Qui n'a pas été ému par la COMEDIE HUMAINE est selon mes critères bien personnels, une personne qui ne peut pas comprendre le XIXème siècle et où tout ce que nous vivons aujourd'hui bien que jouissant de moyens technologiques avancés.
Le passage des "Illusions perdues" de BALZAC fait crier le lecteur. Du moins c'est ainsi que je réagis moi-même alors que je me perdais dans cette "comédie humaine" n'arrivant pas à décrocher et m'enfonçant toujours plus dans cette société dépeinte jusqu'à la lie par le génial Honoré.
Jugez plutôt :
Dans cet extrait des Illusions perdues, le journaliste Étienne Lousteau donne une leçon au jeune Lucien de Rubempré auquel il demande de rédiger un article sur un livre qui vient de paraitre.
« Voici un exemplaire du livre de Nathan que Dauriat vient de me donner, la seconde édition paraît demain ; relis cet ouvrage et broche1 un article qui le démolisse. [...]
– Mais que peut-on dire contre ce livre ? Il est beau, s’écria Lucien.
– Ha ! Ça, mon cher, apprends ton métier, dit en riant Lousteau. Le livre, fût-il un chef d’œuvre, doit devenir sous ta plume une stupide niaiserie, une œuvre dangereuse et malsaine.
– Mais comment ?
– Tu changeras les beautés en défauts.
– Je suis incapable d’un pareil tour de force.
– Mon cher, un journaliste est un acrobate, il faut t’habituer aux inconvénients de l’état. Tiens, je suis bon enfant, moi ! Voici la manière de procéder en semblable occurrence. Attention, mon petit ! Tu commenceras par trouver l’œuvre belle, et tu peux t’amuser à écrire alors ce que tu en penses. Le public se dira : Ce critique est sans jalousie, il sera sans doute impartial. Dès lors le public tiendra ta critique pour consciencieuse. Après avoir conquis l’estime de ton lecteur, tu regretteras d’avoir à blâmer. le système dans lequel de semblables livres vont faire entrer la littérature française. [...] »
Lucien fut stupéfait en entendant parler Lousteau : à la parole du journaliste, il lui tombait des écailles des yeux, il découvrait des vérités littéraires qu’il n’avait même pas soupçonnées.
La cruelle leçon d’Étienne ouvrait des cases dans l’imagination de Lucien qui comprit admirablement ce métier.
Le non moins génial GUY DE MAUPASSANT dans son célèbre BEL AMI s'emploie à nous faire comprendre comment on fait l'opinion et surtout comment ce 4ème pouvoir allait devenir le 1er en moins d'un demi-siècle.
Le roman réaliste Bel-Ami raconte l’ascension sociale de Georges Duroy, jeune ambitieux sans scrupule, à Paris. Dans cet extrait, M. Walter, directeur du journal La Vie Française, décide de le nommer chef de la rubrique « Les Échos ».
La Vie Française était avant tout un journal d’argent, le patron étant un homme d’argent à qui la presse et la députation1 avaient servi de leviers. Se faisant de la bonhomie une arme, il avait toujours manœuvré sous un masque souriant de brave homme, mais il n’employait à ses besognes, quelles qu’elles fussent, que des gens qu’il avait tâtés, éprouvés, flairés, qu’il sentait retors, audacieux et souples. Duroy, nommé chef des Échos, lui semblait un garçon précieux. [...]
C’est par eux [les Échos] qu’on lance les nouvelles, qu’on fait courir les bruits, qu’on agit sur le public et sur la rente. Entre deux soirées mondaines, il faut savoir glisser, sans avoir l’air de rien, la chose importante, plutôt insinuée que dite. Il faut, par des sous-entendus, laisser deviner ce qu’on veut, démentir de telle sorte que la rumeur s’affirme, ou affirmer de telle manière que personne ne croie au fait annoncé. Il faut que, dans les Échos, chacun trouve, chaque jour, une ligne au moins qui l’intéresse, afin que tout le monde les lise. [...]
L’homme qui les dirige et qui commande au bataillon des reporters doit être toujours en éveil, et toujours en garde, méfiant, prévoyant, rusé, alerte et souple, armé de toutes les astuces et doué d’un flair infaillible pour découvrir la nouvelle fausse du premier coup d’œil, pour juger ce qui est bon à dire et bon à celer, pour deviner ce qui portera sur le public ; et il doit savoir le présenter de telle façon que l’effet en soit multiplié.
Mon analyse de ces morceaux de textes serait insipide voire inutile car tout est dit.
Toutefois, demandons-nous comment ces deux immenses écrivains qui font encore notre régal dans la langue, le vocabulaire et bien sûr ce qu'ils dénoncent au travers de leurs personnages sont si pertinents autant hier qu'aujourd'hui.
Demandons-nous surtout si nos enfants auront la chance de lire et d'étudier l'incroyable littérature qui est la nôtre.
J'ai avalé ces romans et goûté chaque mot comme si j'étais invitée dans des restaurants de grande gastronomie.
SAVOURER et CELEBRER ces pauses littéraires qui vous transportent dans un ailleurs tout en vous révélant qu'au fond, le liant, la sauce est la dénonciation du système qui lui n'a absolument pas changé.
Le journalisme opportuniste, l'éthique inexistante et l'épuisant égocentrisme de ces gens qui font l'opinion sont toujours présents.
C'est cela qui met tout le monde en colère et pire encore, oser le dire sur ces nouveaux supports médiatiques c'est s'exposer à la vindicte de gens incultes et pire encore, totalement endoctrinés.
Si mon libre-arbitre demeure le même aujourd'hui c'est grâce à ces géants de la littérature qui m'ont autant régalé, passionné et m'ont fait oublié que je prenais un train de banlieue pour me rendre à Paris.
J'étais avec Lucien de Rubempré, Julien Soral, la cousine Bette ou que sais-je encore.
Un GRAND est celui qui vous fait oublier qui vous êtes et où vous êtes et non ces sempiternelles conneries pseudo-littéraires où on déballe sa vie de merde pour appâter le chaland.
Le journalisme et la littérature tout comme l'art en général ne sont plus qu'affaires de gros sous, de rentabilité, de parts de marchés et d'audience.
L'art est donc mort.