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AMOS YADLIN ANCIEN CHEF DU AMAN - 1 -

MessagePublié: Août 26th, 2011, 12:37 am
par Nina
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Dan Raviv - Monsieur Yadlin, quels sont les succès militaires israéliens dont vous êtes le plus fier ?

Amos Yadlin - Pourquoi se limiter aux succès militaires ? Israël est un miracle tout à la fois culturel, social, économique et moral ! On ne peut résumer notre nation en évoquant ses seules victoires militaires. Des Juifs du monde entier sont venus se rassembler dans ce pays, en provenance d'Asie, d'Europe, d'Australie ou d'Afrique. Ce peuple chassé de sa patrie il y a 2 000 ans, dispersé aux quatre vents, victime de persécutions et de pogroms, massacré par le régime nazi, a réussi à créer un État moderne, indépendant et viable. Notre nation a ressuscité une langue ancienne, celle de la Bible, l'hébreu, qui est aujourd'hui parlée comme le sont le français et l'anglais. La jeune société israélienne est hétérogène et dynamique, même si elle n'est pas exempte de tensions et de conflits. Une grande majorité d'Israéliens sont arrivés de pays sans culture démocratique, comme la Russie ou les pays arabes, mais ils ont bâti une société et des institutions démocratiques qui ont survécu à de nombreuses crises et à de fréquents changements de gouvernement.

Sur un plan plus personnel, je suis fier des réalisations du village de mon enfance. Je suis né et j'ai grandi dans le kibboutz de Hatzerim, dans le désert du Néguev - un kibboutz de pionniers et d'idéalistes qui ont quitté de confortables situations en ville pour établir une société rurale, juste, fondée sur les valeurs d'égalité, de coopération et de travail. Lorsqu'ils ont compris qu'il serait difficile de pérenniser des activités agricoles sur ce sol aride et salé, ces camarades ont décidé de faire évoluer le fonctionnement du kibboutz. Hatzerim a donné naissance à une multinationale, Netafim, pionnière dans le développement et l'utilisation de la micro-irrigation. Ce système permet d'irriguer des récoltes entières avec de petites quantités d'eau tout en prévenant les maladies qui peuvent toucher les plantations. Cette société exporte vers des dizaines de pays et génère des revenus de plusieurs centaines de millions de dollars chaque année pour le kibboutz.
Pour en venir aux faits purement militaires, je suis très fier de l'armée de l'air israélienne, une des meilleures du monde. C'est un « cocktail » fantastique qui rassemble un personnel motivé, des technologies de pointe et des stratégies de premier ordre qui sont à la source des victoires de 1967 et de 1982, mais qui ont permis, aussi, que soient tirés les enseignements des échecs comme celui de 1973. J'ajoute que les frappes israéliennes sur les installations nucléaires de Saddam Hussein ont ouvert les yeux à toute la région sur ce programme clandestin et ouvert la voie à l'intervention américaine contre l'Irak au Koweït en 1991. Cet alliage de renseignements précis et de la capacité opérationnelle de l'armée de l'air est la clé de la sécurité de l'État d'Israël et de sa politique de dissuasion.

D. R. - Quelles sont les réalisations qui, à votre avis, ont le plus contribué à la stabilité du Moyen-Orient ?

A. Y. - Cette capacité de dissuasion que j'évoque est essentielle pour la stabilité de la région ! En 1973, malgré l'effet de surprise et notre recul lors de la première offensive, nous avons fini la guerre en situation victorieuse, sur le territoire même de l'ennemi. En 1982, nous avons abattu 80 appareils syriens et détruit les systèmes de défense anti-aériens de l'armée syrienne situés dans la plaine de la Bekaa, au Liban. Ces deux exploits de l'aviation israélienne ont réduit l'appétence de nos ennemis pour les guerres conventionnelles.
Mais nous avons également remporté trois guerres asymétriques qui nous ont été imposées par des organisations terroristes. Même si nos victoires ne sont pas claires et indiscutables, Israël a réussi à réduire l'influence du terrorisme jusqu'à un niveau qui n'en fait plus une menace stratégique. Nous avons vaincu le terrorisme sanglant que Yasser Arafat a initié en 2000 avec la « deuxième Intifada ». Nous sommes ensuite parvenus, grâce à notre pouvoir de dissuasion, à mettre fin aux actions du Hezbollah, qui n'a pas osé lancer la moindre attaque contre nous depuis 2006. Last but not least : Tsahal a forcé le Hamas à stopper ses tirs de missiles sur les villes israéliennes - des tirs qui sont pratiquement inexistants depuis la bataille de Gaza en 2008-2009.

