UN PEU D'HISTOIRE
Publié: Février 1st, 2018, 12:23 pm
ALBERT MEMMI DANS "JUIFS ET ARABES" raconte:
« La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes, c’est un mythe ! La vérité … est que nous étions d’abord une minorité dans un milieu hostile. Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant, dans les récits de mon père, de mes grands-parents, de mes tantes et oncles, la cohabitation avec les Arabes n’était pas seulement malaisée, elle était pleine de menaces, périodiquement mises à exécution.
« Car sur la période qui a précédé la colonisation, la mémoire collective des juifs de Tunisie ne laisse aucun doute. Il suffit de reprendre les quelques récits, les quelques contes qui en restent : c’est une sombre histoire. Les communautés juives vivaient dans les ténèbres de l’histoire, l’arbitraire et la peur, sous des monarques tout-puissants, dont les décisions ne pouvaient être abolie ni même discutées.
Tout le monde, direz vous, était soumis à ces monarques, sultans, beys ou deys.
Oui, mais les juifs n’étaient pas seulement livrés au monarque, mais à l’homme de la rue. Mon grand-père portait encore des signes vestimentaires distinctifs, et il vivait à une époque où tout passant juif était susceptible de recevoir des coups sur la tête de tout musulman qu’il rencontrait. Cet aimable rituel avait même un nom : la chtaka, et comportait une formule sacramentelle, que j’ai oubliée. Un arabisant français m’a objecté, lors d’une réunion » En pays d’islam les chrétiens n’étaient pas mieux lotis ». C’est vrai, et alors ? C’est un argument à double tranchant : il signifie en somme que personne, aucun minoritaire, ne vivait en paix et dans la dignité dans un pays à majorité arabe ! »
» Jamais, je dis bien jamais – à part peut-être deux ou trois époques très circonstancielles, comme la période andalouse et encore – les juifs n’ont vécu en pays arabes autrement que comme des gens diminués, exposés et périodiquement assommés, massacrés, pour qu’ils se souviennent bien de leur condition. »
« Sous la colonisation donc, la vie des juifs acquiert un certain degré de sécurité, même pour les classes pauvres (…) Ceux là toutefois, restaient des citoyens de seconde zone, soumis de temps en temps à une explosion de colère populaire, que les colonisateurs (…) ne contenaient pas toujours à temps, par indifférence ou par tactique. J’ai vécu les alertes du ghetto, les portes et les fenêtres qui fermaient, mon père qui arrivait en courant après avoir verrouillé son magasin en hâte parce que des rumeurs sur l’imminence d’un pogrom s’étaient répandues. »
Il ajoute :
» Après l’indépendance en tout cas la bourgeoisie, une partie notable de la population juive, ont cru qu’elles pouvaient collaborer avec les autorités nouvelles, qu’il était possible de s’entendre avec la population tunisienne.
Nous étions des citoyens tunisiens et nous avions décidé de « jouer le jeu ».
Mais qu’ont fait les Tunisiens ? Tout comme les marocains et les algériens, ils ont liquidé – avec intelligence et souplesse – leurs communautés juives. Ils ne se sont pas livrés à des brutalités ouvertes comme d’autres pays arabes, (…) mais ils ont étranglé économiquement la population juive.
Pour les commerçants c’était facile, il suffisait de ne pas renouveler les patentes, de refuser les licences d’importation, en même temps on avantageait leurs concurrents musulmans. Dans l’administration, ce n’était pas plus compliqué : on n’engageait pas de juifs; ou on mettait les anciens agents dans des difficultés linguistiques insurmontables que l’on n’imposait guère aux musulmans.
De temps en temps, on envoyait en prison un ingénieur, ou un grand commis, sur des accusations mystérieuses, kafkaiennes, qui affolaient tous les autres.
En 1940, le grand vizir marocain El Mokri, explique au ministre des affaires étrangères français : Avant le protectorat, les juifs mettaient une vingtaine d’années pour faire une grosse fortune ; ils en jouissaient dix ans et à ce moment là une petite révolution intervenait qui jetait leur fortune par terre. Les juifs recommençaient et s’enrichissaient à nouveau pendant trente ans pour aboutir finalement à la confiscation de leurs biens excessifs. Maintenant que le protectorat existe, nous craignons que ce rythme trentenaire soit interrompu. Le protectorat dure depuis vingt-huit ans. Il nous reste donc deux ans pour confisquer la fortune des israélites suivant la règle séculaire qui me parait très sage.
« La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes, c’est un mythe ! La vérité … est que nous étions d’abord une minorité dans un milieu hostile. Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant, dans les récits de mon père, de mes grands-parents, de mes tantes et oncles, la cohabitation avec les Arabes n’était pas seulement malaisée, elle était pleine de menaces, périodiquement mises à exécution.
