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Θεόφιλος Χατζημιχαήλ – Theophilos, peintre grec. 

 

 Le peintre grec TheophilosLe peintre dans une tenue qu’il affectionnait, genre klephtes (κλέφτες). Je n’ai pu identifier la femme qui se tient à sa droite — sa mère peut-être ?  

 

Je ne puis penser à la Grèce sans penser à Theophilos (1873-1934). Je l’ai découvert lors d’une visite à la Pinacothèque nationale d’Athènes, par des enseignes peintes sur fer et sur bois, notamment pour des cafés (Καφενεῖον), une forme d’expression prisée chez les artistes populaires grecs et qui leur permettait par ailleurs de retirer quelque subside.

Theophilos est né à Mytilène, la principale agglomération de Lesbos. Son père est cordonnier et son grand-père maternel peintre d’icônes. Alors qu’il est encore très jeune, il part pour Smyrne, à peu de distance de son île natale. Là, il est employé comme concierge au consulat de Grèce et commence à peindre sur des thèmes principalement inspirés de la Grèce antique et de Byzance. 1897, début de la guerre gréco-turque, une guerre initiée à l’appel des Crétois soulevés contre le sultan. La Grèce ouvre les hostilités en Thessalie et envoie un détachement occuper la Crète. Mais les Grecs sont battus à deux reprises en Épire. L’intervention des grandes puissances impose un traité à Istanbul, le 4 décembre, traité qui évite l’écrasement de la Grèce.

Theophilos part pour Volos. Il passera trente ans en Thessalie (de 1897 à 1927), trente ans au cours desquels il peindra beaucoup et sur des supports très divers, murs et huisseries, dans des tavernes, des boulangeries, des moulins et des pressoirs, ainsi que chez des particuliers. La production de Theophilos frappe par son abondance mais il faut savoir qu’une part importante de son œuvre a été perdue ou détruite. Il peint pour presque rien, un repas, quelques verres d’ouzo. En 1912, sa situation matérielle s’améliore un peu, grâce à Yannis Kontos, un riche propriétaire terrien. Theophilos travaille chez celui-ci et couvre de fresques les murs de sa maison, à Anakasia (dans les environs de Volos, ville natale de Giorgio de Chirico). Cette maison deviendra le Theophilos Museum, en 1981. Les fresques peintes dans cette demeure sont principalement inspirées de la Guerre d’Indépendance de 1821 et de la mythologie grecque.

J’ai visité ce musée en compagnie de mes parents, un jour de brumes humides. Je revois ma mère chercher dans les rues de Volos, photographie en main, la belle demeure néoclassique de ses ancêtres. On lui fit comprendre que le tremblement de terre de 1955 l’avait détruite. En 1953, un tremblement de terre avait effacé à Céphalonie d’autres traces de la mémoire familiale, une mémoire venue de Crète et de Byzance.

En 1927, Theophilos est de retour à Lesbos, son île natale. On a dit qu’il supportait de plus en plus mal les railleries : il se promenait volontiers dans des tenues extravagantes, par exemple en tsolia (voir la tenue des Evzones), avec un sabre passé dans la ceinture. Sur la place principale d’Anakasia, le voyageur remarquera un buste en bronze de Theophilos. Il est déguisé en Alexandre le Grand, un personnage qu’il représente volontiers dans ses compositions. Il lui arrivait de se déguiser ainsi pour le carnaval ou des représentations théâtrales. On rapporte qu’un geste malveillant l’aurait décidé à revenir à Lesbos : alors qu’il travaillait à une fresque dans une taverne, perché sur une échelle, quelqu’un se serait amusé à l’en faire tomber.

Peu après son retour à Lesbos, Theophilos est remarqué par l’éditeur et critique d’art Tériade, lui aussi né dans cette île, en 1897. Le nom, Tériade, en amène un autre, Christian Zervos, un Grec de Paris, né à Céphalonie et fondateur de la revue Cahiers d’art. Tériade va donc contribuer à faire connaître son compatriote, tant en Grèce qu’à l’étranger. Il lui fournit tout ce dont il a besoin pour peindre et envoie sa production à Paris. C’est à cette époque que l’artiste réoriente sa thématique, qu’il délaisse ses thèmes historiques et mythologiques pour des scènes de la vie quotidienne.

Theophilos est retrouvé mort dans sa chambre, le 24 mars 1934, probablement victime d’une intoxication alimentaire. Un an plus tard, Tériade organise une rétrospective de son œuvre à Paris. Elle suscite nombre d’articles et de commentaires. En 1961, une autre rétrospective a lieu au Louvre ; un futur prix Nobel de littérature, Elytis, témoigne de son admiration pour l’artiste. En 1964, toujours grâce à Tériade, s’ouvre à Lesbos le Theophilos Museum. Plus de quatre-vingts œuvres y sont présentées, des œuvres de la dernière période provenant de la collection privée de Tériade qui en avait fait don à Mytilène.