Notre victoire sur Yasser Arafat est différente de nos autres succès. Nous avons réussi à réduire considérablement la capacité même d'Arafat à nous atteindre. Alors que, contre le Hezbollah et le Hamas, nous avons affecté leur volonté de tirer sur nous. Dissuader une organisation terroriste de passer à l'acte n'est pas chose aisée, mais Israël y est parvenu.

L'efficacité de notre dissuasion peut être mesurée à l'aune de ce que nous avons vécu par le passé. Force est de constater que nous avons ramené le calme dans le nord du pays, en Galilée, comme dans le Sud, dans le Néguev. En revanche, l'efficacité à terme de la dissuasion est beaucoup plus difficile à évaluer : notre politique peut devenir inopérante du jour au lendemain dans la mesure où les moyens opérationnels des organisations terroristes restent intacts.

D. R. - Vous avez dirigé l'Aman (les services de renseignement de l'armée), qui fait partie, avec le Mossad et le Shin Bet, de la communauté du renseignement israélien (1). Pourquoi dit-on que ces services sont parmi les meilleurs au monde ?

A. Y. - Notre force repose entièrement sur les compétences de notre personnel. La recette de l'excellence fait appel à cinq ingrédients :
1) L'État d'Israël donne la priorité à sa communauté du renseignement pour tout ce qui concerne le recrutement des plus intelligents et des plus talentueux jeunes gens et jeunes femmes du pays.
2) La motivation : Israël doit faire face à des menaces gigantesques, et notre peuple sait combien le renseignement est crucial pour endiguer ces menaces.
3) Nous pouvons nous appuyer sur les avancées technologiques de notre pays et sur un état d'esprit tourné vers l'innovation qui nous permet de relever les défis les plus complexes en matière de renseignement.
4) Nous mettons l'accent sur une culture unique : communication libre et verticale, mais aussi esprit d'équipe, transparence et coopération horizontale.
5) Cette culture encourage une remise en cause permanente, des analyses honnêtes, et l'appui à nos agents lorsqu'ils font des erreurs - si ces erreurs ne sont pas volontaires.

D. R. - À la tête de l'Aman, quel fut votre succès le plus spectaculaire ?


A. Y. - Une agence de renseignement lance des opérations secrètes, menées par des combattants anonymes, après des décisions politiques confidentielles. Lorsque vous dirigez une telle organisation, la plupart de vos réalisations demeurent inconnues du public. En revanche, tous vos échecs se retrouvent étalés au grand jour dans la presse avant même d'être examinés par des commissions d'enquête ! Les murs du couloir qui conduit à mon ancien bureau sont ornés des portraits de mes prédécesseurs. Beaucoup d'entre eux n'ont pas terminé leur mandat à la tête de l'organisation. C'est d'ailleurs également le cas de plusieurs chefs du Mossad et du Shin Bet.
Les échecs sont toujours attribués aux services de renseignement, alors que les succès sont monopolisés par les politiques ou les militaires. Bouc émissaire : c'est le rôle traditionnel du renseignement !

J'ai cependant pu mener mon mandat à son terme, et on m'a même demandé de prolonger d'un an. Alors que la situation était particulièrement complexe : nous avons dû faire face à deux guerres - au Liban et à Gaza - tout en collectant des informations sur des programmes nucléaires hostiles. Chaque année, nous devions, en plus, réaliser cinq évaluations complètes des capacités de nos ennemis proches - des analyses précises et parfois courageuses. Voyez-vous, il est toujours facile de prédire un futur sombre et glauque ; car lorsque les prédictions pessimistes ne se réalisent pas, aucune commission d'enquête n'est convoquée. Mais si, à l'inverse, une prévision un peu trop optimiste se révèle erronée, alors aussitôt le chef des services de renseignement le paie de sa tête !

