"Rappelons ici que douze enfants ont été considérés victimes de viols lors du procès de Paris et que, depuis, certains des acquittés ont été de nouveau mis en cause pour des affaires similaires, ce dont la presse a bien peu parlé."
Revenons à Rennes, mai 2015.
Le mis en cause, jeune adulte, tenait à peine debout vu son état de délabrement physique et avait, rien que pour lui, sept avocats et pas des moindres. Nous pourrions nous demander ici qui a payé ces ténors du barreau aux émoluments conséquents pendant un procès pénal qui a duré plusieurs semaines, et pour quelles raisons ils étaient si nombreux, si ce jeune homme ne représentait pas un enjeu qui le dépasse, alors que la majorité des mis en cause n'ont le droit qu'à un unique avocat commis d'office.
Là il ne "bénéficie" pas du jeune avocat commis d'office et qui fait de son mieux avec son expérience limitée mais il a le droit à sept "pointures" des prétoires, rien que pour lui alors qu'il est présenté sans revenu fixe et que tout citoyen "classique" n'a pas la possibilité d'avoir plusieurs avocats réglés par le contribuable....
En mai 2015 je suis donc convoquée par le Tribunal de Grande Instance, comme témoin, par les parties civiles - ou, plus précisément, comme « expert-sachant » pour expliquer aux jurés ce qu’est la mémoire traumatique et pourquoi des enfants victimes ne peuvent pas témoigner de façon linéaire, en raison des reviviscences traumatiques. Près de trois heures face à un jury et des magistrats attentifs, sans avoir la moindre note, pour expliquer toute cette complexité clinique.
À mon arrivée, j’avais eu le droit (en haut des marches du tribunal) aux sept avocats du mis en cause, en robe noire, faisant, tels des Maoris des prétoires, une sorte de Haka pour m’empêcher de passer. Il avait fallu l’intervention de la greffière pour que je puisse atteindre la salle des témoins, non sans essuyer des propos graveleux de ces hommes qui s’imaginent que leur robe noire leur donne tous les droits.
Pendant mes trois heures de déposition, si la salle, les jurés et les magistrats ont été attentifs, ces sept avocats n’ont pas arrêté de tenter de me déstabiliser : propos sexistes, diffamatoires, insultes. Ils ne cesseront pas de piailler, tels des poulets dans une basse-cour, dans un mépris total de la professionnelle que je suis, des jurés, des magistrats et des parties civiles. Ils n’écoutent rien et ne sont mobilisés que pour m’empêcher de témoigner. À la fin de mon exposé, je réponds, comme cela est d’habitude, aux questions des magistrats puis des jurés avant que n’entrent en scène les avocats des parties civiles puis du mis en cause.
Le premier à se remonter les manches, au sens propre comme au figuré, est Maître Dupond-Moretti qui vient se planter juste en face de moi, me faisant bénéficier de son haleine putride et de ses postillons. Il s'agite, éructe, se fâche, brasse de l’air, devient tout rouge, transpire à grosses gouttes, a les yeux qui sortent des orbites, trépigne.
Il présente une authenticité factice qui crée une confusion inévitable face à ceux sommés de l’écouter. Il impressionne mais, surtout, terrorise son auditoire car il sait qu’il n’y a rien de plus efficace que la terreur pour créer la crainte, le doute et obtenir ainsi la soumission du public à sa cause. Il tente donc comme à son habitude de déstabiliser.
Il jubile, jouit même de s’écouter parler et il s’enivre de ses propos haineux sans même réaliser que je le regarde calmement et que la salle n’est pas dupe de son numéro de triste clown.
Il ment de façon éhontée, interpelle les jurés en leur affirmant de façon péremptoire que j’aurais dit "que le jugement de la Cour d’Appel de Paris était une imposture", lors d’une émission télévisée. Il me dénigre, m'insulte, me traite de « fausse psychologue », tente par tous les moyens de me faire réagir mais je reste sereine, impassible, essayant juste d’éviter les éclats de ses postillons.
