Je viens de lire l’article suivant sur JForum.fr (le portail juif francophone). Il est intitulé ‟L’Iran chiite et l’État islamique sunnite : enjeux et dangers” et signé Michael Segall :
http://www.jforum.fr/forum/internationa ... -islamiqueJe vais me répéter, mais qu’importe ! L’article de Michael Segall me replonge dans l’une de mes principales préoccupations, l’Iran. L’auteur dresse un bilan : les ‟Printemps arabes” n’ont pas donné les belles floraisons (dont celles du jasmin) que les gogos occidentaux, narines dilatées, espéraient humer. Ceux qui me lisent savent que je me suis immédiatement moqué de cette désignation — ‟Printemps arabes”. Et je ne suis pas d’un naturel désabusé, l’enthousiasme est plutôt dans mon caractère. Mon immédiat dédain pour les ‟Printemps arabes” tient à ma défiance envers les sociétés arabes, je dis bien les sociétés arabes et non les Arabes en tant qu’individus. Arturo Pérez-Reverte appelle idiotas profesionales ceux qui ont cru en ces ‟Printemps”, et qui ont invité leurs lecteurs ou auditeurs à les suivre gaiement dans cette croyance. Il n’a pas tort. Je ne tiens pas l’Arabe pour inférieur ou plus mauvais qu’un Chinois, qu’un Caucasien ou qu’un Balte pour ne citer qu’eux. Je partage sans réticence le sentiment de Vladimir Jabotinsky (si décrié par ceux qui ne se sont jamais donné la peine de l’étudier), à savoir que tout individu est roi, que chaque individu est un ‟roi” égal à son prochain. Mais lisez Vladimir Jabotinsky !
Je me demande encore dans quel tripot a été concocté l’expression ‟Printemps arabes”. Elle m’est apparue d’emblée comme une farce, un gag de potaches.
Michael Segall écrit : ‟Aujourd’hui, comme hier, l’Iran et la Turquie se disputent l’hégémonie de la région tout en voulant détruire l’union de la nation arabe”. C’est vrai, mais l’auteur ne dit pas que l’appétit de ces deux anciens empires a été tout naturellement excité pas l’intervention américaine en Irak et annihilation politique et militaire du régime de Saddam Hussein. Que reste-t-il dans un pays arabe lorsque sa structure étatique et, disons, laïque (voir le baasisme) est détruite ? Il reste, il ne reste que l’islam sous sa forme la plus simple, la plus violente. Je n’insisterai pas.
J’ai tenté d’exposer dans un certains nombre d’articles, sur ce blog même, mon iranophilie, une inclinaison qui ne sous-tend aucunement une quelconque sympathie pour le régime issu de la Révolution islamique de 1979, je le répète. Je suis persophile / iranophile et sioniste, ce qui me cause parfois des frayeurs : j’ai alors la sensation de longer un gouffre.
De nombreuses conversations, lectures, voyages m’ont confirmé dans ce qui suit : c’est avec l’Iran qu’il nous faut jouer, sans naïveté bien sûr. L’islam est un danger majeur avec ces mouvances djihadistes qui s’activent de la Syrie et l’Irak à l’Afrique noire ; mais pour commencer à agir et ne pas rester paralysé devant l’énormité de la chose, il faut porter son attention sur les fractures plus ou moins marquées qui parcourent ce monolithe : l’islam est un monolithe en morceaux ; l’islam est un et plusieurs. Principale fracture, l’antagonisme Chiisme / Sunnisme que sous-tend plus ou moins l’antagonisme Perses / Arabes. J’écris plus ou moins car les Arabes chiites sont nombreux, dans le Sud de l’Irak surtout. Ils ne représentent toutefois qu’un très faible pourcentage du monde arabe. A noter également aussi la présence d’une communauté arabe en Iran (communauté majoritairement chiite) qui constitue moins de 3 % de la population du pays. L’Iran est un pays multi-ethnique, on ne le dit pas assez, d’où sa relative fragilité et son angoisse existentielle en tant que pays, un angoisse qui a d’autres explications que j’ai exposées dans un certain nombre d’articles.
Considérer l’islam comme un tout, c’est être à la fois dans le vrai et le faux. On pourrait étendre cette remarque au christianisme avec cette grande fracture Catholiques / Protestants, l’une des crises majeures — et peut-être la crise majeure — au sein du monde chrétien. Je le redis, l’antagonisme endémique entre Perses et Arabes est l’une des clés du futur et nous devons, nous Occidentaux, savoir jouer plus finement en commençant par nous extraire de notre vision à très court terme. Pourquoi sommes-nous si nerveux face aux Iraniens et (généralement) si complaisants face aux Arabes. Miser sur l’ami bête au détriment de l’ennemi intelligent est un bien mauvais choix sur le moyen-long terme, je le dis et le redis. Car enfin, nous nous sommes acoquinés avec les Qataris, les Saoudiens et autres encagés mentaux. Une fois encore, je me place exclusivement à un niveau collectif : les sociétés arabes et non l’Arabe en tant qu’individu.