D. R. - Tout de même, quel a été votre plus grand succès ?

A. Y. - Mes cinq années à la tête de l'Aman ont été riches en réalisations de tous ordres. Nous sommes passés d'une agence centrée sur les sujets politiques et stratégiques à une organisation de renseignement tournée vers des objectifs plus élevés, à un niveau opérationnel et tactico-militaire. Il faut bien comprendre que l'Aman gardait encore en mémoire le traumatisme de 1973. Je veux parler, bien entendu, de l'offensive-surprise lancée par l'Égypte et la Syrie. Deux générations sont désormais passées, et il fallait tourner la page. Le directeur de l'agence, comme vous le savez, rend compte directement aux plus hauts responsables israéliens - le premier ministre, le ministre de la Défense, et le chef d'état-major de Tsahal. Or ces personnages demandent naturellement des renseignements stratégiques et politiques. À la fin de mon mandat, cette tendance avait évolué : tous les agents de l'Aman, du bas en haut de la hiérarchie, avaient compris que le combattant qui appuie sur la détente, sur le champ de bataille, est lui aussi un consommateur de renseignement. Et qu'il n'est pas moins important que le premier ministre.
Nous avons par ailleurs effectué une percée dans les technologies de l'information, bien au-delà de la seule collecte de renseignements. Nous sommes désormais capables de mener à bien des opérations dans le cybermonde. Encore une fois, l'Aman n'est pas seulement une agence de renseignement, c'est aussi une unité opérationnelle.
Il faut également noter les progrès significatifs que nous avons réalisés dans des pays et au coeur d'organisations où nous n'étions pas suffisamment actifs jusque-là.


D. R. - D'autres motifs de satisfaction ?


A. Y. - Nous avons transformé la culture de notre organisation. Les différentes branches de l'Aman étaient jusqu'alors des brigades compartimentées. Nous les avons fait évoluer vers une organisation plus intégrée où l'on partage et fusionne l'information.
Enfin, nous avons mis en place un département opérationnel qui prend en charge la liaison avec les autres organisations de notre communauté du renseignement et leur procure - y compris aux combattants - la synthèse d'informations dont elles ont besoin.

D. R. - Y a-t-il des choses que vous regrettez ?


A. Y. - Quels sont les regrets qu'un responsable des services de renseignement pourrait nourrir ? Une évaluation stratégique erronée ? Une cascade d'échecs opérationnels qui risquerait de gêner son pays ? L'exposition de certaines de ses sources ? Rien de tout cela ne s'est produit sous mon mandat. Au contraire, même : nous avons renforcé la sécurité d'Israël et nos analyses se sont révélées exactes dans leur grande majorité, même si nous n'avions pas prévu certaines turbulences provoquées par des foules très agitées.

Il faut bien garder à l'esprit que presque toutes les sources de renseignement, qu'elles soient humaines ou pas, peuvent tôt ou tard faire défaut. Les agences de renseignement sont jugées sur leur capacité à retarder autant qu'elles le peuvent cette faillite de leurs sources, et sur leur capacité à les remplacer.
Ce que je peux vous dire en matière de « regrets » ? Nous ne sommes pas parvenus à prévenir le renforcement du Hezbollah et du Hamas malgré les coups très sévères que nous leur avons portés en 2006 et en 2008-2009. Je regrette aussi que nous n'ayons pas frappé les dirigeants des organisations terroristes au Liban et à Gaza. Et je pense avec douleur à Gilad Shalit (2), qui est aujourd'hui toujours aux mains du Hamas. Ces questions relèvent de décisions qui dépassent la seule activité de renseignement, mais des informations de meilleure qualité nous auraient peut-être permis de prendre, sur ces sujets, des décisions plus performantes.

D. R. - Si vous étiez aujourd'hui en position de conseiller les dirigeants israéliens, à quelles initiatives diplomatiques, politiques et militaires donneriez-vous la priorité ?

A. Y. - Il y a quatre défis principaux à relever : le programme nucléaire iranien ; la résolution du conflit avec les Palestiniens ; la menace balistique ; et la campagne de délégitimation de l'État juif.

Face à l'Iran, Israël n'a pas besoin d'être en première ligne. Une puissance nucléaire iranienne serait menaçante, également, pour les pays arabes et pour l'ensemble du Moyen-Orient. Ce problème est global. Israël doit cependant rester sur ses gardes et tenir compte de cette volonté de Téhéran de développer des armes nucléaires. Nous avons affaire à un régime radical et extrémiste qui appelle à la destruction d'Israël, qui suggère de nous « rayer de la carte ». Peut-être même avec des armes de destruction massive. Cette conjonction est extrêmement dangereuse. Conséquence : nous ne devons écarter aucune option susceptible d'arrêter l'Iran et avons le devoir de nous assurer que nous pouvons mettre en oeuvre ces diverses options.

