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Didier Long, un judéo-chrétien.

 

‟En admettant que Jésus n’aurait été qu’un prophète comme les autres, ne pourrait-on pas concevoir que Dieu, émerveillé, se dise tout à coup : tiens ! en se prétendant mon fils, il ne dit pas une absurdité, il faut que j’entérine cela, oui, j’en fais mon fils…”, note Maxime Alexandre dans ‟Journal 1951-1975”.

 

Cet article peut être envisagé comme une suite aux deux articles que je viens de consacrer à Arnold Lagémi sur ce blog. Par ailleurs, il invite à lire Didier Long qui fut bénédictin (sous le nom de frère Marc), un ordre religieux pour lequel j’ai une sympathie particulière. Trois livres : ‟L’invention du christianisme, et Jésus devint Dieu” qui fait suite à ‟Jésus de Nazareth, juif de Galilée” et, enfin, ‟Jésus, un rabbin qui aimait les femmes”. Et j’en reviens au titre du présent article, ‟Didier Long, un ‟judéo-chrétien”, pour préciser que par ‟judéo-chrétien”, Didier Long veut tout simplement signifier : ‟un chrétien de pratique juive”.

 

Didier Long (frère Marc) et son professeur d’hébreu, frère Mathias, en juin 2011. 

 

Nous sommes entrés dans des temps d’apocalypse. Israël se voit placé au centre d’un processus immense qui, d’une manière ou d’une autre, engage l’humanité dans une réflexion exaltante qui exige que nous nous fassions aussi des archéologues de l’anti-judaïsme, de l’antisémitisme et de l’antisionisme.

 

Le christianisme n’est en rien venu accomplir le judaïsme. Il est ce qu’il est, et je ne nie pas sa grandeur ; mais, je le redis, il ne saurait y avoir de ‟Nouvel Israël”. La théologie de la Substitution n’est que mensonge et l’histoire a montré qu’elle est meurtrière. Le christianisme est riche d’un héritage où les Juifs occupent une place centrale. J’apprécie que Didier Long se présente comme judéo-chrétien, c’est-à-dire un chrétien de pratique juive, ainsi que le précisent les liens suivants qui figurent dans le blog de Didier Long, à la rubrique ‟Ma vie” :

http://didierlong.com/2011/03/10/le-pape-benoit-xvi-fait-un-nouveau-pas-vers-les-juifs/

http://didierlong.com/2011/05/04/“jesus-de-nazareth-juif-de-galilee”-livre-coup-de-coeur-du-grand-rabbin-korsia/

 

Nombre de Chrétiens admettent que Jésus était juif. Des penseurs chrétiens l’ont affirmé haut et fort à une époque où la chose était tue ou n’intéressait guère. Tout le monde connaît la lettre encyclique de Pie XI, ‟Mit brennender Sorge”, publiée en mars 1937. Mais d’une manière générale, on a longtemps ignoré la réalité juive du temps de Jésus pour se porter dans les nuées et tenir des propos éthérés.

 

Didier Long dénonce la théologie de la Substitution, théologie mensongère et meurtrière, on ne le répètera jamais assez, car elle entre dans la composition de cette fange dont beaucoup sont encore crottés, l’antisémitisme ; à ce propos, j’ai évoqué un formidable coup de force dans un précédant article sur Arnold Lagémi. Afin de se débarbouiller de cette chose, Didier Long invite les hommes de bonne volonté à étudier la vie de Jésus,  ‟ce rabbin hors du commun”, et celle de ses disciples en s’efforçant de les écouter dans leur langue pour approcher au mieux leur mode de pensée dont ont hérité les Juifs orthodoxes d’aujourd’hui.