Je vais probablement choquer nombre de mes lecteurs, à commence par les Juifs d’Israël et de la diaspora. Qu’ils sachent que mon propos n’est pas de les choquer, j’ai mieux à faire. Je m’efforce simplement d’exprimer avec autant d’exactitude que possible des impressions et des intuitions. J’ai depuis longtemps, et de plus en plus, la conviction que l’Iran n’a jamais constitué et ne constitue pas le principal danger pour l’Occident et Israël. On s’effraye à l’idée d’un Iran nucléaire alors que le Pakistan (pays d’un sunnisme radical), pays hautement dangereux et instable, est une puissance nucléaire qui lance des tentacules en Afghanistan et fait face à l’Inde avec laquelle le contentieux territorial au sujet du Cachemire pourrait revenir occuper le devant de la scène. Un seul sous-marin nucléaire américain de la classe Ohio, absolument indétectable, suffirait, avec ses milliers d’Hiroshima a rayer de la carte la moitié des pays de la planète.
On ne comprendra rien à l’Iran si on commence par regarder ce pays comme étant guidé par un groupe d’illuminés qui attendent la venue du douzième Iman — le Mahdî. A ce propos, le système de gouvernement iranien est plutôt complexe et il convient de l’étudier sans parti-pris afin de mieux comprendre ce qui agite ce pays fort complexe. J’estime que nous avons affaire à des dirigeants rationnels qui poussent leurs pions avec circonspection et qui s’avèrent être, reconnaissons-le, d’excellents joueurs, d’où l’inquiétude qui nous étreint. Mais il y a plus. Le peuple iranien n’a pas d’animosité envers le peuple juif. Les déclarations intempestives et les provocations récurrentes du pouvoir iranien ne doivent pas occulter ce fait ; elles relèvent plus de tensions internes au pouvoir que d’une haine partagée par les Iraniens. Et je ne remets pas en question l’angoisse d’Israël que je souhaite aussi solide et armé que possible face à l’Iran et à tous ses ennemis déclarés ou non, présents et à venir. Il n’en va pas de même dans les sociétés arabo-musulmanes : tous les Arabes que j’ai pu interroger au sujet d’Israël et des ‟Juifs en général” sont unanimes dans leur ressentiment. Ils l’expriment avec plus ou moins de virulence, mais il est bien présent au cœur de leur système mental. Je ne suis pas arrivé à ce constat à la légère et je poursuis mon enquête. Ainsi que je l’ai signalé, la théorie de la conspiration est appréciée chez les Arabes sous la forme des ‟Protocoles des sages de Sion” (et dérivés) et chez les Iraniens sous celle des ‟Memoirs of Mr. Hempher, The British Spy to the Middle East” ou ‟Confessions of a British Spy”. Dans ce cas, c’est un agent britannique, Mr. Hempher, et le wahhabisme qui sont sur la sellette.
Je repense à mon arrivée au Ben Gurion International Airport, au contrôle de police en pleine Operation Protective Edge, à mon visa Islamic Republic of Iran, au peu d’intérêt (pour ne pas dire, au total désintérêt) que lui prêta la police. Serions-nous devenu entièrement soumis à un système médiatique simplement soucieux de gonfler à nos dépends, comme des tics ? Au cours de mes conversations en Iran (des conversations que j’amenais sans tarder sur Israël pour mon enquête), je n’ai jamais relevé de propos antisémite et très rarement anti-israélien, ces derniers relevant avant tout de l’inquiétude : être attaqué voire rayé de la carte par Israël. Le djihadisme est le principal souci des Iraniens, non seulement du pouvoir à Téhéran mais aussi des Iraniens de la rue, ceux avec lesquels j’ai eu la chance de pouvoir parler, des jeunes surtout. Cette hantise du djihadisme s’explique en partie par la multi-ethnicité du pays, un pays par ailleurs relativement homogène du point de vue religieux : chiite à près de 90 % et duodécimain (voir les douze Imams) pour l’essentiel. Le djihadisme est sunnite et il montre aujourd’hui toute sa hideur. Je suis prêt à affirmer que le djihadisme que l’Iran se propose à présent de combattre à nos côtés n’est pas une manœuvre pour mieux encercler Israël mais qu’il correspond à la volonté de s’extraire d’une peur existentielle, une peur liée à l’histoire et à la composition du pays, une peur qui ne peut être comprise aussi longtemps qu’on s’en tient à quelques idées simplistes (volontiers véhiculées par les médias) au sujet d’un pays particulièrement complexe. Il est vrai que le danger de voir les Iraniens (intellectuellement bien plus doués) instrumentaliser les Arabes est réel, je l’ai dit et le redis.
L’Iran et Israël seront amenés à coopérer, j’en suis convaincu. Et le temps joue en faveur de ce rapprochement, un rapprochement qui certes ne sera pas immédiat. L’histoire nous donne des pistes. Et, aujourd’hui, des événements pourraient accélérer ce processus. L’actuel régime n’est pas l’horizon ultime de l’Iran. L’étude et l’observation me laissent entrevoir qu’une entente à la base — par le peuple — est envisageable. Les Kurdes, ces descendants des Mèdes, proches cousins des Perses, des musulmans sunnites mais des Kurdes avant tout, des hommes d’abord soucieux de défendre leurs frontières, ont noué de nombreuses alliances avec Israël. Ne nous laissons pas envahir par une mentalité d’assiégés, ce serait accorder une prompte victoire à nos ennemis. Un temps interrompu, le dialogue entre l’Iran et Israël connaîtra d’autres temps. Ces deux pays entourés par un chaos arabe de sang et de flammes, chaos qui n’en est qu’à ses débuts, auront besoin d’allier leur intelligence. Je fais d’abord part d’un espoir, il n’est pas improbable que l’avenir se moque de moi et me crache à la figure avant de me piétiner. Au moins aurai-je exprimé un espoir sans rien en retrancher.