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Elliott Erwitt, photographe

 

Faire rire les gens est un grand exploit. Mais faire rire et pleurer en même temps, comme le fait si bien Chaplin, est le plus grand de tous les exploits. Sans le rechercher à tout prix, j’avoue que c’est le but suprême auquel j’aspire.

Certains disent que mes photographies sont tristes, d’autres qu’elles sont drôles. Drôle, triste, n’est-ce pas la même chose ? Ensemble, ces deux états forment la réalité.

Tout est sérieux, rien ne l’est.

(Elliott Erwitt)

 

Parmi les photographes chez lesquels je reviens avec un plaisir jamais démenti — et même toujours augmenté —, Elliott Erwitt. De tous les photographes dont l’œuvre m’est familière, Elliott Erwitt est celui qui amène le plus sûrement un sourire sur mes lèvres, un sourire qui traduit un plaisir intérieur né d’un amusement, d’une intelligence des situations. Elliott Erwitt est le maître du « calembour visuel » ; l’expression est de Françoise Ayxendri, dans son introduction à la belle monographie consacrée au photographe et publiée aux Éditions Nathan : « Elliott Erwitt – Photographie 1946-1988 ». Nombre de ses photographies sont un régal. Elles offrent à l’œil et à l’esprit ce vertige doux et prononcé que confère la saveur. Régal, saveur, Elliott Erwitt.

Elliott Erwitt est un photographe d’une extraordinaire tendresse. Il dénonce mais par glissements, en se gardant de toute véhémence — de tout pathos — et de toute méchanceté. Ses images sont saisies dans des situations ordinaires, dans le quotidien le plus immédiat. Le secret de son art ? Il confie :  « La photo n’est autre qu’un état d’oisiveté et de contemplation intenses qui aboutit à un bon cliché noir et blanc ».

Elliott Erwitt naît à Paris en 1928, de parents russes. Il ne passe que deux mois en France avant de se rendre à Milan avec ses parents où il reste jusqu’à l’âge de dix ans. Chassé par le fascisme, il part avec sa mère pour les États-Unis, deux jours avant la déclaration de la guerre. Il ne séjourne qu’un an à New York avant de se rendre en Californie avec son père. A douze ans, il se met à la photographie. A quinze ans, il quitte la maison paternelle. A l’armée, avec son Leica, il photographie des camarades de chambrée flemmardant et   gagne un concours organisé par Life Magazine avec son projet « Bed and Boredom ». L’une des photographies de cette série lui vaut un prix de 1 500 dollars, une somme importante. Alors qu’il est basé à Orléans, il se rend tous les week-ends à Paris où il prend des photographies pour Life Magazine avant de taper à la porte du 125 de la rue du Faubourg Saint-Honoré où est installé le premier bureau de l’agence Magnum. Il écrit : « J’ai quitté la Californie où il ne se passait rien. A New York, Edward Steichen m’a trouvé mon premier travail. J’ai aussi rencontré Robert Capa : il dirigeait une petite agence dont je n’avais jamais entendu parler. Je partais à l’armée et il m’a dit d’aller le voir à Paris. Je lui ai montré des images que j’avais faites pour des magazines pendant mon service militaire. A ma sortie de l’armée en 1953, l’Agence Magnum de Robert Capa s’était transformée en une équipe d’élite prestigieuse. J’ai ôté mon uniforme et signé avec Magnum vingt minutes après ».

Une photographie de Henri Cartier-Bresson intitulée « Quai Saint-Bernard » le confirme dans ses recherches. Il affirme n’avoir jamais rien vu de tel : « Il suffisait de savoir regarder les choses. » Une photographie d’Eugène Atget, « Joueur d’orgue » (1898-99), s’inscrit également dans la galerie de ses photographies de formation.

