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Samson-Raphaël Hirsch, le néo-orthodoxe – 1/2

  

Samson-Raphaël Hirsch

Samson-Raphaël Hirsch (1808-1888)

 

Cet article s’appuie essentiellement sur la partie que Maurice-Ruben Hayoun consacre à Samson-Raphaël Hirsch dans cette somme magistrale — il n’y a pas d’autre mot — intitulée ‟Les Lumières de Cordoue à Berlin” (en deux volumes aux Éditions Jean-Claude Lattès) et sous-titrée ‟Une histoire intellectuelle du judaïsme”. Après avoir écrit une suite d’articles succincts sur Moïse Mendelssohn (essentiellement basés sur les travaux de David Sorkin), j’ai choisi de présenter Samson-Raphaël Hirsch et, ce faisant, de mettre un peu d’ordre dans mes connaissances tout en les complétant.

Samson-Raphaël Hirsch est l’auteur de ‟Dix-Neuf épîtres sur le judaïsme”, probablement son écrit qui a le plus marqué le monde juif allemand, un écrit qui provoqua des réactions diverses et qui ne laissa personne indifférent. Son principal mérite : montrer l’oublié de l’Émancipation, le judaïsme, si volontiers considéré comme une chose à remiser ou à mettre à la décharge. L’Émancipation dont les dévots des Lumières et les bigots du Progrès refusent encore d’analyser l’ambiguité — la part d’ombre —, l’Émancipation donc ouvrit une brèche dans l’enceinte du ghetto. Les Juifs étaient implicitement invités à le quitter en commençant par se débarrasser de leurs hardes : le judaïsme… Certes, leur situation matérielle s’en trouva améliorée, mais intellectuellement, spirituellement et sentimentalement, les Juifs se trouvèrent dans une situation plutôt inconfortable, le cul entre deux chaises si vous me permettez l’expression. Ajoutons que cette amélioration fut menacée par les révolutions de 1848 (aussi appelées ‟Printemps des peuples”) qui remirent en question les acquis sociaux et politiques des Juifs. Ces révolutions activèrent les nationalismes dans toute l’Europe. Elles activèrent également l’antisémitisme de gauche dont on subit encore les effets. Et rien n’indique son effacement, au contraire ! Il a repiqué une jeunesse et s’est habillé de neuf avec l’antisionisme. Mais ceci est une autre histoire et j’en reviens à Samson-Raphaël Hirsch.

En 1848, Samson-Raphaël Hirsch a quarante ans. Le judaïsme allemand vit dans l’attentisme, pris entre les autorités religieuses qui campent sur leurs positions, convaincues que toute concession à la Haskala relève du reniement ou de l’apostasie. Samson-Raphaël Hirsch va s’employer à débloquer cette situation en revivifiant le legs juif, en le purifiant des scories accumulées au cours des siècles. La problématique qu’affronta Moïse Mendelssohn (1729-1786) puis Samson-Raphaël Hirsch est identique : trouver le point d’équilibre entre la culture européenne et l’identité juive. Pour ce premier, il s’agissait d’acquérir cette culture (l’Allemagne étant alors jugée comme sa fine fleur), non de s’assimiler — jetant aux orties l’héritage millénaire juif.

Samson-Raphaël Hirsch écrit ‟Dix-Neuf épîtres sur le judaïsme” en 1836 ; il a vingt-huit ans. Ces épîtres s’adressent à un jeune Juif fictif qui doute de son judaïsme. Moïse Mendelssohn avait contribué à distinguer entre loi révélée et vérités éternelles. Samson-Raphaël Hirsch quant à lui va proposer une vision insécable du judaïsme. Non seulement les commandements doivent être accomplis (sur ce point, il rejoint Moïse Mendelssohn) mais il convient d’en étudier la motivation afin d’éviter tout comportement mécanique, étant entendu que le judaïsme s’insère pleinement dans le tissu de la vie. Samson-Raphaël Hirsch œuvre dans un judaïsme profondément marqué par les idées philosophiques et religieuses de Moïse Mendelssohn qui reste l’unique autorité à laquelle il peut se référer, étant entendu que s’il entend régénérer ou, plus exactement, vivifier la tradition, c’est en expliquant le judaïsme par le judaïsme.