J’ai, en face de moi, un numéro de guignol pathétique avec l’impression, comme dans les dessins animés, d’avoir une sorte de taureau déchaîné, baveux de haine mais, au final, sans le moindre argument. Il ne sait plus qu’invectiver, sûr d’être adoubé par le public. Mais il se trompe. Tout ceci n’est que du théâtre car, derrière ses propos, c’est le vide sidéral.
Je réponds calmement aux jurés (à qui depuis bientôt trois heures j'explique ce que sont en particulier les stratégies perverses qui conduisent à manipuler les révélations d’enfants pour protéger des pédocriminels) que, grâce au talent de "Maître Dupond-Moretti", nous venons d’en avoir un remarquable exemple.
Car il a sorti un mot prononcé lors d’une émission réalisée sur Canal + avant le procès, où j’avais dit que « prétendre qu’il n’y avait pas eu d’enfants-victimes à Outreau, était une imposture car 12 enfants avaient été reconnus victimes » et cet avocat me fait dire que « le jugement de Paris était une imposture » : instrumentalisation et manipulation pitoyables de la réalité mais affirmées avec un tel aplomb et une telle rage qu’elles avaient pour but de sidérer la Cour mais également le témoin que j’étais.
« Acquitte à tort » refuse le débat. Il ne supporte pas qu’on lui tienne tête et il est tellement habitué aux effets de frayeur qu’il impose à ses interlocuteurs, qu’il est très vite déstabilisé s’il a face à lui quelqu’un qui argumente sereinement.
Au lieu de mettre son talent oratoire et son intelligence au service d’une élaboration réflexive, il court-circuite tout échange à grand renfort d’accusations, d’insultes et de menaces.
Dès qu’il est face à des avis contradictoires, il lance des termes qui visent à sidérer et à interdire tout échange : ceux qui prêtent attention aux enfants ne sont donc que des négationnistes, des révisionnistes ou des extrémistes. Lui seul détient la vérité. Il se comporte comme un prédateur prêt à tomber sur sa proie qu’il n’hésite pas à massacrer comme il l’a fait au cours des différents procès pour les enfants-victimes et les témoins.
Sauf que, loin de m’énerver comme il devait s’y attendre, je lui réponds très calmement, démonte ses mensonges et même le remercie d’avoir illustré si formidablement bien ce qu’était la rhétorique perverse.
La salle est hilare, les jurés et mêmes certains des magistrats ont du mal à contenir le fou rire général.
Akitator, furieux, jette alors par terre tout un dossier qu’il avait constitué à mon sujet et il se trouve rappelé à l’ordre par le Président des Assises, quand il s’approche de moi pour me menacer.
À la sortie du tribunal, un des magistrats me dit: « C’était remarquable. Quel courage ! Merci : c’est la première fois que l’on voit quelqu’un mettre à terre Dupond-Moretti. L’ogre des prétoires s’est fait dévorer tout cru par une petite souris. Il a été humilié mais il va vous le faire payer très cher, soyez forte. J’espère pour vous que vous avez une bonne assurance-vie. »
Formidable !… Je croyais que nous étions en France, pays démocratique des Droits de l’Homme… Erreur.
Étonnement, la presse ne fait aucun retour de ce que certains ont considéré comme une grande première, Maître Dupond-Moretti remis à sa place et pris à son propre piège… Et pour cause car le responsable des journalistes présents sur place n’est autre que son grand ami du Figaro, Eric Durand-Soufflant (co-auteur de plusieurs de ses ouvrages)... qui, lui, va s’évertuer pendant plus d’un mois d’enquête à charge à mon sujet, à essayer de trouver des éléments pour laver l’affront fait à son complice, pour au final en inventer... et sortir un papier diffamatoire, indigne d’une personne se prétendant journaliste car saturé de mensonges et de vérités volontairement tronquées. Et, comme par hasard, ce "papier" qui devrait être depuis cinq ans aux oubliettes des documents des réseaux informatiques, ressort régulièrement en première ligne car il ne fait pas bon s’opposer à Akitator.
