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Réponse à un prêtre, à propos d’Elie Benamozegh.

Merci pour cette immense réponse. Bon sang, j’en suis tout étourdi ! Il va falloir que je rassemble mes esprits !

Vous avez raison de replacer Elie Benamozegh dans son époque, ce que je n’avais pas  fait sachant que tout lecteur quelque peu averti le ferait de lui-même. Par ailleurs, je vous suis reconnaissant de pointer la déréliction dont l’Eglise n’a cessé d’accabler les Pharisiens auxquels Jésus doit tant par ailleurs. Et ce sont eux qui ont porté de judaïsme après la répression menée par Rome, ce sont eux qui ont mené le peuple juif jusqu’à nous, en ce XXIème siècle. J’ai toujours jugé hautement suspecte l’attitude de l’Église envers eux ; et si l’épithète “pharisien” est entré dans le langage courant d’une manière si négative, nous le devons bien à l’Église. Il faudrait replacer ce mot à la hauteur qu’il mérite.

Il est possible que je sois trop volontiers porté à la polémique avec les chrétiens. C’est qu’ils me rendent à l’occasion fort nerveux. Je ne nie pas la richesse de leur immense héritage (venu du peuple d’Israël) mais l’usage qu’ils en font me navre assez souvent.

Vous écrivez : “L’erreur fondamentale qui, à mon sens, fausse toute la perspective de “Morale juive et Morale chrétienne” d’Elie Benamozegh consiste à affirmer que la morale fut l’élément déterminant qui a contribué au triomphe du christianisme”. D’un point de vue chrétien, je le conçois, une telle affirmation est comme une gifle car le noyau ardent du christianisme est bien la Mort-Résurrection de Jésus-Christ. Elie Benamozegh semble bien prosaïque en regard de cet événement, j’en conviens. Mais je ne le vois pas comme un polémiste. Il respecte profondément le christianisme et ne cherche pas à démolir l’édifice. Je le vois plutôt comme un homme qui observerait un groupe plutôt agité et qui l’inviterait au calme. Soit, Il est ressuscité ! Le Messie que vous attendiez est venu ! Mais si nous en venions à la morale ; autrement dit : quelle morale cette histoire promeut-elle ? Car si le christianisme ‒ ou le judaïsme ‒ ne se réduit pas à une morale, il n’en favorise pas moins une morale qui, à son tour, favorise des codes de comportement.

Il est temps que juifs et chrétiens évoquent ce qui les rapproche et non ce qui les sépare, ainsi que vous le dites. Bien sûr. Mais plonger dans le contentieux juif/chrétien revient à plonger dans ces fosses abyssales desquelles nous procédons. Il faut y aller le cœur battant en prenant soin de régler au mieux ses outils d’observation. Il ne s’agit pas de s’enfoncer dans la polémique ‒ cette chose qui nous fait volontiers tourner en rond ‒ mais de s’offrir un voyage d’une inquiétante beauté.

 “The Great Day of His Wrath” (1851) de John Martin

Et, à présent, permettez-moi d’adopter le pas de charge. Les chrétiens ont fait peser sur les juifs les pires accusations, à commencer par celle de déicide : ils ont tué NOTRE Dieu ! Certes, des progrès ont été faits. Mais… un glissement s’est opéré. Il existe des rapports aussi grossiers que subtils entre l’antijudaïsme, l’antisémitisme et l’antisionisme. Et ils dansent une belle java, croyez-moi, une java du Diable, une valse à trois temps ! L’antisémitisme se décline à présent toujours plus en antisionisme, et pas seulement chez les chrétiens ; mais dans cette lettre, et pour ne pas me laisser aller au hors-sujet, je m’en tiendrai aux chrétiens. J’ai trop remarqué une certaine commisération envers les Palestiniens de la part de très braves gens, très bons chrétiens, qui ne savent des Palestiniens que ce que leur rapportent les mass-médias, à commencer par la télévision. De très bons chrétiens et de très braves gens qui ne gémissent pas sur le sort des Soudanais ou des Sahraouis opprimés par Rabat et relégués dans des camps implantés dans l’une des régions les plus inhospitalières au monde, le Hamada de Tindouf. C’est simple, ils ne font preuve de commisération envers les Palestiniens que parce que ceux qui les oppriment et les assassinent sont des juifs… Certes, l’Église s’est engagée dans une voie plutôt prometteuse, depuis le début des années 1960, depuis Vatican II. Il reste cependant un immense travail à faire et tout espoir est permis. Mais que de réticences chez les chrétiens à reconnaître Israël ‒ l’État d’Israël ! Lorsqu’il est question d’Israël, ça coince et ça grince dans les rouages mentaux de bien des chrétiens ; et je ne vous écris pas à la légère. La cause palestinienne est bien leur “nouvel Évangile”, ainsi que le note Menahem Macina.