 
Henri Cartier Bresson

Henri Cartier-Bresson, « Quai Saint-Bernard » (1932)    

 

Le nom « Elliott Erwitt » conduit d’emblée aux chiens, des chiens vus à hauteur de chien. De fait, c’est en répertoriant ses planches-contact qu’Elliott Erwitt constate que le thème des chiens ne cesse de revenir ; et il décide de poursuivre. La première de ses photographies canines date de 1947. Lorsque que le New York Times lui commande une série sur les chaussures de femmes, il répond à cette commande mais déterminé à se placer du point de vue du chien. Elliott Erwitt aboie volontiers afin de provoquer les réactions de la gente canine et les saisir sur pellicule. Il doit fort bien aboyer puisqu’il confie : « Un jour, dans une rue de Kyoto, une femme marchait devant moi avec un chien que je trouvais intéressant. J’ai aboyé pour voir. La dame s’est retournée et a donné un coup de pied à son chien. Nos aboiements devaient se ressembler ! »

Les commandes commerciales lui donnent l’occasion de voyager, loin des obligations familiales, de vivifier son regard, de voir ce qui l’entoure avec un fresh eye. Elliott Erwitt évite toute complication technique. Il recherche l’émotion et l’ironie douce, cette ironie qui amène le sourire. Il écrit : « J’utilise un objectif 50 mm, parfois un 90 mm. Je travaille à courte distance et avec un seul film à la fois, de la Tri X, sinon je m’y perds. Les grands angles, les télé-objectifs, les filtres dégradés et autres artifices ne servent qu’à donner de l’intérêt à ce qui n’en a pas. Le résultat obtenu n’a plus rien à voir avec l’observation. » C’est aussi ce qui me rend ce photographe si cher : ce refus des complications techniques, cette limitation des moyens qui, on le sait, stimule l’esprit d’à-propos, ne contrarie pas l’observation et ne cherche pas à suppléer à des manques. Les complications techniques ne sont trop souvent que cache-misère.

Elliott Erwitt ne fait pas vraiment figure de photographe engagé (encore un trait de caractère qui me le rend proche) ; il n’empêche qu’avec son ironie douce-amère et son esprit d’à-propos il a donné l’une des images parmi les plus fortes sur l’ineptie de la ségrégation raciale, avec ces lavabos séparés.

 USA. North Carolina. 1950.   Contact email: New York : photography@magnumphotos.com Paris : magnum@magnumphotos.fr London : magnum@magnumphotos.co.uk Tokyo : tokyo@magnumphotos.co.jp Contact phones: New York : +1 212 929 6000 Paris: + 33 1 53 42 50 00 London: + 44 20 7490 1771 Tokyo: + 81 3 3219 0771 Image URL: http://www.magnumphotos.com/Archive/C.aspx?VP3=ViewBox_VPage&IID=2S5RYDZQNUL5&CT=Image&IT=ZoomImage01_VForm

Elliott Erwitt, « White / Colored », North Carolina, années 1950.

 

Elliott Erwitt aime les aphorismes, les boutades (la saveur du paradoxe) et les farces. Parmi ses aphorismes : « La photographie, c’est la synthèse d’une situation. L’instant où tout s’assemble. L’idéal insaisissable. » Il juge que la photographie doit être aussi et d’abord le témoignage d’une générosité, que le sens visuel est aussi et d’abord une question de cœur. Et je pourrais en revenir à cette photographie parmi ses préférées, celle d’Eugène Atget ci-dessus évoquée.

Elliott Erwitt est l’auteur de nombreux scoops parmi lesquels celui de 1957, où, à Moscou, il parvient à photographier des missiles au cours du défilé du quarantième anniversaire de la Révolution d’Octobre. Life lui achète le reportage qui devient un scoop mondial. Et souvenons-nous du « Kitchen Debate » et de cette photographie utilisée par Richard Nixon au cours de sa campagne électorale de 1960.

Mais j’y pense ! Sur un mur de ma chambre d’adolescent une photographie d’Elliott Erwitt a longtemps figuré ; je l’ai d’emblée intitulée « Le baiser rétrovisé » ; et je n’ai su que bien après qui était l’auteur de cette image emblématique.

Elliott Erwitt, un photographe tendre et amusé, un photographe spirituel entre tous, un frère en quelque sorte.

 

Elliott Erwitt, California 1955Elliott Erwitt, « Le baiser rétrovisé », Santa Monica, California, 1955.

 

Olivier Ypsilantis

 

1 thought on “Elliott Erwitt, photographe”

  1. superbe travail sur ce photographe que j’admire et qui me fais sourire de temps en temps.
    je vais m’inspirer de son travail pour faire un concours photo.
    je dois m’inspirer d’un photographe célèbre (A la manière de ) c’est le thème.

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