L'IRAN EN EXTRÊME DIFFICULTE
Publié: Janvier 7th, 2018, 8:27 pm
Edward Luttwak : « La faillite de l'Iran est inévitable »
Pour Edward Luttwak, historien et ancien membre du Conseil de sécurité de la présidence Reagan, les données économiques condamnent l'empire des mollahs
Le Point.fr : Les manifestations récentes sont-elles plus graves pour le régime que celles de 2009 ?
Edward Luttwak : Je ne sais si les manifestations de ces derniers jours vont s'étendre dans le pays. Je ne sais s'il s'agit des prémices d'une deuxième révolution. Mais ce qui est sûr, c'est que les chiffres ne plaident pas en faveur de l'Iran et que la faillite du pays est inévitable. Ronald Reagan exaspéra l'élite américaine et effraya les leaders européens en refusant la coexistence pacifique avec l'Union soviétique, mais il vécut assez longtemps pour voir celle-ci décliner et s'effondrer. Il y a une chance raisonnable pour que Donald Trump, qui a pris le contre-pied d'Obama et refuse de coexister avec l'empire islamique iranien, ait aussi la satisfaction de voir la chute du régime des ayatollahs.
Sur quoi vous basez-vous pour dire que le régime est ainsi condamné ?
Avec 80 millions d'habitants et des ressources pétrolières qui représentent 80 % de ses exportations, l'Iran a besoin de vendre 25 millions de barils-jour pour faire vivre son économie. Elle en exporte à peine 2,5 millions quotidiennement. Ce qui suffirait amplement à un émirat comme Abu Dhabi est une manne bien maigre pour un pays cent fois plus peuplé. Conséquence : avec leurs exportations bridées, les Iraniens n'atteignent même pas 6 000 dollars par tête, ce qui est le revenu moyen des habitants du Botswana.
C'est une comparaison bizarre. L'Iran n'a pas grand-chose à voir avec le Botswana...
La différence essentielle est qu'il ne viendrait pas à l'idée des gouvernants de ce pays – qui n'est pas un des plus pauvres d'Afrique – de consacrer l'essentiel de leurs ressources à un programme nucléaire ambitieux, de préférer au développement économique la fabrication ou l'achat d'armes de tous calibres et de dépenser des fortunes à la mise au point de missiles balistiques. Sans compter que les citoyens du Botswana accepteraient difficilement de participer à des aventures militaires dans des pays étrangers pour soutenir un dictateur sans scrupule, ou pire encore de subventionner une organisation terroriste, comme le Hezbollah, dont le trafic de drogue et les extorsions de fond suffisent déjà à faire vivre des dizaines de milliers de miliciens.
Les manifestants ne protestaient pas seulement contre le choix des ayatollahs de privilégier leur puissance militaire..
En effet, car à côté de cette gabegie d'armement, l'Iran souffre d'un autre mal endémique : la corruption.
Akbar Hashemi Rafsanjani, décédé l'année dernière, et qui fut président de 89 à 97, symbolise ce cancer qui ronge la classe dirigeante iranienne. Sa montée en puissance dans les allées du pouvoir et jusqu'au poste suprême s'est accompagnée du rachat systématique de toutes les plantations de pistache de la région dont il était originaire et dont il tirait d'ailleurs son nom, le Rafsanjan. Pas besoin de s'interroger sur la provenance de l'argent qui lui a permis de constituer ce magnifique patrimoine terrien. Un atout d'autant plus important que la pistache est, après le pétrole, la deuxième source de bénéfice à l'exportation.
Si le guide suprême Ali Hosseini Khamenei n'est pas lui-même l'objet de soupçons, ses enfants ont en revanche largement profité de sa condition quasiment intouchable. Ainsi on estime la fortune de son second fils, Mojtaba, à deux milliards de dollars. Le troisième fils, Massoud, plus modeste, ne pèse lui que 500 millions. Quant à ses deux filles, Bushra et Huda, elles ont tout de même reçu chacune 100 millions en dot.
Les religieux tiennent-ils encore aujourd'hui les leviers de commande économiques ?
L'essentiel de l'économie iranienne est administré par des fondations islamiques, les « bonyads » censées veiller aux intérêts des veuves de la guerre Iran-Irak. Leur personnel est composé essentiellement de religieux. Or ceux-ci reçoivent pour leur activité une part des bénéfices largement supérieure aux subsides versés aux veuves de guerre. La plus importante de ces fondations, la « Mostazafan Bonyad » gère ainsi 350 sociétés dans des domaines aussi divers que le tourisme, le commerce ou l'agriculture. Elle emploie 200 000 personnes. Naturellement, ses cadres sont tous des religieux grassement payés.
Les manifestants ont d'ailleurs fréquemment conspué les religieux...
Eux, mais aussi et surtout les pasdarans. Ces gardiens de la Révolution qui ont coûté au pays bien plus que les dizaines de milliers de religieux qui vivent sur la bête. Car les vrais responsables de la misère du pays, ce sont eux. Ils ont provoqué les sanctions économiques internationales destinées à faire pression sur Téhéran pour que cesse la course aux armements nucléaires qu'ils avaient initiée. Ils ont poussé le pouvoir à des aventures extérieures dont les manifestants ont bien compris les milliers de milliards de dollars qu'elles avaient coûtés à l'Iran. Ce n'est pas par hasard que le principal slogan de leur mouvement a été « plus de Syrie, plus de Gaza ».
Quoi qu'il arrive maintenant et même si la réaction du régime est une répression brutale, les chiffres sont têtus pour la république des mollahs comme ils l'ont été autrefois pour l'empire soviétique. Cela ne pourra pas durer longtemps.
