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En lisant les souvenirs de Sygmunt Stein – 2/2

 

Victor Halter Sygmunt 2Victor Alter (1890 – 1941 ou 1943) en 1936

 

Visite de Victor Alter à Albacete. Victor Alter, l’un des responsables du Bund polonais, s’était opposé au Komintern et au Parti communiste. Il appellera les Juifs polonais alors présents dans la partie de la Pologne annexée par les Soviétiques à rejoindre l’armée Anders. Arrêté une deuxième fois par le NKVD, il sera exécuté avec Henryk Erlich, autre responsable du Bund, tous deux accusés d’être des espions à la solde de Hitler. L’un et l’autre sont à l’époque que nous relate Sygmunt Stein rédacteurs du ‟Folkstsaytung”. Sygmunt Stein qui admire Victor Alter s’efforce en vain de lui faire comprendre qu’il va lui aussi être manipulé par les staliniens. Son échec lui fait dire : ‟La visite de Victor Alter à Albacete fut pour moi l’un des moments les plus douloureux de mon séjour en Espagne”. Il se sent recouvert par la crasse morale du communisme.

 

Sygmunt Stein fait la connaissance d’un communiste tchèque qui vient d’être incorporé aux Brigades internationales. Ce dernier s’étonne qu’il soit encore en vie car on murmure à Prague qu’il a été liquidé comme trotskiste lors de l’insurrection de Barcelone. Sygmunt Stein sait qu’il est pris dans les rouages staliniens. Il se dit que la balle dans la nuque le guette et qu’il lui faudra manœuvrer pour sauver sa peau.

 

Les Brigades internationales éliminent ceux qui sont désignés comme trotskistes, l’accusation la plus fréquente et la plus lourde. Ils sont éliminés de deux façons : à Albacete même, dans un coin connu des seuls commissaires politiques où, plus fréquemment, au combat, d’une balle tirée dans le dos. L’assassiné aura droit à la comédie du ‟a donné sa vie sur l’autel de la république espagnole, des victimes et des opprimés”, j’en passe et des meilleures.

 

L’aide russe ? Essentiellement des contingents d’instructeurs et de commissaires politiques. Il faut lire la plainte du capitaine Aronchik, Juif lituanien, au sujet du terrible manque d’armes et de la vétusté de l’armement envoyé par les Soviétiques, alors que la propagande communiste ne cesse de brailler dans le monde entier que l’U.R.S.S. inonde l’Espagne de son aide. Les Soviétiques font payer cher, très cher même, leur peu d’aide accordée. Quant aux armes modernes, elles ne sont pas confiées à ceux qui savent les utiliser mais à ceux qui sont considérés comme politiquement sûrs…

 

A la fin du chapitre 17, Sygmunt Stein consacre au POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista) quelques pages très lucides et empreintes de sympathie. Le POUM, une épine dans le pied des communistes — des staliniens. Le POUM qui luttait contre Franco ‟s’opposait également aux Brigades internationales, car il comprit très vite qu’elles n’étaient pas leur fer de lance contre Franco, mais la légion étrangère de Staline qui l’aiderait à asservir le peuple espagnol”. En Espagne, la partie n’est pas facile pour les staliniens. Le Président du gouvernement, Francisco Largo Caballero, est un démocrate libéral et les anarchistes forment une composante imposante et essentielle de la vie politique espagnole où les communistes se trouvent ultra-minoritaires. Par ailleurs, Francisco Largo Caballero et les anarchistes s’opposent fermement à la campagne de diffamation menée par les communistes contre le POUM. Aussi les staliniens doivent-ils renoncer à l’éradiquer légalement. A cet effet, ils vont organiser des provocations à Barcelone, début mai 1937, provocations auxquelles les anarchistes et les poumistes vont réagir avant d’être écrasés. Et Barcelone, leur principal bastion, va passer aux mains des communistes. Suite à ces événements, Sygmunt Stein passe l’une des périodes les plus pénibles de sa vie. Il sait qu’il est devenu un pantin entre les mains de Staline.