Les œuvres de Theophilos atteindront des prix véritablement astronomiques. Theophilos a été grandement admiré, à commencer par ses compatriotes, Séféris et Elytis, respectivement prix Nobel de littérature 1963 et 1979, qui l’ont célébré. Je ne savais presque rien de lui avant de découvrir certaines de ses enseignes à la Pinacothèque nationale d’Athènes puis une fresque dans une taverne des environs de Volos. On a comparé un peu hâtivement Theophilos au Douanier Rousseau mais il suffit de s’attacher à la thématique et au traitement pour que cette comparaison s’évanouisse. Le Douanier Rousseau ne cesse de lisser sa peinture jusqu’à effacer toute trace de l’outil et le contour de chaque élément est soigneusement délimité. Rien de tel avec Theophilos où la trace du pinceau est bien visible, tant dans le dessin (les contours) que la couleur. La palette de Theophilos est mate, celle du Douanier Rousseau est laquée, comparativement tout au moins. Ils ont cependant un point commun : la densité de la composition avec cette hésitation entre la deuxième et la troisième dimension qui dans l’art moderne caractérise la peinture dite ‟naïve”. Les compositions du Français et du Grec sont saturées d’éléments divers qui donnent un aspect foisonnant à leurs espaces.

Cette différence dans le traitement tient aussi à la vie particulière de ces deux artistes. Apollinaire dresse un portrait du Douanier Rousseau dans ‟Les soirées de Paris”. Il allait au Jardin des Plantes ou au Jardin d’Acclimatation pour peindre ses forêts tropicales ou équatoriales, tranquillement. Il peignait avec discipline, seul, dans son atelier, devant son chevalet. Theophilos n’a jamais eu d’atelier. Il peignait dans des lieux publics (des Καφενεῖον le plus souvent) où chez des particuliers. Il ne jouissait pas de la tranquillité du Douanier Rousseau. Il avait toujours plus ou moins quelqu’un dans son dos. Il lui fallait aller vite et il peignait probablement vite : de fait, je vois son pinceau virevolter, pris dans une discrète gestuelle. Ah, j’allais oublier ! On s’est moqué d’eux, diversement. Apollinaire l’écrit : ‟Peu d’artistes ont été plus moqués durant leur vie que le Douanier. Mais l’artiste demeurait serein car il jugeait que les plus malveillants à son égard étaient en quelque sorte obligés de témoigner de son œuvre. Le Douanier avait conscience de sa force.” Theophilos eut-il conscience de sa force ? On se moqua beaucoup de lui, mais davantage pour son comportement et sa dégaine que pour son œuvre ; c’est tout au moins ce qui est rapporté. Par ailleurs, Theophilos n’a fréquenté aucun cénacle.

 

 Theofilos, scène de guerreUne scène de guerre entre soldats grecs et soldats turcs. 

 

Theophilos reste l’une de mes plus belles découvertes en Grèce — et oublions pour un  temps la Grèce antique. Combien d’heures ai-je passé à goûter ses compositions, à les détailler ?  Elles en imposent autant dans les petits que dans les grands formats. En effet, cette œuvre narrative a autant d’allure sur un mur que dans un livre. Je me souviens de cette fresque peinte dans un Καφενεῖον de Makrinitsa (Μακρινίτσα), un village dans le Pélion, et des verres de retsina  (ρητινίτης οίνος) qui confirmèrent mon émerveillement devant ce travail. Les compositions de Theophilos s’accordent parfaitement avec le livre et elles accompagnent merveilleusement la typographie grecque, suprêmement élégante. Ci-joint, une suite de photographies prises par un couple de voyageurs anglais ; les deux premières de la série m’intéressent particulièrement, avec l’enseigne au nom du peintre et la reproduction de la peinture murale du Καφενεῖον de Μακρινίτσα :

http://ariadnefromgreece.blogspot.com.es/2012/05/weekend-to-volos-pelion-part-d.html

Ci-joint, une vidéo retrace la vie de Theophilos. Elle s’intitule ‟Theofilos – The Odyssey of a Greek Painter” (durée environ 48 mn, en grec sous-titré en anglais) :

https://www.youtube.com/watch?v=VaDCG7tAAbk

 

  La cueillette des olives par TheophilosLa récolte des olives.

 

Enfin, ci-joint, une belle suite iconographique qui montre certaines de ses œuvres ainsi que des portraits photographiques de l’artiste :

https://www.youtube.com/watch?v=JHHou-uBgVE

  Olivier Ypsilantis

 

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