DES JUSTES, LE TEMOIGNAGE DE PATRICK

DES JUSTES, LE TEMOIGNAGE DE PATRICK

Messagepar Nina » Mai 27th, 2018, 7:23 pm

Au milieu de la tourmente, une lueur de générosité et d'amour du prochain.
Voici les souvenirs d'enfance de notre ami Patrick.
Nina et Yehoudidi : oui Patrick que vous avez rencontré l'an passé chez les Krikri.


Histoire
Charles* et Gabrielle Passeman* tiennent un magasin de vêtements à Valence-d'Agen et ont trois enfants
En juin 1943, le curé de Golfech est contacté par M. Golicki, un réfugié juif qui s'était enfui de Paris avec sa famille en quête d’un lieu sûr. Celui-ci le dirige vers Charles* et Gabrielle Passeman*, qualifiant Charles* de "saint' bien que laïc et républicain.
Charles* et Gabrielle Passeman* accueillent les deux fils de M. Golicki, Jean-Jacques et Patrick, qu’ils traitent comme leurs propres enfants et qui resteront chez eux en sécurité jusqu'à la Libération.
Lorsqu'au début de l'été 1944 des troupes allemandes furent stationnées à Valence, Charles Passeman* dut lui-même se cacher jusqu'à ce qu'ils battent en retraite vers le nord.

24/12/2010
[Compléter l'article]

Témoignage de Patrick Golicki
Mon premier souvenir de la guerre est celui de coups violents et répétés frappés sur la porte de l’appartement que nous occupions au 11 bis Rue Geoffroy Langevain à Paris (à côté de l’actuel Centre Pompidou). Ma mère, Madame Golicki, mon frère Jean-Jacques, une de mes tantes et sa fille, attendions, soit que la porte cède sous les coups, soit que la police lassée renonce à notre arrestation.
L’épaisse double porte palière a eu raison de la patience des policiers et ils ont préféré s’en prendre à nos voisins qui ont eu moins de chance que nous.
Mon père, Monsieur Golicki, et mon oncle, étaient internés à Pithivier, d’où mon père s’évadera un peu plus tard.

Mon second souvenir concerne le passage de la ligne de démarcation, avec les mêmes acteurs que le premier plus mon père qui nous avait rejoint. Je me rappelle la longue marche en foret, dans un silence total, la nuit dans une grange pleine de foin et la traversée d’un fleuve (la Loire, l’Allier ?) dans une barque qui avait failli chavirer.
Là encore, nous avons eu beaucoup de chance, car nous avons appris, plus tard, que le groupe suivant avait été arrêté par les Allemands, à cause d’un enfant qui s’était mis à pleurer, rompant ainsi le silence.

A-t-on assez rendu hommage aux passeurs ?

Après, mes souvenirs sont moins nets. Je nous revois dans une ferme, à Aussac, au nord de Montauban, où mon père s’essayait maladroitement à labourer, sous l’œil amusé du paysan et où je "gardais" les vaches en compagnie d’une chienne, pendant que maman tentait de nettoyer le logis des fermiers. Un détail me revient : une statuette de la Vierge Marie ornait la cheminée de la cuisine qui servait de salle de séjour, comme on dit aujourd’hui. Il faut dire que c’était la seule pièce chauffée de la ferme. Cette statuette était d’une saleté repoussante, couverte de crottes de mouches. Maman la lava et lui rendit l’aspect du neuf. La fermière éblouie, lui demanda pourquoi elle s’était donné du mal à la nettoyer, elle qui ne croyait pas en la mère de Jésus. Maman lui répondit "Mais vous, vous y croyez ?". Cette petite marque de respect des convictions de nos hôtes souda l’amitié entre nous.
J’ai malheureusement oublié le nom de ces si braves gens, je sais seulement qu’à notre départ, ils pleuraient.

Je me souviens ensuite d’une première période à Montauban où, mon frère et moi, nous étions en pension chez une dame Fournales, que nous appelions "Tante Andrée" et qui cachait d’autres enfants juifs. Elle avait sa maison "Cité des Jardins". C’est là que nous avons connu, deux fillettes, Marguerite (qui vit aujourd’hui en Israël) et Charlotte Szajn que nous rejoindrons, plus tard avec leur mère, à Golfech.

Il y a eu ensuite, une seconde période à Montauban, cette fois avec mes parents et mon cousin Jean Wajsmann, dont les parents et le frère Jacques, avaient été arrêtés. Nous habitions Rue du lycée, à proximité du lycée Ingres que nous fréquentions.

L’invasion de la "zone libre" et l’arrivée des Allemands, incitèrent mes parents à chercher refuge en un lieu plus sûr. Bien nous en pris, car nous avons appris plus tard, qu’à peine 48 heures après notre départ, une rafle avait eu lieu là où nous habitions.

Je ne sais plus comment nous sommes arrivés à Golfech, petit village du Tarn et Garonne, qui est hélas aujourd’hui quelque peu défiguré par une imposante centrale nucléaire. Il me semble que nous y avions été envoyés en "résidence forcée". Après un petit voyage en fiacre depuis la gare de la ville voisine, Valence d’Agen, car le train ne s’y arrêtait pas, nous sommes arrivés à Golfech.