 

Chapitre 19, le portrait le plus vivant et, me semble-t-il, le plus vrai de La Pasionaria (1895-1989), Dolores Ibárruri Gómez de son vrai nom. Un portrait qui montre qu’elle aussi était un pantin, un produit particulièrement réussi de la propagande communiste.

 

La Pasionaria Sygmunt 2

La Pasionaria, Madrid 1936. Photographie de Chim (David Seymour) trouvée dans la valise mexicaine — la maleta mexicana.

 

Une ambiance de terreur s’installe partout, en particulier au commissariat politique où  travaille Sygmunt Stein. Pour lui échapper et ne pas s’enfoncer dans le mépris de soi-même, il demande à être envoyé au front. Il finit pas tomber malade et est hospitalisé à Murcia, une façon d’échapper à l’ambiance d’Albacete. Peine perdue, les commissaires politiques et leur réseau d’espions et de mouchards infestent les lieux. Ils prennent même note des propos tenus par les hommes atteints de troubles nerveux… Sygmunt Stein loue la qualité et la gentillesse du personnel, comme cet infirmier juif originaire de Varsovie, Maks Kawa, qui tout en travaillant fredonne des chansons populaires yiddish et des mélodies hassidiques. Sygmunt Stein passe dans un autre hôpital de Murcia. Une fois encore, il remarque la présence de commissaires politiques qui n’hésitent pas à utiliser l’antisémitisme pour mieux parvenir à leurs fins. Des malades sont même tirés de leurs lits pour des interrogatoires parfois brutaux. Il est de retour à Albacete, à l’hôpital, en observation. On lui propose un séjour en France, à Eaubonne, dans les environs de Paris.

 

On lui donne l’ordre de voyager en civil, de remiser l’uniforme des Brigades internationales, surtout à Barcelone par où il doit transiter, un uniforme très mal perçu depuis le coup de force communiste de mai 1937. Dans le train qui le conduit d’Albacete à Barcelone, il prend une fois encore la mesure du changement d’ambiance : les Espagnols si enthousiastes et si chaleureux sont devenus silencieux, abattus, misérables. Il sent qu’on se méfie de lui : ne serait-il pas une huile ou un mouchard ? Barcelone dont l’ambiance l’avait subjugué est accablé. Il comprend qu’il doit trouver son chemin seul et se garder de demander l’adresse du Comité des Brigades internationales, à moins de s’adresser à un stalinien… Au Comité, on lui fait savoir qu’une chambre d’hôtel lui est réservée. On lui conseille de n’engager la conversation avec personne, de ne pas quitter sa chambre en attendant le train pour la France. Sygmunt Stein se souvient de l’accueil que la population de Barcelone lui avait réservé. Il observe cette population de la fenêtre de sa chambre : ‟J’aurais serré contre mon cœur chacun d’eux, mais ils avaient tous un couteau dans la poche qui m’attendait”. Il les comprend : ils ont été trahis. Et une fois encore il éprouve de la honte envers lui-même.

 

Arrivée à Port Bou (‟C’était le soir, la veille de Rosh Hashana, en 1937”) puis à Paris. A l’hôpital d’Eaubonne, il retrouve les communistes et leur propagande. Un anarchiste à l’agonie lui souffle : ‟Puisse mon pays mourir propre, puisse le Parti anarchiste ne pas être souillé par cette crasse” ; cette crasse, soit l’union avec les communistes. Sygmunt Stein observe les manœuvres des bureaucrates du Parti communiste qui profitent de l’hôpital pour diffuser leur propagande sur la sacro-sainte action de la Russie soviétique en Espagne et embobiner les gens du peuple. Il apprend par la presse qu’à l’occasion du ‟Congrès culturel yiddish”, des écrivains et des artistes de renom se sont laissé entraîner dans le foutoir communiste. Il écrit : ‟A l’époque, la Russie soviétique avait déjà commis des crimes atroces contre la judéité, la culture yiddish et contre les Juifs eux-mêmes. On avait appris la liquidation des écrivains yiddish et des scientifiques juifs, les purges, la disparition d’Izi Kharik, de Moyshe Kulbak et de Maks Erik. Et maintenant, il suffisait qu’une poignée d’éminences grises tirent les ficelles pour que les plus importants représentants du peuple juif se laissent appâter par cette machination diabolique.” L’idée du Front populaire agit comme un narcotique sur bien des esprits. Les communistes jonglent avec des mensonges qui ont pour nom ‟fraternité”, ‟démocratie” et j’en passe. A la moindre contestation de ce catéchisme tombent des qualificatifs (toujours les mêmes) qui sont des sentences de mort : ‟cinquième colonne”, ‟agent nazi”, ‟trotskiste”, etc. Sygmunt Stein est découragé par ces communistes qui ‟voulaient sincèrement que tout ce qu’ils avaient entendu soit vrai, que vienne le temps du Messie”. Il évite de les fréquenter et reste lire à l’hôpital.