Il faut tout de même rapporter ce fait lourd de signification : la situation des juifs pendant la colonisation était plus sûre, parce que plus légalisée. »
« Car sur la période qui a précédé la colonisation, la mémoire collective des juifs de Tunisie ne laisse aucun doute. Il suffit de reprendre les quelques récits, les quelques contes qui en restent : c’est une sombre histoire. Les communautés juives vivaient dans les ténèbres de l’histoire, l’arbitraire et la peur, sous des monarques tout-puissants, dont les décisions ne pouvaient être abolie ni même discutées.
Tout le monde, direz vous, était soumis à ces monarques, sultans, beys ou deys.
Oui, mais les juifs n’étaient pas seulement livrés au monarque, mais à l’homme de la rue. Mon grand-père portait encore des signes vestimentaires distinctifs, et il vivait à une époque où tout passant juif était susceptible de recevoir des coups sur la tête de tout musulman qu’il rencontrait. Cet aimable rituel avait même un nom : la chtaka, et comportait une formule sacramentelle, que j’ai oubliée. Un arabisant français m’a objecté, lors d’une réunion » En pays d’islam les chrétiens n’étaient pas mieux lotis ». C’est vrai, et alors ? C’est un argument à double tranchant : il signifie en somme que personne, aucun minoritaire, ne vivait en paix et dans la dignité dans un pays à majorité arabe ! »
» Jamais, je dis bien jamais – à part peut-être deux ou trois époques très circonstancielles, comme la période andalouse et encore – les juifs n’ont vécu en pays arabes autrement que comme des gens diminués, exposés et périodiquement assommés, massacrés, pour qu’ils se souviennent bien de leur condition. »
« Sous la colonisation donc, la vie des juifs acquiert un certain degré de sécurité, même pour les classes pauvres (…) Ceux là toutefois, restaient des citoyens de seconde zone, soumis de temps en temps à une explosion de colère populaire, que les colonisateurs (…) ne contenaient pas toujours à temps, par indifférence ou par tactique. J’ai vécu les alertes du ghetto, les portes et les fenêtres qui fermaient, mon père qui arrivait en courant après avoir verrouillé son magasin en hâte parce que des rumeurs sur l’imminence d’un pogrom s’étaient répandues. »
Il ajoute :
» Après l’indépendance en tout cas la bourgeoisie, une partie notable de la population juive, ont cru qu’elles pouvaient collaborer avec les autorités nouvelles, qu’il était possible de s’entendre avec la population tunisienne.
Nous étions des citoyens tunisiens et nous avions décidé de « jouer le jeu ».
Mais qu’ont fait les Tunisiens ? Tout comme les marocains et les algériens, ils ont liquidé – avec intelligence et souplesse – leurs communautés juives. Ils ne se sont pas livrés à des brutalités ouvertes comme d’autres pays arabes, (…) mais ils ont étranglé économiquement la population juive.
Pour les commerçants c’était facile, il suffisait de ne pas renouveler les patentes, de refuser les licences d’importation, en même temps on avantageait leurs concurrents musulmans. Dans l’administration, ce n’était pas plus compliqué : on n’engageait pas de juifs; ou on mettait les anciens agents dans des difficultés linguistiques insurmontables que l’on n’imposait guère aux musulmans.
De temps en temps, on envoyait en prison un ingénieur, ou un grand commis, sur des accusations mystérieuses, kafkaiennes, qui affolaient tous les autres.
Sans compter, évidemment, le rôle joué par la proximité relative du conflit israélo-arabe : à chaque crise, à chaque évènement un peu important, la populace déferlait, brûlait les magasins juifs; cela c’est passé encore pendant la guerre du Kippur. Bourguiba n’a probablement jamais été hostile aux juifs ; mais il y avait toujours ce fameux « retard » qui faisait que la police n’arrivait que lorsque les magasins avaient été pillés et brûlés. »
En 1940, le grand vizir marocain El Mokri, explique au ministre des affaires étrangères français : Avant le protectorat, les juifs mettaient une vingtaine d’années pour faire une grosse fortune ; ils en jouissaient dix ans et à ce moment là une petite révolution intervenait qui jetait leur fortune par terre. Les juifs recommençaient et s’enrichissaient à nouveau pendant trente ans pour aboutir finalement à la confiscation de leurs biens excessifs. Maintenant que le protectorat existe, nous craignons que ce rythme trentenaire soit interrompu. Le protectorat dure depuis vingt-huit ans. Il nous reste donc deux ans pour confisquer la fortune des israélites suivant la règle séculaire qui me parait très sage.