Toujours est-il qu’en fin 1942 nous vivions dans ce village, avec d’autres Juifs qui nous y avaient devancé. Il y en avait de toute l’Europe : de Pologne comme mes parents et les Szajn, de Russie comme les frères Lehrer, d’Autriche comme les dames Weiss et Schwarz et de Turquie comme les Levy. Ils avaient certainement été placés là également en résidence forcée. Tous ces nouveaux venus risquaient de bouleverser la vie de ce paisible village, qui ne savait rien des Juifs. On aurait pu s’attendre à une réaction de rejet.
Et bien pas du tout ! Le Maire, Monsieur Frauciel, homme de forte stature à la voix grave, a réuni le village. Il a expliqué la situation à ses administrés et il a simplement dit "il faut les aider". Et c’est ce qu’ils ont fait. On trouva immédiatement à loger tout le monde.
L’accueil de ces gens qui ne nous connaissaient absolument pas, fut des plus chaleureux. Nos voisins immédiats, les Fournil, épiciers et mécanicien, les Bétholière, boucher, Monsieur Viau, l’instituteur en retraite, les Campan, boulanger, devinrent nos amis et firent de leur mieux pour rendre notre séjour agréable.
Le fils Béthlière fit passer mon père dans le maquis des Landes. Les voisines, initièrent maman aux travaux de la basse cour et du potager, ainsi qu’à la chasse aux souris si nombreuses dans ces vieilles maisons. C’est ce qui se passait le moins bien, car maman s’évanouissait à la vue des petites bêtes.
Le boulanger, Monsieur Campan, qui adorait les enfants, nous amenait à domicile des flûtes de pain blanc à toute occasion.

En 1943, la situation s’est brusquement tendue et Monsieur le Maire nous a prévenus du risque de voir les gendarmes venir arrêter les Juifs et il nous conseilla de nous cacher. Mon frère et moi, nous avions trouvé refuge chez les Fournil, nos voisins. Ma mère et mon père, qui était venu pour l’aider, prirent le risque de rester à la maison, en compagnie de mon cousin Jean qui était de passage (Il était habituellement au "Moulin de Moissac" où tant d’enfants Juifs étaient cachés).

Une nuit, les gendarmes arrivèrent effectivement, mais pas discrètement, ce qui donna le temps à mes parents de sortir par "la porte de derrière" qui donnait accès aux jardins et aux potagers des maisons de la place principale du village. Là, sans lumière, ils ont erré un long moment, et certainement tourné en rond, avant de trouver un abri dans une grange, dans laquelle ils ont passé le restant de la nuit. Les gendarmes, cette nuit là, avaient fait "chou blanc". Le lendemain, mes parents furent découverts par ... M. Fournil, propriétaire de la grange ! Si bien que toue la famille était cachée chez lui !
Cette situation dura quelques jours, car on craignait que les gendarmes reviennent, peu convaincus par les dires des voisins qui prétendaient que tous ces Juifs qui étaient partis depuis longtemps on ne sait où. M. Fournil vaquait à ses occupations de mécanicien et sa femme à celle d’épicière et de maîtresse de maison (elle avait deux filles) tout en prenant soin de mon frère et de moi et de nos parents dans la grange.
Quels gens admirables !!! Quelle générosité et avec quelle spontanéité ils ont fait ces choses ! Lorsque plus tard, nous leur avons manifesté notre reconnaissance, ils ont répondu qu’ils avaient simplement fait preuve d’humanité. Et pourtant, ils avaient pris des risques considérables pour des étrangers.
Le Maire nous rassura : les gendarmes ne devaient pas revenir.

Vers la fin de l’année, il y eut un regain de tension, qui semblait plus grave que le précédent. Mon père était revenu du maquis et il cherchait à nous cacher plus loin, mon frère et moi. Ne sachant pas à qui demander conseil, sans risquer de vexer nos amis, il s’était adressé au curé. C’était un vieil homme, d’une grande bonté qui m’avait d’ailleurs admis parmi ses "enfants de chœur", malgré l’étonnement discret, de certain de ses paroissiens qui n’ignoraient rien de ma religion.
Il lui conseilla de d’adresser à un certain Monsieur Passeman* de Valence d’Agen. Il lui dit qu’il était sûr que ce monsieur acceptera de prendre les enfants chez lui, car disait-il "C’est un saint". Pour qu’un ecclésiastique, dise d’un radical socialiste, anticlérical notoire et dont le magasin s’appelait (et s’appelle toujours) "Au Bon Diable", il fallait que se soit vrai !

Mon père alla donc voir cette personne et lui expliqua la situation. Il lui parla aussi des deux fillettes Marguerite et Charlotte Szajn. Charles Passeman* servait à ce moment une cliente, il lui dit :
- Je prends les garçons, vous prendrez bien les filles.
- Bien sûr répondit la dame, comme si cela était su simple bon sens !
Le jour même, mon frère et moi nous entrions dans cette maison dans laquelle nous allions rester jusqu’à la libération.