 

Il ne se sent pas chez lui à Paris où il erre. L’Espagne ne le quitte pas, le peuple espagnol, le ciel d’Espagne, les villes et les campagnes espagnoles ! Et ne serait-ce pas faire preuve de lâcheté que de ne pas retourner là-bas ? De plus, un changement s’est produit : la création de la compagnie Botwin, une compagnie juive !

 

Il prend le train pour Perpignan et passe clandestinement la frontière avec une quarantaine d’hommes conduits par un passeur. Nuit de marche épuisante. Arrivée à Albacete. L’ambiance a changé car le général Gomez a succédé au général Vidal au commandement des Brigades internationales. Tous les officiers et sous-officiers sans exception ont été ramenés au rang de simples soldats et envoyés au front. Mais qui est donc ce mystérieux général Gomez dont le nom suffit à faire trembler les brigadistes ? Sous ce pseudonyme se cache un agent de Staline : l’Allemand Wilhelm Zaisser qui deviendra le patron de la Stasi… Tout le monde s’espionne et se dénonce. Il n’y a plus de ‟Camarade” et de poignée de main, mais le garde-à-vous et le salut militaire. A Casas-Ibánez, près d’Albacete, il s’engage dans la compagnie Botwin de la brigade Dombrowski.

 

La plupart des brigadistes juifs sont intégrés à des groupes nationaux : allemands, tchèques, yougoslaves, roumains. Nombre d’entre eux ne révèlent pas leur origine, par honte, parce que la révolution est supposée supplanter tous les particularismes… De ce point de vue, les brigadistes juifs de la brigade polonaise et de la brigade franco-belge se distinguent de leurs camarades. Beaucoup d’entre eux ont le yiddish pour langue maternelle et c’est parfois même leur seule langue. Ils cherchent donc à se regrouper pour rompre un certain isolement mais aussi pour échapper à l’antisémitisme qui, redisons-le, se manifeste jusque dans les Brigades internationales.

 

En lisant Sygmunt Stein, j’ai appris que la compagnie Botwin n’a pas été créée à la demande des volontaires juifs eux-mêmes, mais à l’initiative de la section juive parisienne de la Yevsektsia (soit la ‟section juive” du Parti communiste de l’Union soviétique, destinée à combattre les partis sionistes et le Bund) qui avait compris le pouvoir d’attraction qu’exercerait une telle compagnie auprès des Juifs du monde entier. J’ignorais également que, par ce moyen, les membres de ladite section espéraient éloigner les immigrés juifs venus de Pologne — des concurrents. Ils incitèrent des centaines de Juifs polonais arrivés à Paris et réduits à la misère, clochards pour certains, à rejoindre la compagnie Botwin où, nous dit l’auteur, la conscience politique n’était partagée que par quelques individus.

 

L’entraînement de la compagnie Botwin est absurde : trois semaines à marcher au pas sans jamais apprendre à manier une arme. Personne n’a de fusil, hormis le commandant. Certains combattants sont absolument inaptes : l’un d’eux est débile et bave ; un autre, pratiquement aveugle, se cogne partout et ne cesse de trébucher. Et pendant ce temps, les commissaires politiques récitent leur catéchisme.

