O. semble s'être calmé. Et pourtant ! Trois mois plus tard, quand il prend connaissance du discours de François Hollande à Dakar, son âme de djihadiste se réveille.
"Hollande justifiait son intervention au Mali. Cela m'a révolté. Moi, je suis pour la loi d'Allah, donc je serai toujours du côté de mes frères, avec eux. Les Français, ça ne les regardait pas ce qui se passait au Mali."
Muni d'un faux passeport, il saute dans un avion pour Bamako, via Lisbonne. Le 6 novembre, Ibrahim O. est arrêté par la gendarmerie malienne, à Sévaré, alors qu'il tentait de rejoindre les rangs d'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) à Tombouctou.
Au banc des prévenus, ses "frères en Allah"
Retour à Paris. Procès. Le procureur requiert contre lui une peine de sept ans de détention. Ibrahim O. n'a même pas souhaité se défendre, récusant son avocat avant les plaidoiries. Il s'intéressait surtout au banc des prévenus, où se pressaient ses "frères en Allah".
Il y avait là Bilel, Bilel au sang chaud, condamné récemment pour avoir tabassé un sexagénaire photographiant des femmes voilées, Bilel qui écrit à la juge d'instruction pour lui demander d'embrasser l'islam.
Il y avait Nicolas, le converti, celui qui "ne serre pas la main aux femmes" et semble si gêné d'avouer devant les juges qu'il a "eu peur" d'aller au djihad. Tous semblent, encore maintenant, sous la coupe de leur gourou. "Ne parle pas ainsi du frère Merah, tu ne lui arrives pas à la cheville", tranchait pendant l'audience le djihadiste franco-malien, quand Nicolas tentait de prendre ses distances avec le tueur toulousain...
Aujourd'hui, Ibrahim O. est inoffensif. Il est à l'isolement à la prison de Nanterre. Mais bientôt, il pourra à nouveau prêcher le chemin d'Allah : les "frères" ne manquent pas, en prison. En attendant, il est serein. Le combattant raté, tant de fois éconduit, a enfin trouvé sa place. "Je ne veux pas sortir de prison, j'y suis bien, avait-il confié à son juge d'instruction en 2011. J'apprends sur ma religion. Si je sortais aujourd'hui, je me sentirais perdu."
Doan Bui et Olivier Toscer - Le Nouvel Observateur
"Donnez-moi dix ans, je les prendrai avec un grand sourire. La prison, c'est les vacances pour moi." Derrière la vitre blindée du box du tribunal où il est jugé pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme", Ibrahim O. affiche une parfaite sérénité. Une insolente décontraction. "Je ne suis venu que pour faire plaisir à mon avocat", s'amuse le jeune Franco-Malien de 26 ans au faux air de Sammy Davis Jr, fine moustache et regard malicieux.
En ce début février, pendant les dix jours de son procès, Ibrahim O., sourire aux lèvres, avoue tout. Et plus, s'il le pouvait. Oui, il suit "les lois d'Allah, pas celles de la République". Oui, il est bien ce "globe-trotter du djihad" décrit dans le dossier d'instruction, toujours prêt à partir en terre d'islam et, s'il le faut, à combattre la France, "cette terre de mécréance". Oui, il a longtemps tenté de recruter d'autres "frères" pour combattre les infidèles.
Aujourd'hui, en détention, Ibrahim O. poursuit son djihad à lui. "Le mois dernier, il a écopé de quatre mois de prison supplémentaires pour avoir tenté de fomenter une émeute à la maison d'arrêt d'Osny, révèle un policier antiterroriste qui le suit de près. On a été obligé de le changer d'établissement avant qu'il ne retourne le cerveau de tout le monde."
Le foot ne veut pas de lui, ce sera donc le Coran.
La prison, Ibrahim O., né à Aubervilliers (93) d'une mère malienne et de père inconnu, n'en a cure. Placé dès l'âge de 2 ans et demi à l'Assistance publique parce que sa mère le battait, celui qui est devenu une des figures de proue du djihadisme français ne connaît que cela : ces foyers qui se succédaient, tous pareils, avec leurs chambres austères et leurs réfectoires bruyants. Une mère condamnée pour violences, quatre frères et sœurs, tous nés de pères différents...
Le gamin rêve de devenir footballeur professionnel. Sa sœur vit en Italie. Il va là-bas effectuer des essais dans des clubs pro. "Mais ça n'a pas marché. J'ai été très déçu." Le foot ne veut pas de lui, son CAP de serrurerie ne le passionne guère, ce sera donc le Coran.