Deuxième défi : le conflit israélo-palestinien perdure depuis maintenant plus de cent ans. Trouver une solution à ce conflit n'est pas aisé, mais nous devons continuer à nous efforcer d'en découvrir une. C'est d'autant plus difficile que l'Iran et le Hezbollah apportent aux ennemis de la paix de l'argent, des armes, une formation et un support idéologique. Tant que l'Iran conservera une influence significative au Moyen-Orient, il sera difficile de trouver un accord avec les Palestiniens. Il est peu probable, à l'heure actuelle, que nous trouvions un accord à court terme avec l'Autorité palestinienne. Mais même si nous y parvenions, le Hamas - qui a la mainmise sur la bande de Gaza - et les autres factions radicales, tant en Palestine que dans le reste du monde arabe, utiliseront le terrorisme pour détruire cet accord.
Nous n'avons pas pour autant le droit de désespérer. Nous devons affirmer haut et fort que nous sommes prêts à faire les efforts nécessaires pour la paix et que nous sommes prêts à en payer le prix. Les principaux paramètres d'un futur accord sont connus de beaucoup de gens. Le problème est maintenant de franchir la dernière étape, de parcourir le dernier kilomètre. Nous devons établir une confiance qui permettra aux deux parties de prendre des risques. En échange d'éventuelles concessions d'Israël sur les frontières et sur Jérusalem - et de la reconnaissance d'un État palestinien -, il nous faut obtenir un engagement ferme et définitif sur la fin du conflit et sur l'abandon des revendications qui nous sont adressées. Il faut aussi que toute solution à la question des réfugiés arabes s'inscrive dans le nouvel État palestinien. Enfin, il est indispensable que les accords de sécurité qui seront conclus garantissent que le retrait israélien de Cisjordanie ne transformera pas ces territoires en base terroriste susceptible de générer de nouveaux affrontements armés.

Récemment, la stratégie palestinienne a évolué : elle vise à imposer une solution via la communauté internationale, et non plus à relancer les négociations avec Israël. Nous privilégierons toujours des négociations directes, mais nous devons établir une vision commune avec la communauté internationale - le « Quartet » (3) et, en particulier, la présidence des États-Unis - sur les paramètres vitaux pour une paix stable et durable. Les Palestiniens doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas obtenir ce que la communauté internationale essaie de leur donner sans qu'Israël obtienne la fin du conflit et des accords qui garantiront la paix en même temps que sa sécurité.

D. R. - Vous avez évoqué la menace balistique...

A. Y. - Le troisième défi que j'évoquais est, en effet, la menace des missiles balistiques et des roquettes détenues par les factions palestiniennes radicales. Ces organisations ont acquis ou fabriqué de gigantesques quantités de roquettes et de missiles, dont l'objectif ne se limite plus à Kiryat Shmona dans le Nord ou Sderot dans le Sud. Leur objectif est désormais le coeur du territoire israélien, y compris Tel-Aviv. Ces armes ne sont pas très précises mais, justement, ce sont des armes de terreur, destinées à frapper la population civile. Israël se doit de répondre à des attaques de ce type de manière ferme et intimidante.

En évaluant cette menace, nous devons faire la différence entre les roquettes, qui ne visent pas un but précis - et que les organisations terroristes ont déjà utilisées contre des villes israéliennes -, et les missiles, dont la portée et la précision peuvent représenter un danger pour les capacités militaires et stratégiques d'Israël. Lorsque des analystes évoquent 40 000 missiles, ils ne sont pas sérieux. Plusieurs dizaines de milliers de ces armes sont, en fait, des roquettes à courte portée, dépourvues de système de guidage. Mais nous devons néanmoins faire face à plusieurs centaines de missiles à plus longue portée qui pourraient, par exemple, viser Tel-Aviv ou des objectifs stratégiques. Bien que ces armes soient plus dangereuses, nous pensons pouvoir gérer la menace avec des chances de succès non négligeables. De la même manière que pour le terrorisme, l'élimination de cette menace ne sera peut-être pas totale ; mais nous pourrions réduire la force de frappe de ces organisations à une dimension qui n'en ferait plus une menace stratégique.

Face à toutes ces menaces, il n'y a pas de « balle en argent », de solution unique. Mais il est possible d'en venir à bout par une combinaison de plusieurs approches : le missile anti-missile Arrow et le système Iron Dome (4) d'interception de roquettes ; des activités de renseignement pertinentes ; un système d'alerte performant ; des abris pour les populations civiles ; des attaques préemptives ciblées ; et une coopération avec nos alliés pour développer des ripostes à cette menace des missiles. Une politique responsable et de long terme, en Israël, devrait promouvoir tous ces aspects.