On ne peut être chrétien sans être sioniste, on ne peut être chrétien lorsque l’on remet en cause la légitimité de l’État d’Israël. Et sioniste sans arrière-pensée… Car il ne s’agit pas de vouloir faire du prosélytisme et vouloir convertir les juifs réinstallés en Eretz Israel.

Depuis la Shoah nous sommes entrés dans la vallée de Josaphat (la vallée du Jugement dernier pour les Chrétiens, située à peu de distance de Jérusalem) où Il fera descendre les nations avec lesquelles Il entrera en jugement AU SUJET D’ISRAËL. Les saints prophètes l’ont annoncé. Mais écoutez plutôt Menahem Macina : “Aux chrétiens qui affirment que, s’ils avaient vécu alors (au cours des années qui virent la Shoah), ils n’auraient pas porté la main sur ce peuple ni ne se seraient tus, je crois pouvoir dire : vous avez maintenant la possibilité de prouver votre sincérité en prenant fait et cause pour les juifs d’aujourd’hui et pour leur État. Vous n’aurez pas d’autre occasion de le faire jusqu’à ce que se produise la montée criminelle des nations contre ce peuple, à laquelle fort peu auront le courage de refuser de se rallier”. Or, il n’est pas besoin d’être particulièrement lucide pour constater que cette montée criminelle ne cesse de se confirmer. L’État d’Israël est toujours plus au centre d’un cyclone qui n’épargnera personne. Les chrétiens seront les premiers à entrer en jugement au sujet d’Israël, parce qu’ils ont tant à voir avec lui, ce qu’ils oublient trop souvent, mais aussi parce qu’ils n’ont cessé de tourmenter Israël.

“Quiconque s’engage (…) dans l’aventure risquée d’interpréter, à la lumière des Écritures, les événements contemporains afférents au retour des juifs dans une partie de leur antique patrie, doit s’attendre à trouver sur sa route des spécialistes de toutes les disciplines des études chrétiennes, zélateurs inconditionnels de l’institution et du courant théologique majoritaire, qui cachent à peine l’aversion incoercible que leur inspire la présence d’Israël dans le contexte géopolitique du Proche-Orient”, écrit Menahem Macina, ce dont je puis témoigner intensément de mon côté.

Je vous le redis, ça coince et ça grince quand on évoque Israël. Le juif vivant, et bien vivant, semble perturber les enfants du “nouvel Israël”. Le “vieil Israël” était exsangue, et voilà qu’il inaugure une nouvelle phase de son histoire millénaire. Passe pour le juif faible ; on condescendra à lui prodiguer des soins, très chrétiennement… Shmuel Trigano a écrit des pages magistrales à ce sujet. Mais le juif souverain ne plaît pas. “L’enseignement du mépris” qu’évoque Jules Isaac est une crasse qui ne s’ôte pas d’un coup de baguette magique. Il faut un patient, très patient travail pour récurer ce fond de casserole. Il y a eu Jean XXIII et Jean-Paul II et nombre d’ecclésiastiques qui ont accompli et accomplissent un travail admirable mais, je vous le dis, l’antijudaïsme migre dans l’antisémitisme qui, à son tour, migre dans l’antisionisme ; et ils se mordent la queue dans une ronde de vertige.

J’ai mentalement tiré le glaive contre l’antisionisme, particulièrement contre les chrétiens antisionistes, car ils sont doublement coupables : coupables envers le judaïsme, coupables envers le christianisme, envers Jésus de la maison de David, envers le Christ enfin.

P.S. J’espère que vous ne verrez pas de l’impertinence dans cette lettre. Sachez que je vous respecte doublement : vous êtes prêtre de l’Église de Rome et la moitié de votre famille a disparu à Auschwitz car juive.

Vous avez placé en exergue à votre blog ces mots de Julien Gracq dont je me suis efforcé d’être digne : “Au point où nous en sommes, je me sens presque une avidité de surenchère, de nouvelles catastrophiques, et le besoin de triompher de l’angoissant par l’inouï.”

2 thoughts on “Réponse à un prêtre, à propos d’Elie Benamozegh.”

  1. Magistral ! En cette veille de Seder de Pessah, qu’il et bon de te lire Olivier.
    Enfin un chrétien honnête qui ose ce que beaucoup n’ose pas dans la chrétienté : regarder les racines juives de l’histoire et le rôle de l’église dans la persécution des miens.
    Nous sommes sur la bonne route très cher ami et frère ; je le sens.
    J’aurais aimé lire la lettre à laquelle tu réponds même si ton texte est parfaitement clair et mérite d’être lu massivement.
    Que la fête de la liberté, que Pessah soit célébré comme il convient par tous car cette nuit ne sera jamais comme les autres.

  2. Soyez rassuré, cher Olivier, je n’ai pas décelé dans votre billet la moindre « impertinence ». Et, permettez-moi de le dire d’entrée de jeu, je partage pour l’essentiel votre analyse, même si, pour moi, le verre est plutôt à moitié plein qu’à moitié vide… En tout cas, vous me trouverez toujours de votre côté pour dénoncer – et combattre à ma mesure – les antisémites, même s’ils se dissimulent sous les oripeaux de l’antisionisme. Et cela, en particulier dans les rangs chrétiens.