A 16 ans, le jeune homme se convertit.
"J'avais besoin de trouver un sens à ma vie, ça a été l'islam. Un musulman m'a passé le Coran, je l'ai lu, ça m'a plu."
Ibrahim devient un pilier de la mosquée Omar, dans le 11e arrondissement de Paris. Un repaire de fondamentalistes, où l'imam de l'époque (expulsé depuis), un Tunisien à l'antisémitisme viscéral, prône le fouet pour les femmes adultères jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Du Caire au Yemen, en passant par le Soudan
Djellaba sur le dos, Coran en main, Ibrahim abandonne les études et se marie religieusement avec une "sœur". L'heure de la hijra, le retour en terre d'islam, sonne au printemps 2007. Il ne s'agit alors que de perfectionner son arabe et sa connaissance de la religion. Il a 19 ans. Il part d'abord au Caire, se rend à Khartoum, au Soudan, puis est orienté vers le Yémen.
"On m'avait indiqué une école coranique où l'on pouvait être nourri et étudier gratuitement", raconte-t-il."
L'endroit est baptisé Da'wah Salafyyah. C'est un centre islamique pour francophones situé à Dammaj, au nord du pays. "Un des principaux centres de formation pour les djihadistes français, précise un officier de la communauté du Renseignement. Plusieurs y ont déjà trouvé la mort dans des affrontements interethniques."
Ibrahim n'a pas encore l'âme d'un combattant. Quand il rentre à Paris, après six mois de périple, il retourne vivre chez sa mère, s'astreint à des petits boulots et tente de reprendre le foot. Il traîne dans des librairies religieuses, où, déçu, il ne voit "que des livres sur les ablutions et le mariage".
Premier échec à Birmingham, en Angleterre
Pour assouvir sa soif de "connaissance", il passe des heures dans les cybercafés à surfer sur Ansar al Haqq, le site radical le plus en vue chez les apprentis djihadistes français. Il se plonge aussi dans les livres de Gilles Kepel et François Burgat, les universitaires qui font autorité sur les questions d'islam radical.
"En fait, ce sont les mécréants qui m'ont ouvert les yeux sur ma religion !"
Mais Ibrahim n'est pas un contemplatif. L'action le démange. Fin 2008, il se rend à Birmingham, en Angleterre, haut lieu de la communauté salafiste britannique. Premier échec : "Les frères m'ont juste payé l'hôtel pendant trois jours et m'ont demandé de repartir." Pas de quoi le décourager. Moins de six mois plus tard, alors que vient de naître son premier enfant, Ibrahim reprend l'avion pour le Yémen. Deux "frères" de la mosquée Omar l'accompagnent. Des barbus qui effraient les autorités yéménites.
"Je ne comprenais pas qu'un pays musulman me rejette"
Dès leur arrivée à Sanaa, les trois jeunes sont arrêtés et renvoyés en France. Deuxième échec. "Cette expulsion m'a beaucoup meurtri, reconnaît-il aujourd'hui. Je ne comprenais pas qu'un pays musulman me rejette." Ibrahim va s'enfoncer encore un peu plus dans la radicalité. A la maison, il interdit désormais à sa femme de regarder la télévision et de sortir sans son autorisation. Il développe une conception très personnelle de la société.
"La démocratie est contraire à l'islam, professe-t-il. Au niveau religieux, je n'ai pas le droit de vivre en France. Les musulmans qui restent ici vivent dans le péché."
Un jour, il file vers la Côte d'Azur, "sur un coup de tête, comme quand j'étais gosse et que je fuguais", dit-il. Il travaille un temps dans un kebab de Cannes, se marie une deuxième fois, religieusement, avec une jeune femme d'origine comorienne, rencontre d'autres barbus et bascule définitivement. Il a 22 ans. "C'est là, dans le Sud, que j'ai découvert la nécessité du djihad." Le djihad offensif, s'entend. Armé. Pour cela il faut un peu d'argent.
Début 2010, il trouve un emploi de médiateur à la Ville de Paris, payé 675 euros par mois. Hébergé au foyer Urgences Jeunes, dans le 14e arrondissement, il économise l'argent d'un aller simple pour le Pakistan. Direction : Peshawar, porte d'entrée du Waziristan, sanctuaire d'Al-Qaida.
"Tu ne peux pas rester ici, parce que tu es noir"
L'apprenti djihadiste n'a aucun contact sur place. Comme en Angleterre, comme au Yémen, Ibrahim se fait rembarrer dès qu'il met les pieds dans la première mosquée venue.