 

Je ne suis en rien un théologien, je livre des impressions qui m’habitent depuis longtemps et dont je m’efforce de vérifier la pertinence. J’insiste sur un point essentiel : les Pharisiens ne sont pas ces individus résolument négatifs que l’Église présente. Jésus était l’un d’eux, donc s’en prendre à eux, à ce courant de pensée, revient pour les Chrétiens à renier Jésus, le Jésus juif, le vrai, pour un Jésus fabriqué. Didier Long précise que Jésus le rabbin de Galilée était intégré à la mouvance pharisienne de tendance piétiste. Par le lexique, le mode d’enseignement, le canon des Écritures et des croyances (telles que la résurrection des morts ou les anges), Jésus et ses disciples se rattachaient au monde pharisien de leur époque. Leur mode de vie et leur piété étaient ceux des hassidim. Ils priaient en solitaires, chose peu courante dans le monde juif d’alors, et ils pratiquaient un enseignement où la performance dans le sens de happening (miracles, mises en scène, public pris à partie, etc.) et le discours étaient caractéristiques de cette tendance du judaïsme telle qu’en rend compte le Talmud. A cette appartenance au courant pharisien se mêlaient des ‟étrangetés” chez ce rabbi, Jésus. Par exemple, ses relations avec les femmes, certaines remarques sur le shabbat ou l’interdiction de répudier sa femme, un point de vue radical pour l’époque.

 

Didier Long a donné à l’un de ses livres un titre qui peut paraître provocateur, ‟L’invention du christianisme, et Jésus devient Dieu”. Il ne l’est pourtant pas, il s’efforce simplement de redescendre sur terre, de retracer la généalogie du christianisme en commençant par l’observer avant sa naissance même. Il affirme (et il n’est pas le premier) que Jésus et ses disciples n’ont jamais voulu créer une nouvelle religion, une religion distincte du judaïsme,  au-dessus du judaïsme, l’accomplissement du judaïsme, ce que l’Église laissera entendre avec plus ou moins d’insistance au cours de son histoire, notamment en activant cette funeste théologie de la Substitution.

 

Fort de sa conviction que la Résurrection de Jésus inaugurait la Rédemption, Paul de Tarse (Saul) voulut amener les païens sous les ailes de la Shekinah ; l’alliance mosaïque juive poursuivait, elle, sa route centrale. Didier Long s’empresse de préciser que Paul n’est en rien l’inventeur du christianisme, d’une nouvelle religion distincte du judaïsme, ainsi qu’on a trop tendance à le dire — et ce qu’il m’est arrivé de dire. Il est vrai que l’accumulation de sédiments sur le personnage central de Paul au cours de la longue histoire de l’Église a leurré notre regard. Il convient donc de se livrer à un travail d’archéologue, une fois encore, de gratter et de déblayer pour voir enfin Paul de Tarse comme le Juif observant qu’il fut et ne cessa d’être, un Juif qui n’eut jamais en tête de fonder une nouvelle religion !

 

Les disciples de Jésus ont cru après sa mort et son ensevelissement qu’il était vivant. Ce n’est pas là une spécificité chrétienne. Dans le judaïsme, les morts sont considérés comme vivants, comme toujours agissants. Elie, Moïse, David… tous les défunts. Certains Juifs envisageaient Jésus dans l’optique du Métraton, debout à côté de Dieu. Par ailleurs, la croyance en l’intervention de Dieu dans l’histoire par le truchement d’un ou plusieurs envoyés n’est en rien exceptionnelle avant 70, dans un monde juif désireux d’en finir avec l’occupation romaine. Après 70 et l’atroce répression, il faut baisser d’un ton pour échapper à l’anéantissement. Les lettres de Paul et la tradition johannique montrent le passage d’une théologie basse (Jésus prophète) à une théologie haute (personnages angéliques). Le judaïsme se déploie non pas linéairement, dans cette perspective faussée, volontiers véhiculée par l’Église, mais plutôt en éventail.

 

Didier Long : ‟Mon point de vue est qu’il faut replacer l’invention du judéo-christianisme (invention : découverte) à l’intérieur du judaïsme. Je pense que la séparation du christianisme et du judaïsme correspond à la rupture entre des croyances apocalyptiques juives et une théologie pharisienne plus rationnelle, deux tendances qui cohabitaient dans le judaïsme bien avant Jésus. Les violences de l’histoire et la lutte du peuple juif pour sa survie expliquent la suite.”

