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Quelques réflexions après la disparition de Shlomo Venezia, par Patricia Amardeil.


 

 

Les années et la maladie ont eu raison de lui. Shlomo Venezia nous a quittés dans la nuit du dimanche 30 septembre au lundi 1er octobre 2012.

 

Nous ne verrons plus son beau visage au regard doux et triste. Il a emporté avec lui les images indicibles des chambres à gaz et des crématoires d’Auschwitz.

 

Béatrice et Richard Prasquier ont retracé sa vie et son engagement comme témoin de la Shoah dans un bel article publié dans la revue du CRIF, le 4 octobre dernier.

 

Shlomo Venezia a été enterré à Rome le 3 octobre. Le cortège funèbre parti de la grande synagogue de Rome est dense, le ciel limpide ; au fond de la rue Portico d’Ottavia, les colonnes du théâtre de Marcel forment un cadre sublime pour le départ de celui dont la vie a été brisée par l’expérience des Sonderkommandos d’Auschwitz ; Auschwitz c’est la nuit.

 

Il y a des hommes politiques connus, le maire de Rome, mais ce qui est impressionnant c’est la foule anonyme, Laura Fontana et les enseignants venus de toute l’Italie lui dire au revoir, Marcello Pezzetti et toute l’équipe du Museo della Shoah ; Richard Prasquier, sa fille Béatrice et l’éditeur qui a publié le témoignage de Shlomo en français sont venus spécialement de Paris.

 

Le cortège funèbre poussé par les trois fils de Shlomo, suivi de Marika son épouse et de leurs petits enfants, avance lentement dans le ghetto ; la foule des participants suit, recueillie ; des touristes sont attablés aux terrasses des cafés, des habitants du ghetto sont aux fenêtres pour saluer Shlomo une dernière fois. De part et d’autre d’un commerce situé tout près de la synagogue centrale, on peut lire en grandes lettres noires sur fond blanc : Shlomo Venezia, nous, nous n’oublions pas, Shalom ! et Shlomo Venezia, nous jeunes juifs, n’oublions pas.

 

Nous partons ensuite au cimetière du Verano où le grand carré juif atteste la présence juive depuis des siècles à Rome. Devant la maison funéraire, dans un silence total, nous écoutons les discours essentiels du rabbin et de Richard Prasquier qui s’exprime dans un italien parfait, avec clarté et courage comme à son habitude. Les fils de Shlomo s’expriment à leur tour, l’un deux mentionne un fait qui retient toute mon attention et celle de toutes les personnes présentes : sur Youtube on peut trouver une vidéo de négationnistes qui ont trinqué à la mort de Shlomo. C’est obscène, à ne pas voir absolument ! Quel sens peut avoir une telle mascarade outrancière pour les pauvres  d’esprit qui la regardent ? On a du mal à l’imaginer. Je me rappelle avec une immense tristesse que Shlomo, après de longues années de silence, avait décidé qu’il avait le devoir moral de témoigner pour lutter contre toutes les formes de négationnisme.

 

Et ce danger est toujours réel, hélas ! Il alimente bien sûr la haine violente des extrémistes antisémites, comme nous venons de le voir en France, mais il prend aussi tous les jours les formes les plus variées et les plus raffinées.

 

Je pense à ces multiples messages énoncés sur le ton de l’évidence et de la vérité, dans la vie de tous les jours et dans la presse, qui perpétuent un antisémitisme qui s’ignore le plus souvent.

 

Je pense aussi aux milieux enseignants qui ne sont pas toujours capables de lutter contre certains propos de leurs élèves ; l’affaire Merah a révélé à quel point l’antisémitisme sévissait dans certaines cours de récréation ! Mais il y a peut-être pire encore : lorsque les enseignants eux-mêmes contribuent à cautionner et à banaliser ce même antisémitisme. Cette triste réalité qui dérange n’a pas souvent les honneurs de la presse car elle constitue un tabou et pourtant….

 

Je pense à mon propre lycée où une enseignante a pu tenir impunément des propos méprisants et ironiques sur la Shoah devant ses élèves sans susciter la moindre inquiétude chez la plupart de ses collègues. Bien au contraire, elle a bénéficié de l’appui du SNES, extrêmement puissant dans ce lycée, pour défendre sa « liberté d’expression » ! Les plaintes des élèves ont été étouffées et les quelques enseignants qui eurent le tort de s’indigner de ses propos ont été diffamés et mis au ban de la salle des professeurs… Cette unanimité haineuse qui a réuni et réunit encore dans un combat commun derrière le SNES les judéophobes, les craintifs, les opportunistes, les antisionistes et les soi-disant bien pensants est un signe inquiétant des temps que nous vivons. Elle est une preuve parmi tant d’autres de la difficulté rencontrée aujourd’hui dans les lycées pour transmettre l’histoire et la mémoire de la Shoah.

 

Nous sommes un certain nombre à avoir compris ce que signifie Auschwitz pour notre civilisation et ce savoir nous le devons à des survivants comme Shlomo Venezia.

 

Pour expliquer ce qu’un voyage en Pologne avec Shlomo Venezia a pu représenter pour nous, je reproduis ici un fragment du message reçu ces jours-ci de Pierre-Jérôme Biscarat, responsable pédagogique à la Maison des enfants d’Izieu :

 

Je travaille à Izieu depuis 13 ans, et je garde en moi ce voyage décisif en Pologne et en Ukraine de juin 1999… Les moments les plus forts ont été les témoignages de Shlomo à Auschwitz, sur le site même et à l’hôtel. D’une telle force, qu’ils fixent à tout jamais cette tragédie dans nos consciences. Aussi, je le revois remonter, seul, le chemin longeant l’immense fosse du Bunker II.

 

Devant le Crématoire II de Birkenau, Shlomo nous a expliqué la terrifiante besogne que les SS l’ont forcé à accomplir.

 

Nous avons promis à Shlomo Venezia, homme droit et bon, que nous serions les passeurs et les gardiens de son témoignage. Il nous faut tenir parole, quel que soit le prix à payer.

 

 

Un intellectuel espagnol a rendu hommage à Shlomo en mettant juste sur son blog une photo de lui, jeune, simplement soulignée de la mention : un Homme est mort.

 

Cette phrase est à méditer aujourd’hui. C’est urgent !

 Patricia Amardeil

 

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