"Les frères se sont énervés en me voyant. J'essayais de leur dire que c'était Allah qui m'avait facilité la route pour venir jusqu'à eux, mais ils étaient hyper suspicieux, ils me prenaient pour un espion."
Finalement, dans une madrasa de la ville, il croise un djihadiste belge qui lui fait miroiter la possibilité d'un stage d'entraînement au Waziristan. Exaltation.
"Si on meurt en martyr, le sang qui coule sur le côté sent le musc, dit-il. A la première goutte de sang qui tombe, tous les péchés sont pardonnés."
En fait, son nouvel ami djihadiste cherche surtout à se débarrasser de cet encombrant Français d'origine malienne. "Il m'a dit : "Tu ne peux pas rester ici, parce que tu es noir." Et c'est vrai que tout le monde me regardait bizarrement, à Peshawar." Finalement, surpris à téléphoner en France au mépris des règles de sécurité, Ibrahim est sommé de déguerpir.
Retour en France. Pour la guerre sainte, c'est encore raté !
Selon le parquet antiterroriste, le jeune homme est "un adepte du djihad au feeling. Son seul objectif est d'en découdre sur une terre de combat, quelle qu'elle soit." Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Car, un peu ébranlé par sa mésaventure pakistanaise, le globe-trotter du djihad est devenu sélectif. "C'était fini, les zones où il n'y avait pas de Noirs. Pour moi, maintenant, c'était soit la Somalie, soit le Yémen."
Arrêté au Caire, incarcéré en France
Le SDF de la guerre sainte est maintenant dans le collimateur de la DCRI, la police antiterroriste. Ce qui ne l'empêche pas de fausser compagnie aux policiers et de s'envoler de nouveau vers l'Egypte en septembre 2010. Il sera arrêté au Caire, à la demande de la police française, et incarcéré dès son retour à Roissy.
Il a été décidé de le neutraliser car, sur les écoutes, il évoquait l'hypothèse d'assassiner Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris", explique un homme du Renseignement.
Le projet, en réalité, n'a aucune consistance. Mais il lui vaut un long séjour en prison. Libéré sous contrôle judiciaire en juillet 2012, Ibrahim O. semble s'être calmé. Et pourtant ! Trois mois plus tard, quand il prend connaissance du discours de François Hollande à Dakar, son âme de djihadiste se réveille.
"Hollande justifiait son intervention au Mali. Cela m'a révolté. Moi, je suis pour la loi d'Allah, donc je serai toujours du côté de mes frères, avec eux. Les Français, ça ne les regardait pas ce qui se passait au Mali."
Muni d'un faux passeport, il saute dans un avion pour Bamako, via Lisbonne. Le 6 novembre, Ibrahim O. est arrêté par la gendarmerie malienne, à Sévaré, alors qu'il tentait de rejoindre les rangs d'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) à Tombouctou.
Au banc des prévenus, ses "frères en Allah"
Retour à Paris. Procès. Le procureur requiert contre lui une peine de sept ans de détention. Ibrahim O. n'a même pas souhaité se défendre, récusant son avocat avant les plaidoiries. Il s'intéressait surtout au banc des prévenus, où se pressaient ses "frères en Allah".
Il y avait là Bilel, Bilel au sang chaud, condamné récemment pour avoir tabassé un sexagénaire photographiant des femmes voilées, Bilel qui écrit à la juge d'instruction pour lui demander d'embrasser l'islam.
Il y avait Nicolas, le converti, celui qui "ne serre pas la main aux femmes" et semble si gêné d'avouer devant les juges qu'il a "eu peur" d'aller au djihad. Tous semblent, encore maintenant, sous la coupe de leur gourou. "Ne parle pas ainsi du frère Merah, tu ne lui arrives pas à la cheville", tranchait pendant l'audience le djihadiste franco-malien, quand Nicolas tentait de prendre ses distances avec le tueur toulousain...
Aujourd'hui, Ibrahim O. est inoffensif. Il est à l'isolement à la prison de Nanterre. Mais bientôt, il pourra à nouveau prêcher le chemin d'Allah : les "frères" ne manquent pas, en prison. En attendant, il est serein. Le combattant raté, tant de fois éconduit, a enfin trouvé sa place. "Je ne veux pas sortir de prison, j'y suis bien, avait-il confié à son juge d'instruction en 2011. J'apprends sur ma religion. Si je sortais aujourd'hui, je me sentirais perdu."
Doan Bui et Olivier Toscer - Le Nouvel Observateur