    Cela dit, votre « pas de charge », qui emboite largement celui de Menahem Macina – qui n’est pas du genre à faire dans la dentelle –, m’a fait percevoir une sainte colère qui n’a pas grand-chose à envier à la « God’s Wrath » de John Martin qui illustre votre texte.

    Sur Benamozegh, vous aurez compris que j’ai essayé de replacer certaines de ses affirmations dans la perspective d’une exégèse et d’une théologie chrétiennes qui ont pas mal évolué depuis son époque. Comme je l’ai indiqué, je ne nie pas le moins du monde la pertinence de ses critiques touchant au comportement de nombreux chrétiens au long de l’histoire, et je souscris à votre diagnostic: « Un homme qui observerait un groupe plutôt agité et qui l’inviterait au calme ».

    Si je comprends bien, vous seriez, grosso modo, dans une posture similaire par rapport aux chrétiens qui aujourd’hui font profession d’antisionisme. Je ne peux que vous rejoindre en cela, même si, comme je l’ai dit, j’ai tendance à voir la situation avec davantage d’optimisme que vous. Je rencontre, vous vous en doutez, pas mal de chrétiens. Je ne connais pas toujours, il est vrai, le fin fond de leurs opinions, notamment par rapport à l’Etat d’Israël. De fait, je remarque assez souvent – et spécialement chez des jeunes – cette attitude compassionnelle envers les « pauvres Palestiniens, victimes des humiliations et des injustices infligées par Israël ». Le plus souvent, ce sont des gens qui ont « bon coeur », mais qui ne savent rigoureusement rien de la situation réelle (ni de l’histoire d’Israël), et qui répercutent tout simplement ce qu’ils voient et entendent dans les médias. Mettent-ils en question la légitimité de l’Etat d’Israël? Sont-ils antisémites? Je ne le crois pas. Pour le reste, j’en connais pas mal d’autres qui affirment clairement leur amitié pour le peuple juif, qui comprennent la situation dans laquelle l’Etat d’Israël est immergé et la nécessité qui est la sienne de se défendre.

    Qu’il y ait, à côté de cela, des chrétiens qui font de la « cause » palestinienne leur « nouvel Evangile », c’est sans doute vrai, mais leurs motivations sont-elles réellement « chrétiennes »? Ne sont-elles pas plutôt du même acabit que celles des Badiou, Hessel et consorts, ou des islamo-gauchistes? En tout cas, j’affirme que se réclamer de la foi et de la doctrine chrétiennes pour fonder un quelconque antijudaïsme (qu’il soit, ou non, recyclé en antisémitisme ou en antisionisme) constitue une réelle perversion du christianisme. Que l’antijudaïsme ait des racines anciennes (notamment chez certains Pères de l’Eglise) et qu’il se soit perpétué pendant de longs siècles dans l’Eglise, ne change rien à l’affaire. Vous évoquez les avancées significatives qui ont été faites sur ce plan dans l’Eglise. Elles sont, à mes yeux, sans précédent et irréversibles, même si elles sont loin, en effet, d’avoir conquis tous les esprits et tous le cœurs. Y veiller est notre combat.

    Plus de place, désormais, pour la moindre affirmation de « déicide ». C’est l’humanité entière qui porte la responsabilité de la mort de Jésus. Cela ne peut plus être mis en cause. Benoît XVI – dont on peut penser ce qu’on veut, mais qui est un remarquable théologien – vient de le réaffirmer avec force dans le deuxième volume de son Jésus de Nazareth. Plus de place non plus pour la pseudo « théologie de substitution » qui faisait de l’Eglise le « nouvel Israël ». Je n’ai pas sous la main les références d’articles et d’ouvrages qui, dans le domaine catholique, l’ont rappelé récemment, mais ils sont nombreux et émanent d’auteurs de premier rang.

    C’est vrai, les chrétiens antisionistes sont, comme vous l’écrivez « coupables envers le judaïsme, coupables envers le christianisme, envers Jésus de la maison de David, envers le Christ enfin ». A plusieurs reprises, ces dernières années, j’ai croisé le fer avec des ecclésiastiques, y compris un Père Abbé et un évêque, qui écrivaient des choses inacceptables. Soyez-en assuré, j’ai bien l’intention de continuer dans cette voie.

    Enfin, en espérant que vous pourrez trouver quelque consolation sur le sujet auprès de chrétiens, je vous suggère la lecture, par exemple, de Chrétiens et Juifs entre le passé et l’avenir, de Michel Remaud, publié chez Lessius en 2000, ou de L’Eglise catholique et le peuple juif. Un autre regard, de Jean Dujardin, paru en 2003 chez Calman-Lévy. Et puis, je vous recommande un site web chrétien qui mérite d’être soutenu: http://www.un-echo-israel.net/
    Bonne fêtes de Pessah et de Pâques.

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