Pour Edward Luttwak, historien et ancien membre du Conseil de sécurité de la présidence Reagan, les données économiques condamnent l'empire des mollahs
Le Point.fr : Les manifestations récentes sont-elles plus graves pour le régime que celles de 2009 ?
Edward Luttwak : Je ne sais si les manifestations de ces derniers jours vont s'étendre dans le pays. Je ne sais s'il s'agit des prémices d'une deuxième révolution. Mais ce qui est sûr, c'est que les chiffres ne plaident pas en faveur de l'Iran et que la faillite du pays est inévitable. Ronald Reagan exaspéra l'élite américaine et effraya les leaders européens en refusant la coexistence pacifique avec l'Union soviétique, mais il vécut assez longtemps pour voir celle-ci décliner et s'effondrer. Il y a une chance raisonnable pour que Donald Trump, qui a pris le contre-pied d'Obama et refuse de coexister avec l'empire islamique iranien, ait aussi la satisfaction de voir la chute du régime des ayatollahs.
Sur quoi vous basez-vous pour dire que le régime est ainsi condamné ?
Avec 80 millions d'habitants et des ressources pétrolières qui représentent 80 % de ses exportations, l'Iran a besoin de vendre 25 millions de barils-jour pour faire vivre son économie. Elle en exporte à peine 2,5 millions quotidiennement. Ce qui suffirait amplement à un émirat comme Abu Dhabi est une manne bien maigre pour un pays cent fois plus peuplé. Conséquence : avec leurs exportations bridées, les Iraniens n'atteignent même pas 6 000 dollars par tête, ce qui est le revenu moyen des habitants du Botswana.
C'est une comparaison bizarre. L'Iran n'a pas grand-chose à voir avec le Botswana...
La différence essentielle est qu'il ne viendrait pas à l'idée des gouvernants de ce pays – qui n'est pas un des plus pauvres d'Afrique – de consacrer l'essentiel de leurs ressources à un programme nucléaire ambitieux, de préférer au développement économique la fabrication ou l'achat d'armes de tous calibres et de dépenser des fortunes à la mise au point de missiles balistiques. Sans compter que les citoyens du Botswana accepteraient difficilement de participer à des aventures militaires dans des pays étrangers pour soutenir un dictateur sans scrupule, ou pire encore de subventionner une organisation terroriste, comme le Hezbollah, dont le trafic de drogue et les extorsions de fond suffisent déjà à faire vivre des dizaines de milliers de miliciens.
Les manifestants ne protestaient pas seulement contre le choix des ayatollahs de privilégier leur puissance militaire..
En effet, car à côté de cette gabegie d'armement, l'Iran souffre d'un autre mal endémique : la corruption.
Akbar Hashemi Rafsanjani, décédé l'année dernière, et qui fut président de 89 à 97, symbolise ce cancer qui ronge la classe dirigeante iranienne. Sa montée en puissance dans les allées du pouvoir et jusqu'au poste suprême s'est accompagnée du rachat systématique de toutes les plantations de pistache de la région dont il était originaire et dont il tirait d'ailleurs son nom, le Rafsanjan. Pas besoin de s'interroger sur la provenance de l'argent qui lui a permis de constituer ce magnifique patrimoine terrien. Un atout d'autant plus important que la pistache est, après le pétrole, la deuxième source de bénéfice à l'exportation.
Si le guide suprême Ali Hosseini Khamenei n'est pas lui-même l'objet de soupçons, ses enfants ont en revanche largement profité de sa condition quasiment intouchable. Ainsi on estime la fortune de son second fils, Mojtaba, à deux milliards de dollars. Le troisième fils, Massoud, plus modeste, ne pèse lui que 500 millions. Quant à ses deux filles, Bushra et Huda, elles ont tout de même reçu chacune 100 millions en dot.
Les religieux tiennent-ils encore aujourd'hui les leviers de commande économiques ?
L'essentiel de l'économie iranienne est administré par des fondations islamiques, les « bonyads » censées veiller aux intérêts des veuves de la guerre Iran-Irak. Leur personnel est composé essentiellement de religieux. Or ceux-ci reçoivent pour leur activité une part des bénéfices largement supérieure aux subsides versés aux veuves de guerre. La plus importante de ces fondations, la « Mostazafan Bonyad » gère ainsi 350 sociétés dans des domaines aussi divers que le tourisme, le commerce ou l'agriculture. Elle emploie 200 000 personnes. Naturellement, ses cadres sont tous des religieux grassement payés.
Les manifestants ont d'ailleurs fréquemment conspué les religieux...
Eux, mais aussi et surtout les pasdarans. Ces gardiens de la Révolution qui ont coûté au pays bien plus que les dizaines de milliers de religieux qui vivent sur la bête. Car les vrais responsables de la misère du pays, ce sont eux. Ils ont provoqué les sanctions économiques internationales destinées à faire pression sur Téhéran pour que cesse la course aux armements nucléaires qu'ils avaient initiée. Ils ont poussé le pouvoir à des aventures extérieures dont les manifestants ont bien compris les milliers de milliards de dollars qu'elles avaient coûtés à l'Iran. Ce n'est pas par hasard que le principal slogan de leur mouvement a été « plus de Syrie, plus de Gaza ».
Quoi qu'il arrive maintenant et même si la réaction du régime est une répression brutale, les chiffres sont têtus pour la république des mollahs comme ils l'ont été autrefois pour l'empire soviétique. Cela ne pourra pas durer longtemps.