Maître Dupond-Moretti avait, lors des procès précédents comme à l’occasion de celui-ci, déjà méprisé les experts, insulté et dénigré les parties-civiles sans la moindre humanité. C’est sa marque de fabrique.
À Paris, il avait utilisé des qualificatifs et des références qu’il détournait intentionnellement de leur contexte pour servir la cause des mis-en-cause et disqualifier les parties civiles : les enfants-victimes ne sont pour lui que des « menteurs »; le terme de « rafle » est utilisé pour décrire la prise en charge des enfants victimes par l’Aide Sociale à l’Enfance; le juge d’instruction est qualifié « d’Eichmann »; les professionnels de l’enfance le sont de « militants », les personnes qui s’interrogent sur l’attitude des mis-en-cause, sont qualifiés de « négationnistes ». Puis, il transforme les couloirs de la Cour d’Appel en salle de théâtre et annonce, avant même le délibéré du jury, l’acquittement général des mis en cause. Tour de passe-passe remarquable qui témoignait d’un mépris total pour la justice, d’un don assuré, pour le stand-up. Et c’est ce même avocat, devenu showman des prétoires qui est désigné Garde des Sceaux aujourd’hui ? de qui se moque-t-on ?
La fonction de la justice n'est-elle pas de protéger les plus vulnérables ? Que penser de ce qui apparaît comme une fonction perverse de cette nomination visant à inverser les valeurs puisqu'elle conduit à nommer celui qui a si souvent choisi d'incarner, justement, le combat contre les valeurs de la justice, par sa prédilection à défendre les accusés et non les plus vulnérables mais, surtout, par son attitude systématique visant à humilier les victimes lors des procès ?
Comment un Président de la République peut-il nommer une personne connue pour son mépris des magistrats et autres professionnels, pour sa violence à l’égard des parties civiles, pour ses menaces et son dénigrement des experts ? C’est un déni total de la justice, une marque de mépris absolu pour toutes les victimes qui se sont fait massacrer par le fiel de cet avocat.
Lors de la dernière allocution télévisée du Président de ce qui s’appelle encore notre République, il a été dit qu’il fallait prendre soin de la jeunesse française. Mais aucun ministre n’a été nommé spécifiquement pour la jeunesse, excepté le ministre habituel de l’Education nationale : aucun pour la protection de l’enfance et des personnes vulnérables, personne.
Tout individu, même le pire criminel, a bien évidemment le droit d'être défendu. Mais un avocat de la défense peut le faire dans le respect des parties civiles et sans les humilier.
Ce n'est pas le cas d'Akitator qui doit sa brillante carrière bien plus à son appétence à être avocat de mis en cause que de victimes. Il n'est pas le premier ni le seul à faire ce choix, le problème n'est pas là mais dans son attitude à l'égard des parties civiles, des victimes, des témoins, des experts et des magistrats.
Car lors des procès d'Assises où il est avocat de la défense, il est bien loin des propos respectueux et mesurés que peuvent tenir ses collègues face à des victimes. Il est prêt à tout sans le moindre respect d'humanité pour les victimes ou pour les intervenants à qui il s'adresse et qui représentent un danger pour sa défense. Il existe pourtant un code de déontologie chez les avocats, qui pose certaines limites très régulièrement dépassées par Akitator.
La nomination en tant que Garde de Sceaux d’une personne aussi clivante qui, par son attitude habituelle lors des procès où il défend des mis-en-cause, a montré combien il peut incarner le mépris le plus total de la loi et de ceux qui devraient être protégés par la loi, est donc un message des plus négatifs adressés à la jeunesse et à tous ceux qui croyaient encore à la justice.
Comme de très nombreux professionnels de la protection de l'enfance, je pense que cette nomination est une honte pour un pays qui se dit celui des Droits de l'Homme.
« Entre la honte et l’honneur, il n’y a de différent que la dernière syllabe » (Henri Jeanson).
Hélène ROMANO
Dr en psychopathologie-Habilitée à Diriger les Recherches
Dr en droit privé et Sciences criminelles"