Au plan de la philosophie générale, Samson-Raphaël Hirsch doit tenir compte de Kant et de Hegel, les monstres sacrés. Kant avait tenu des propos désinvoltes voire peu flatteurs sur le judaïsme. Mais qu’en connaissait-il ? Maurice-Ruben Hayoun écrit : ‟Albert Lewkowitz se demande ingénument si Kant, esprit profond et méticuleux par nature, avait bien lu le Pentateuque et la littérature prophétique”. Mais il faut distinguer entre le corpus philosophique kantien et des propos qui s’apparentent à des coups de gueule, tout au moins Hermann Cohen nous invite-t-il à faire cette distinction. Les Juifs ont dû se dépatouiller avec une pensée parmi les plus imposantes de la philosophie occidentale et des déclarations peu aimables — un euphémisme — à l’égard du judaïsme. Pourtant, il ne faut pas oublier ce texte de 1794, ‟La Religion dans les limites de la simple Raison” (‟Die Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft”) dont je mets une traduction intégrale en lien :

http://classiques.uqac.ca/classiques/kant_emmanuel/religion_limites_raison/kant_religion.pdf

Kant y déclare que les lois juives sont d’essence exclusivement politique (?!) ; il leur nie donc toute nature éthique. La conclusion qui s’impose à ceux qui prêtent quelque crédit à cet écrit est que les Juifs cultivent… l’ethnicisme, une accusation des plus graves et dont les antisémites sauront faire ‟bon” usage. Et Kant (qui ne devait pas s’être attardé dans les textes fondamentaux du judaïsme) colporte cette idée de monsieur-tout-le-monde, à savoir que si les Juifs s’attirent l’antipathie de tous c’est parce qu’ils cultivent l’exclusivisme en se croyant le peuple élu. Il est dommage qu’une telle intelligence se soit contentée sur cette question de nous servir une nourriture déjà mâchouillée par tant de bouches… Kant embarrassait décidément Samson-Raphaël Hirsch et d’autres intellectuels juifs tels que Abraham Geiger, Ludwig Philippson et David Einhorn qui s’efforcèrent de présenter le judaïsme comme une éthique. ‟Le centre de gravité du judaïsme se déplaçait de la légalité vers la moralité”. Ce déplacement séduisit une génération de penseurs juifs issus de l’école kantienne ; parmi eux, Hermann Cohen.

Samson-Raphaël Hirsch ne cite jamais Hegel dans ‟Dix-Neuf chapitres sur le judaïsme”. Pourtant, l’influence de celui-ci est perceptible dans cette œuvre de jeunesse. Par exemple, on trouve chez Samson-Raphaël Hirsch cette distinction qu’opère Hegel entre l’esprit universel (objectif et absolu) et l’esprit individuel (subjectif et relatif) ainsi que l’opposition entre la loi de l’homme (relative) et la loi de la nature (absolue), un principe qui étaye la critique de Samson-Raphaël Hirsch contre les partisans de la réforme au sein du judaïsme. Pareillement, Hegel refuse le subjectivisme des romantiques en matière d’éthique. Autres influences perceptibles chez Samson-Raphaël Hirsch : Fichte et ses ‟Discours à la nation allemande” (‟Reden an die deutsche Nation”). Il a probablement lu ‟La Destination de l’homme de lettre” (‟Über die Bestimmung des Gelehrten”) où Fichte s’en prend lui aussi au subjectivisme car inapte à réorganiser le monde. Autres influences, plus discrètes : le vitalisme de Herder, le lyrisme de Goethe, la formation intellectuelle (Bildung) de Schiller.

 Olivier Ypsilantis

 

1 thought on “Samson-Raphaël Hirsch, le néo-orthodoxe – 1/2”

  1. Des hommes comme Mendelssohn, Shimshon Raphael Hirsch ont marqué leur temps en répondant aux défis surgis de l’émancipation ds Juifs en Europe Occidentale. Nous sommes maintenant confrontés à des défis différents, nous avons la Shoah dans nos bagages mais aussi un pays…Cela dit, il est parfois salutaire de relire ces maîtres qui nous donnent toujours à penser.

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