 

Dans ‟Jésus de Nazareth, juif de Galilée”, Didier Long met en situation le christianisme ou, plus exactement, ses origines. On lira notamment ce qui suit en quatrième de couverture :   ‟Les Évangiles doivent être lus pour ce qu’ils sont : les supports d’une tradition religieuse orale vivante née dans un contexte juif. Ils font partie des midrashim, ces recueils de commentaires oraux des paroles d’un maître juif, mis par écrit en temps de crise pour ne pas perdre son enseignement. Ils sont le reflet de pratiques spirituelles qui doivent être décryptées comme telles. On ne peut comprendre les récits évangéliques qu’au cœur de la pratique qui les a vu naître et les a ensuite portés, qu’à la lumière du livre des Psaumes, le manuel du hassid (sage/fidèle), et de la grande prière d’Israël. Voilà l’arrière-fond permanent de tradition vivante sans lequel le « Jésus de l’histoire » et son étrange destin nous resteraient définitivement inaccessibles.” Cet effort est capital et c’est pourquoi j’ai choisi ce titre au présent article : ‟Didier Long, un judéo-chrétien”. Judéo-chrétien est une dénomination essentielle qui loin de soustraire le chrétien à sa foi, de l’en détourner, le réoriente et lui donne une énergie fondamentale. Je l’ai souvent écrit, le judaïsme recèle une énergie infinie, une énergie de centrale nucléaire. Le christianisme ne peut que boire à cette source, consciemment, et non comme trop souvent dans un demi-sommeil. Ce n’est qu’au prix de cet effort qu’il restera vivant et ne se sclérosera pas comme trop souvent au cours de son histoire dans le dogme et le catéchisme.

 

Que le chrétien considère Jésus comme le Messie ne doit en aucun cas l’amener à croire, même discrètement, que le christianisme vient accomplir le judaïsme, en aucun cas. Je me suis heurté à de nombreux Chrétiens à ce sujet. Ils se sont fermés comme une huître et certains m’ont même considéré avec hostilité. Je n’attaquais pourtant nullement leur foi. Et loin de moi la prétention d’organiser un hit-parade des religions. On peut parfaitement croire que Jésus est le Messie sans pour autant croire que le christianisme est venu accomplir le message d’Israël au monde. C’est pourquoi les désignations ‟Ancien Testament” et “Nouveau Testament” me paraissent inappropriées. Peut-être ai-je l’esprit tordu (des Chrétiens me l’ont fait obligeamment remarquer) mais j’y vois déjà la preuve subliminale d’une tentative de substitution dans le genre : la chrysalide (juive) se fit papillon (chrétien).

 

L’étude de l’homme Jésus, du Juif de Galilée, et de l’histoire de la foi ne sont pas exemptes d’écueils, tant dans leurs versions de vulgarisation que chez les exégètes car, ainsi que le signale Didier Long. Celles-ci mêlent la méthode historico-critique et l’histoire de la dogmatique chrétienne, ce qui a deux effets pervers, pourrait-on dire. Premièrement, celui d’intégrer des éléments d’histoire dans une dogmatique chrétienne, de reformuler cette dogmatique, de tourner en rond au bout du compte. Deuxièmement, celui de relire de manière anachronique Jésus le Galiléen et son mouvement en les enfermant dans une aire mentale grecque ou moderne, étrangère au contexte juif où s’est déployée cette histoire et à une certaine ‟mécanique interne” : genres littéraires talmudiques, émetteurs, interprètes, vérifications, règles d’exégèse du texte, etc. Didier Long salue John Paul Meier et son compendium de savoir exégétique en quatre volumes, “A Marginal Jew: Rethinking the Historical Jesus” tout en soulignant que l’ignorance presque totale du contexte juif d’alors et de la judéité de Jésus aboutit à une dramatique réduction de  l’homme et son message.

 

Les erreurs de perspective concernant l’approche chrétienne de Jésus le Juif sont diverses. L’une d’elles, assez fréquente, consiste à projeter en tout temps et en tout lieu l’Église romaine de langue grecque sur le mouvement initié par Jésus, ce qui est une manière de laisser entendre que le christianisme procède de lui-même, qu’il est ahistorique, une vision qui implique l’immanence et repousse la transcendance ; l’islam n’agit pas autrement !

 

Il me semble que peu de Chrétiens ont pris la mesure de ce que signifie : “Jésus était juif”. Ils l’admettent mais machinalement. ‟Jésus était juif, et alors ? On le sait. Pas besoin de nous le seriner. Et qu’est-ce que ça change ?”. Bref, il me semble qu’ils l’acceptent pour mieux diminuer l’impact de ce fait qui devrait agir sur leur foi non comme une menace mais comme un puissant souffle d’air frais, comme une ouverture vers le large et les profondeurs. C’est en s’efforçant de contextualiser Jésus et son mouvement que l’on raffermira le christianisme, que l’on fortifiera la culture judéo-chrétienne, que l’on attaquera les racines de l’antisémitisme et de l’antisionisme — oui, de l’antisionisme ! — qui plongent dans un très profond substrat anti-judaïque.