L’accueil de cette famille fut admirable. Nous avons été instantanément intégrés à la famille comme si nous en avions toujours fait partie. Moi, le plus jeune, 6 ans, je fus complètement materné par Yolande, la jeune fille de la maison, qui devait avoir 13 ans. Jean-Jacques, mon frère trouva en Maurice le garçon de la famille, un second frère et un compagnon de jeu de son âge. Seule, Arlette, la sœur aînée n’était pas présente en permanence, car elle était pensionnaire au lycée d’Agen.

Charles* et Gabrielle Passeman*, qui étaient plus âgés que nos parents étaient pour nous "Pépé et Mémé", quant à "Yoyo", c’était ma seconde maman. Elle prenait si soin de moi, que lorsque j’avais peur, seul dans mon lit, elle me prenait dans le sien.

Les bienfaits de cette famille envers nous ont été innombrables, nous qui n’étions portant rien pour eux.

Maman qui était restée à Golfech, venait nous voir de temps en temps, à vélo. C’était le seul moyen de locomotion disponible. Elle laissait ce vélo devant la porte du magasin et quand elle repartait, elle trouvait les sacoches mystérieusement bourrées de nourriture et de vêtements.
Comme il lui fallait travailler pour gagner sa vie, et que les emplois étaient interdits aux Juifs, Charles Passeman* lui trouva une place dans la scierie Demathieu, près de chez lui en la faisant passer pour sa nièce. Et afin que tout le monde en soit persuadé, il venait tous les jours l’embrasser devant tous les employés.

Je pourrais ainsi remplir des pages pour relater les bontés de cette famille a eu pour nous. Sachez surtout, que ce fut pour nous un havre de paix et d’amour hors du commun.

En 1943, il y eut de nombreuses arrestations de Juifs dans la région. Même à Golfech, Monsieur Levy, lui qui croyait que sa nationalité turque (la Turquie était neutre) le mettait à l’abri, fut pris par les gendarmes. Et pourtant ceux-ci lui avaient largement laissé la possibilité de s’enfuir, sur l’insistance des villageois. Il n’est jamais revenu.

Après le débarquement en Normandie, la situation se tendit de nouveau dans la région. La division Waffen SS Das Reich passa par là en laissant derrière elle une trace sanglante atroce dont le paroxysme fut le massacre d’Oradour sur Glane.
Les Allemands contrôlaient le pont sur le canal que maman devait franchir deux fois par jour pour se rendre à son lieu de travail et en revenir. Ils demandaient les cartes d’identité à tous les passants. Celle de ma mère portait la mention JUIF en rouge. Elle présenta sa carte dans l’espoir que l’Allemand ne lise pas le français. Comme il hésitait, elle lui arrachât sa carte et s’enfuit à toutes pédales. La chance a voulu qu’on ne la poursuive pas.

Mis au courant de l’incident qui aurait pu être fatal à maman, le Maire, Monsieur Frauciel, se "débrouilla" pour lui procurer une autre carte d’identité sans la mention infamante et lui montra un autre chemin qui évitait le fameux pont.

Mon père, qui rentrait du maquis, fut arrêté par les mêmes Allemands, alors qu’il sortait de la gare de Valence d’Agen, où il venait prendre de nos nouvelles. Il ne lui était reproché que d’être sorti de la gare pour aller aux toilettes pendant le couvre-feu. Mais sa fausse carte d’identité qui avait fait illusion sur le moment, ne résisterait pas à un examen plus approfondi le lendemain, et il sera démasqué. Comme il était détenu dans l’hôtel près de la gare, en attendant le matin et qu’il n’était pas bien surveillé, il s’évada par une fenêtre et se réfugia chez Charles* et Gabrielle Passeman*. Ceux-ci le reçurent à bras ouverts. Le lendemain, il alla rejoindre maman à Golfech.

Les SS quittèrent la région pour les plages de Normandie, mais il restait d’autres Allemands qui étaient très nerveux, car la Résistance multipliait les actes de sabotage pour retarder l’arrivée des Allemands sur les lieux du Débarquement.
Charles Passeman* devint suspect aux yeux des autorités, et il dût son salut en la fuite. A son tour, il fut contraint de se cacher pour éviter d’être arrêté !
Heureusement la libération ne se fit pas trop attendre, et nous avons eu la joie de la fêter tous ensemble.
Non seulement, ces gens nous ont cachés, au risque de leur vie, nourris, habillés, entouré de leur amour, sans jamais rien demander en échange, mais encore, ils voulaient aider financièrement mon père à remonter son atelier de tricots à Paris.
Voici donc Monsieur Charles Passeman* et sa chère femme, Madame Gabrielle Passeman*, qui ont été nos bienfaiteurs et pour qui je demande l’attribution de la Médaille des Justes entre les Nations.
J’ajoute que, si cette médaille pouvait être décernée à titre collectif, le village entier de Golfech la mériterait également.

28/12/2010
Nina
 
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