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Les Juifs de Zante (Zakynthos)

A ma grand-mère grecque qui m’a toujours parlé des Juifs avec émotion et, parfois, avec des larmes aux yeux. A Laura Stroumsa, juive d’Athènes, et à son époux Jacques Stroumsa, juif de Salonique, tous deux rescapés de la Shoah, que j’ai eu la chance de rencontrer à Madrid, par une journée d’hiver tiède et ensoleillée. 

 

Monseigneur Chrysostomos

Monseigneur Chrysostomos (1890-1958), déclaré «Juste parmi les nations» en 1978 avec le maire, Lucas Carrer :

http://www.yadvashem.org/yv/en/righteous/stories/chrysostomos_karreri.asp

 

Zante (ou Zakynthos) est la plus méridionale des îles ioniennes, un groupe d’îles au débouché de l’Adriatique dont l’histoire antique et moderne est particulièrement riche. Parmi ces îles, Céphalonie, l’île de Mangeclous du clan des Valeureux, ‟Mangeclous” le roman éponyme d’Albert Cohen né à Corfou en 1895. L’île de Céphalonie m’est chère pour Albert Cohen mais aussi parce que l’une des branches de ma famille y a jeté des racines. Ils venaient de Crète où, à la fin du XIIe siècle, quelques années après le départ des occupants arabes, l’empereur Alexis II Comnène (un bien triste empereur) avait envoyé des colons en Crète sous la direction d’une douzaine de nobles byzantins. Parmi ces derniers, l’ancêtre de cette branche. L’émigration entre la Crète et Céphalonie s’est faite en plusieurs temps et sur plusieurs siècles. En 1669, une troisième vague de Crétois quitta La Canée pour les îles ioniennes ; ils étaient les derniers combattants à s’être opposés à l’envahisseur ottoman. Parmi eux un parent, encore.

 

8 septembre 1943, le maréchal Pietro Badoglio signe l’armistice. La 33a Divisione Acqui constitue l’essentiel des troupes italiennes de Céphalonie, soit 11 500 hommes et 525 officiers commandés par le général Antonio Gandin. Les Allemands se mettent à considérer les Italiens avec suspicion. Le 10 septembre, ils leur présentent un ultimatum exigeant qu’ils déposent les armes sur la place centrale d’Argostoli, un village de l’île. Les Italiens refusent une condition si humiliante. Le jour suivant, les Allemands transmettent leurs nouvelles conditions. Le général Antonio Gandin doit choisir entre : rester à la disposition des Allemands, les combattre ou rendre les armes. Le 14 septembre, les soldats de la 33a Divisione Acqui sont invités à exprimer leur opinion sur ces nouvelles conditions. Réponse unanime : ‟Guerre à l’Allemand !”, d’autant plus qu’un message envoyé de Rome engage les soldats italiens à prendre les armes contre les Allemands. Le 15 septembre, les Allemands numériquement inférieurs font parvenir des renforts et de l’aviation. La lutte va se poursuivre jusqu’au 22 du mois. Les Italiens qui ne disposent que d’une très faible défense antiaérienne sont écrasés. Par ailleurs, la décision prise par le général Antonio Gandin d’abandonner les hauteurs de l’île ne facilite pas la défense italienne qui ne peut empêcher l’arrivée des renforts allemands. Le 22 septembre, les Italiens hissent le drapeau blanc. Les soldats italiens qui ont été faits prisonniers sont fusillés sur ordre direct de Hitler. Les Allemands entreprennent de ratisser l’île. Les Italiens sont massacrés par milliers. Le général Antonio Gandin n’est pas épargné. L’historien Giorgio Rochat estime à 6 500 les pertes italiennes, dont seulement 1 300 au combat, tandis que l’historien Alfio Caruso les estime à 9 400 en incluant les victimes des naufrages. En effet, environ plusieurs milliers de prisonniers entassés dans des pontons ont fait naufrage après avoir heurté des mines disposées dans la mer Égée. Les rares survivants mourront pour la plupart dans des camps. La 33a Divisione Acqui est pratiquement anéantie. Des survivants rejoignent les partisans grecs.

En hommage à ces soldats et officiers massacrés :

— un reportage en italien (durée 52 mn), ‟Cefalonia 1943 – L`eccidio della divisione Acqui” :

http://www.lastoriasiamonoi.rai.it/puntate/cefalonia-1943/455/default.aspx

— un compte-rendu en italien des événements, suivi d’un historique de la 33a Divisione Acqui et une notice biographique concernant le général Antonio Gandin :

http://www.pacioli.net/ftp/def/cefalonia/cefalonia_storia_di_una_strage.htm

J’en viens au sujet principal de cet article, les Juifs de Zante (Zakynthos), une communauté qui fut sauvée grâce au courage des autorités grecques de l’île, tant politiques que religieuses, avec l’appui de la population locale. Ils furent sauvés, contrairement aux Juifs de Corfou. Je vous invite à écouter le témoignage d’un Juif de Corfou extrait de ‟Shoah” de Claude Lanzmann :