 

En train vers le front. Ambiance maussade, surtout chez les communistes qui avaient rêvé de faire carrière en Espagne et qui se retrouvent simples combattants conduits vers la ligne de front. Le train s’arrête quelque part dans la nuit. Marche nocturne dans un paysage montagneux. Ils sont accueillis par le sous-lieutenant Carol Gutman (premier commandant de la compagnie Botwin, il mourra deux mois après la création de cette unité) et par le commissaire politique de la compagnie sur le front, Micza Reger (Gerson Szyr de son vrai nom) qui occupera d’importantes fonctions politiques dans la Pologne de l’après-guerre. Ce dernier éructe et leur ordonne d’anéantir l’ennemi, non seulement l’ennemi extérieur mais aussi l’ennemi intérieur : non seulement ceux qui sont en face mais aussi ceux qui sont à leurs côtés : ‟Si vous soupçonnez votre voisin d’être un trotskiste ou un agent du fascisme, vous pouvez l’abattre comme un chien.”

 

Sygmunt Stein est désigné pour monter la garde. C’est la première fois qu’il tient une arme depuis qu’il est en Espagne. Dans la nuit étoilée, il éprouve un frisson mystique : les Juifs sont de retour en Espagne après en avoir été chassés, il y a quatre-cent cinquante ans… Mais alors qu’il s’émeut, à raison, la culasse de son fusil tombe d’elle-même. C’est un vieux fusil envoyé par les Soviétiques…

 

Le chapitre 27, le dernier chapitre du livre, s’ouvre sur ces mots : ‟La compagnie Botwin qui comptait environ cent-vingt hommes fut pratiquement anéantie lors de sa première bataille, sur le front d’Estrémadure. Ce ne fut pas seulement un épisode sanglant et tragique de l’histoire de la guerre d’Espagne mais aussi un événement témoignant une fois de plus de la brutalité et de l’indifférence des communistes envers la vie humaine. Les circonstances dans lesquelles la majorité des recrues de la compagnie Botwin trouva la mort appellent encore maintenant à la vengeance.” La compagnie compte environ cent-vingt hommes auxquels dix fusils sont distribués. Les autres partiront à l’attaque mains nues et n’auront qu’à arracher leurs armes aux fascistes… Quelques verres de cognac, et en avant ! La compagnie se retrouve dans une plaine, aux côtés d’autres formations, parmi lesquelles des compagnies des Brigades internationales. Bilan de l’assaut : sur les cent-vingt hommes de la compagnie Botwin, il reste dix-huit survivants. Nous sommes le 13 février 1938, quelque part en Estrémadure. On leur avait donné l’ordre d’enfoncer les lignes fascistes jusqu’à la frontière portugaise… Devant eux, les troupes d’élite de Franco, des Marocains… Sygmunt Stein note en passant que le commissaire politique qui les a harangués en braillant n’a pas participé à l’assaut…

 

Morts Sygmunt 2Une photographie d’Agustí Centelles prise Plaça de Catalunya, à Barcelone, en juillet 1936.

 

3 thoughts on “En lisant les souvenirs de Sygmunt Stein – 2/2”

  1. je fais des recherches sur mon oncle Leo GOLDSZTEJN qui a participe a la guerre civile espagnole, je voudrais savoir ce qu’il est devenu, son nom apparait dans le livre de Martin SUGARMAN???
    peut-on m’aider?
    j’ai lu le livre de Stein, mais le fils de Adler a fait une conference et met en doute ses ecrits????
    bien a vous
    Jean GOLDSZTEJN

  2. Monsieur,
    J’ai vu vos bouteilles à la mer sur Internet et me sens désemparé ; j’aimerais de tout cœur vous aider. Je ne connais pas les raisons qui incitent le fils Adler à mettre en doute ce qu’écrit Zygmunt Stein. Je suis bien trop jeune pour avoir participé à la Guerre Civile d’Espagne ; ce que je puis simplement vous dire c’est que je vis dans ce pays depuis de nombreuses années ; j’y ai interrogé bien des mémoires et nombreuses sont celles qui vont dans le sens de ce que rapporte Zygmunt Stein. Je vous souhaite bonne chance dans vos recherches et me manquerai pas de vous avertir si je puis vous aider.

  3. j’ai termine la liste des combattants Juifs des Brigades Internationales, je peux vous envoyer une copie jean goldsztejn

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