D. R. - Le quatrième défi que doit relever Israël ne concerne pas le domaine des armes...

A. Y. - Vous avez raison : il ne s'agit pas d'une menace militaire, mais elle n'en est pas moins dangereuse. Les ennemis d'Israël ont initialement tenté de nous détruire par des actions militaires ; ils n'ont évidemment pas abandonné cet objectif. Mais, comme je l'ai expliqué, nous sommes désormais bien préparés et une telle entreprise est vouée à l'échec. Nos ennemis l'ont compris. C'est pourquoi, ces dernières années, leurs méthodes ont évolué. Ils ont ouvert un nouveau front qui contourne notre puissance militaire. Cette nouvelle guerre vise à détruire la légitimité d'Israël ; à délégitimer le droit des Juifs à avoir leur propre pays ; à diaboliser et à délégitimer la politique israélienne et les méthodes utilisées pour protéger nos citoyens. Cette approche mobilise désormais des activistes dans de nombreux pays. L'influence de cette propagande sur certains Juifs de la diaspora est également préoccupante, d'autant qu'elle touche la jeune génération.
Nous ne faisons pas encore assez pour la défense d'Israël dans cette guerre de l'image, et nous pourrions la perdre. Nous devons l'aborder de la même manière qu'un conflit militaire classique. Notre défense, dans ce domaine, doit être dirigée par une équipe stratégique qualifiée et disposant du budget nécessaire. Un commandant en chef doit être désigné, une salle de commandement mise en place, avec un contact permanent et une circulation de l'information entre Israël et la diaspora. Dans cette guerre, les soldats sont les diplomates, les avocats, les historiens, les experts en relations publiques et tous ceux qui peuvent s'exprimer sur l'éthique et le droit international. Je suis convaincu que les relations d'Israël avec le monde se trouvent aujourd'hui à un carrefour. Et la manière dont les dirigeants israéliens aborderont ce défi déterminera le futur de notre pays. Il est extrêmement urgent de mettre en place une structure adaptée à cette bataille et de reconquérir tout le terrain que nous avons déjà perdu...

D. R. - Vous faisiez partie des pilotes qui ont bombardé le réacteur irakien Osirak, il y a maintenant trente ans. Avez-vous eu conscience que vous avez ainsi contribué à changer le cours de l'Histoire ?

A. Y. - Le raid sur Osirak a effectivement changé le cours de l'Histoire. Pendant des mois et des jours, et même durant le briefing qui a précédé le vol, des doutes ont été émis par les pilotes sur les bénéfices du raid par rapport au risque encouru. La communication est très ouverte, dans l'aviation israélienne, entre les pilotes et le commandement. Lors du briefing final, le chef d'état-major de l'armée et le chef d'état-major de l'aviation ont essayé de nous persuader que la mission avait une grande valeur, et qu'elle permettrait sans doute de retarder le programme nucléaire irakien de trois ou quatre ans. Le risque était donc justifié.
Nous célébrons aujourd'hui le trentième anniversaire de cette mission. Après la mission, l'administration Reagan a imposé un embargo sur Israël et a retardé la troisième livraison de chasseurs F-16. Mais en 1991, notre ancien chef d'état-major a reçu une photo encadrée et dédicacée du secrétaire à la Défense Dick Cheney, qui est plus tard devenu vice-président. Il nous remerciait pour l'attaque sur Bagdad. Lorsque des missiles irakiens ont atteint Israël cette même année, ils ne portaient pas de tête nucléaire - et, effectivement, j'ai pensé en ces instants que nous avions fait l'Histoire. De même, lorsque les États-Unis sont entrés en guerre contre l'Irak en 2003, j'ai évidemment repensé à cette « mission anti-prolifération » historique.

D. R. - Dans d'autres missions secrètes, vous avez peut-être également modifié l'Histoire plus que nous ne l'imaginons. Vous ne pouvez bien entendu pas nous donner de détails, mais avez-vous participé à d'autres opérations similaires ?

A. Y. - Que ce soit en tant que pilote, en tant que commandant ou en tant que membre du petit groupe de personnes qui prennent des décisions essentielles dans le pays, j'ai participé à d'autres opérations, ou je les ai dirigées. Ces opérations, qui sont encore classifiées aujourd'hui, auront-elles la même magnitude historique que le raid d'Osirak ? Nous ne le saurons que dans une, deux, voire trois décennies.