http://www.youtube.com/watch?v=jneCs7TPCIc

Je ne vais pas rapporter ici l’histoire des Juifs de Zante afin de ne pas surcharger le présent article, j’en viens directement à l’année 1943, à l’arrivée des troupes allemandes sur l’île. La communauté juive compte alors environ deux cent soixante-dix membres. Le commandant des troupes d’occupation exige que lui soit remise la liste de tous les Juifs de l’île. Les représentants de l’autorité religieuse et de l’autorité civile, Monseigneur Chrysostomos et Lucas Carrer, le maire, lui remettent une liste avec seulement deux noms, les leurs… La mauvaise volonté de ces deux hommes vis-à-vis de l’autorité allemande a été reconnue comme essentielle dans le sauvetage de cette communauté juive. Israël a honoré ces deux hommes du titre de ‟Justes parmi les nations”. La population de Zante qui a hébergé et caché les membres d’un peuple traqué fut elle aussi exemplaire, au moment où les Juifs de Corfou, une île voisine, étaient engloutis par la Shoah. A ce propos rappelons que la déportation des Juifs de Corfou en juin 1944 contraria celle des Juifs de Zante pour des raisons logistiques. En octobre 1944, les troupes allemandes avaient évacué l’île. Les deux cent soixante-quinze Juifs de Zante sont sauvés, soit la totalité de la communauté de l’île.

Après la guerre, de nombreux Juifs émigrèrent pour Eretz Israël, illégalement en août 1946, à bord du Henrietta Szold. Les autorités britanniques s’opposèrent à ce projet mais finirent par les laisser débarquer en décembre de la même année. La plupart des Juifs restés sur l’île partirent pour Athènes ou Israël, après l’effroyable séisme de 1953 qui avait détruit leur quartier et les deux synagogues. Le dernier Juif de l’île, Ermandos Mordos, mourut en mars 1982. Il est inhumé à Athènes.

J’ai trouvé un émouvant article dans ‟The Jerusalem Post” du 13 décembre 2009. Leora Goldberg y rend compte de son séjour à Zante, une île dont elle ne savait rien hormis ce qu’elle avait lu dans un guide touristique qui ne mentionnait pas la communauté juive. Leora Goldberg et sa famille arrivent donc chez leur hôtesse, ‟an old lady, a typical Greek villager dressed all in black”. Lorsque celle-ci comprend que ses hôtes sont juifs, elle les invite à sortir de la maison, non pour qu’ils contemplent la magnificence du paysage mais des détails perdus au loin dans la végétation. Ils ne voient que de la végétation jusqu’à ce que le père de Leora aperçoive des points blancs, comme des dents… ‟C’est le cimetière juif” lui dit la vielle Grecque. Étonnement de Leona et sa famille. Le lendemain, elle se rend au cimetière, un cimetière bien entretenu, avec ses centaines de tombes du XVIe siècle à l’année 1955. Sur les pierres tombales, de nombreux cailloux du souvenir. Leora va de surprise en surprise ; elle savait que les communautés juives de Grèce avaient été assassinées mais ne savait pas que celle de Zante avait été sauvée.

Un beau reportage photographique sur le cimetière juif de Zante :

http://www.flickr.com/photos/robwallace/sets/389119/

Ci-joint, quelques liens concernant la vie juive en Grèce :

‟The Jews in Greece” de Steven Bowman :

http://www.umass.edu/judaic/anniversaryvolume/articles/30-F3-Bowman.pdf

‟Les Juifs en Grèce au XXe siècle” de Rena Molho :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_2003_num_71_1_919

Une passionnante étude de Marie-Elizabeth Handman, ‟L’Autre des non-juifs… et des juifs : les romaniotes” :

http://etudesbalkaniques.revues.org/139

Un émouvant carnet de voyage en Grèce (1958) tenu par Raymonde Fuks et agrémenté de photographies d’Esther Fuks-Cohen :

http://judaisme.sdv.fr/histoire/villes/colmar/fuks/rfuks/grece.htm

Une analyse des causes de l’antisémitisme, aujourd’hui en Grèce, de Noémie Grynberg :

http://www.noemiegrynberg.com/pages/communaute/la-grece-aujourd-hui-un-antisemitisme-enracine.html

 Olivier Ypsilantis

 

3 thoughts on “Les Juifs de Zante (Zakynthos)”

  1. Merci beaucoup pour cet article et pour tous les liens. Je connaissais la conduite des soldats italiens dans la région de Nice qui défendaient parfois les Juifs contre la police de Vichy, mais j’ignorai celle de Monseigneur Chrysostomos et Lucas Carrer ou de la population de Zante.

  2. Merci beaucoup Olivier, je découvre cette histoire passionnante ! Tu connais mon attachement à ma branche familiale de Corfou, j’ai plus que dévoré ton article, je l’ai bouffé. Merci pour tous les liens. Connais-tu le livre “Captain Corelli’s Mandolin” adapté au cinéma qui a donné un très beau film et aussi le superbe film italien “Mediterraneo” qui traitent de l’occupation italienne sur les îles grecques ?

  3. Chère Danilette, j’ai lu le livre en question, mais je n’ai pas vu son adaptation au cinéma. Concernant le massacre des Italiens, à Céphalonie, je l’ai appris par Georges Haldas qui y fait (discrètement) allusion dans l’un de ses livres. Georges Haldas dont le père était originaire de cette île…

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