 

Didier Long : ‟Il faut repartir du milieu et de l’histoire mais surtout de la tradition d’Israël, le Talmud, inaccessible en dehors des maîtres concrets du judaïsme vivant, si l’on veut comprendre l’Évangile comme une Torah orale vivante. S’il se tient en dehors de cette tradition, le christianisme ne comprend à peu près rien à ses propres textes, des écrits juifs écrits par des Juifs pour des Juifs au cœur de la tradition orale juive. Si on se tient en dehors de cette tradition, on peut faire dire à peu près ce qu’on veut aux textes et à l’histoire, et on évite le Jésus juif. Si on prend au sérieux cet enracinement, le déploiement du christianisme peut être compris comme celui d’une croyance juive à l’intérieur d’un monde juif pluriel en voie de normalisation au cours des guerres judéo-romaines de 70 et 132-135.”

Le blog de Didier Long :

http://didierlong.com/2012/05/21/une-ethique-de-legarement/

 

Didier Long présente son livre sur YouTube, ‟Jésus, un rabbin qui aimait les femmes” :

http://www.youtube.com/watch?v=K1Ha70ntKx8

 

Autre interview de Didier Long (trouvée sur son blog) :

http://didierlong.com/2011/05/29/jesus-de-nazareth-juif-de-galilee-interview-de-didier-long/

 

Et une magnifique invitation d’Armand Abécassis intitulée : ‟Deux lectures de la Torah, deux alliances, une même responsabilité” :

http://danilette.over-blog.com/article-deux-lectures-de-la-torah-deux-alliances-une-meme-responsabilite-armand-abecassis-78356524.html

 

PS : Dans le ‟Journal de 1951-1975” de Maxime Alexandre, en date du 8 juin 1960, je trouve cette spirituelle remarque qui devrait faire également sourire l’auteur de ‟Jésus, le rabbin qui aimait le femmes” : ‟Il faut remplacer le radotage bigot par des conceptions saines, en accord avec l’enseignement des prophètes et de Jésus-Christ. Se faire une idée juste de son indulgence envers Marie-Madeleine, mettre l’accent sur ‟tu as cru” plutôt que sur le mot ‟pécheresse”. S’Il dit : ‟tu as beaucoup aimé”, il ne pouvait tout de même pas entendre par là l’amour-charité, à moins de faire de l’humour à ses heures.”

 

 

2 thoughts on “Didier Long, un judéo-chrétien.”

  1. Merci de votre article plein de délicatesse. Blog très intéressant. C’est drôle je travaille actuellement sur “Shamor” et “Zahor” pour un livre sur le Shabbat avec mon ami Gérard Haddad à paraître à la rentrée! Vous avez raison il s’agit bien de mémoire, de mémorial, d’anamnése, de sortir de l’amnésie !
    Bien à vous,
    Didier Long

  2. Jésus en saignait les foules gratuitement… Lui!
    Dommage que les livres de monsieur Long ne soient pas en accès libre sur le net pour lutter contre l’amnésie , ce serait un beau geste.
    Personnelement, n’ayant pas l’érudition de ce monsieur, et n’ayant pas la possibilité que des mots en hébreu me viennent a l’enterrement de mes proches, car je suis française et je n’ai qu’un bac +5 !!! Il me reste les évangiles et la parole de Jésus, venu conclure une alliance nouvelle par son sang verse. Que Jésus soit juif, ça n’est pas un scoop!!!
    Après c’est une question de foi de croire qu’il est l’élu de Dieu…
    Le peuple juif considère qu’il est le seul peuple élu, les autres sont des goyim.
    Quelle arrogance! Le Talmud nous considère comme des bêtes. Alors que Jésus est venu ouvrir le royaume de son père a tous !!!!
    Dire que Jésus n’est qu’un prophète c’est plus pratique, ça permet de garder cette position supérieure.
    Je garde ma foi et mes évangiles…et shabbat ne veut pas dire samedi mais repos.
    Bon dimanche, a tous.

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